Légendes de l'Aède

Les voyages de Gulliver et les Utopies

Les légendes sont bien souvent semblables aux paraboles du christ. Ces histoires ont un sens plus profond que ce que le commun des mortels veut bien y voir.
Mais à des époques troublées où parler ouvertement était extrêmement dangereux, les hommes ont souvent eut recours à des histoires amusantes qui révélaient un contenu plus orienté : soit politique, satirique ou humaniste ou encore spiritualiste.
A l’époque de la renaissance, plusieurs écrivains ont fait paraître des romans de voyages pittoresques. le premier,
Thomas More écrivit vers 1518 "Utopia",
puis Tommaso Campanella : "La cité du soleil" en 1613, suivi par
Cyrano de Bergerac : "Les états et empires de la lune et du soleil" 1657 et enfin,
Jonathan Swift avec "Les voyages de Gulliver" 1721,
pour les plus connus.
Chacun a eu le désir de peindre ses contemporains sous leurs aspects les plus « humains » (souvent les plus vils) et également d’essayer de transcrire ce que pourrait être la cité idéale, une civilisation véritablement noble de sentiment et d’actes.


Illustration de couverture d'un livre pour enfant

La première fois que j’ai lu Utopia c’était dans une édition communiste, la preuve que quand une idée est bonne : elle est reprise…
Les livres d’enfants ont abondamment illustrés "Les voyages de Gulliver", mais il n’est souvent décrit que les seuls deux premiers voyages, cela m’a étonné quand plus tard, en abordant l’adolescence, j’ai découvert le livre de Jonathan Swift. Ce qui passait pour des histoires amusantes dans les livres pour enfants, étaient en fait la description acerbe de notre humanité.
Les contemporains de Swift et leur disciples ont voulu voir une critique de la société britannique de l’époque, ce qui est certain, mais cela peut également être vu comme une vision très réaliste des travers de l’homme intemporels.


Illustration des voyages de Gulliver peinture à l'huile

Voyons ce que pointe du doigt dans chaque pays notre "Gulliver – Swift".

1/ Dans le premier voyage, notre héros arrive dans le pays de Lilliput ou les hommes sont tout petits comparés à Gulliver. Il nous fait découvrir la vanité des prétentions humaines, comme le dit Albert Cavin dans une analyse de l’œuvre. Mais Lilliput nous enseigne aussi la lutte, car tout est dualité (deux royaumes combattant) ; et également la trahison et le mensonge, compagnes du conflit.

2/ le deuxième voyage pendant lequel la taille des protagonistes est inversée aboutie à Brobdingnag, au pays des géants. Disons que Swift regarde l’homme avec une loupe et ce qu’il voit est : condescendance, orgueil, humiliation, servitude, persécution par les forts et les puissants.

3/ le troisième voyage voit Gulliver traverser plusieurs pays dont : Laputa où la tête des hommes penche à droite où a gauche, exprimant par là ; les concepts et théories dont s’enorgueillissent les intellectuels particulièrement imbus d’eux-mêmes. L’île volante où est située Laputa indique que leurs conceptions mentale est ont ne peut plus virtuelle.
Balnibarbi nous donne la description de savants fous dressés tels des coqs sur leurs valeurs et prétentions, inventant des engins toujours plus extravagants, où n’est tenu aucun compte quand au sens de ces machines, des vertus humaines, ni même de l’humain.
Glubbdubdrib est l’ile des sorciers où l’on peut communiquer avec les morts, et découvrir par ce moyen, que souvent la réalité historique est bien déformé par les puissants.
Luggnagg est un gros plan sur les désirs humains et les rêves de grandeur, de puissance, de gloire et de reconnaissance. Le désir d’immortalité au contraire est de peu d’estime, car le spectacle de misérables vieillards dégénérés, sans mémoire et amorphes est sans appels.
Ces trois premiers voyages ne sont guère à l’avantage des humains que nous sommes ; vous voyez qu’il n’est nul besoin des termes psychanalytiques modernes, pour décrire notre formidable enfermement sur nous-mêmes et sur nos prétendues valeurs.


Illustration N&B

4/Le quatrième voyage nous place face à notre animalité, d’autant plus fortement qu’est décrit en même temps, une société idéale à la noblesse admirable. L’habileté de Jonathan Swift est de placer face à face des êtres humains très proche des singes, les Yahous, particulièrement ignobles et repoussants, liés uniquement par leurs désirs et des êtres – chevaux, les Houyhnhnms, naturellement calmes et ayant la « raison » pour guide.

Voici dépeints notre piètre réalité encore actuelle, malheureusement, mais heureusement il y a l’espoir d’un autre possible.
Ce texte est très loin d’un livre pour les enfants et l’on peut comprendre que les éditions pour la jeunesse s’arrêtent aux deux premiers voyages. La question qui vient après la lecture du livre de Swift, c’est : est-ce qu’il est possible que l’homme puisse édifier une société idéale ?
Swift semble poser cette question sur la base de notre animalité profonde sans ego, à l’image des êtres chevaux qu’il décrit. Est-ce possible ???

Swift place l’image de cette société noble et altruiste, sur la "raison", sur une éthique très pragmatique. Thomas More dans Utopia évoque une société également posée sur un équilibre intelligent que chaque homme peut partager.
Cela pose une question….quand on regarde nos sociétés, nous trouvons bien les défauts décrits dans "Les voyages de Gulliver" mais où trouvons nous l’éthique, la noblesse intérieur, le respect des autres, alors que chacun est dominer par ses émotions, ses désirs, ses peurs, ses propres conflits ?
Une société où un célèbre économiste américain a même décrété que la notion de rapacité était normale, une société où l’égocentrisme est érigé sur un piédestal, avec toutes les élites rassemblées autour d’une même idéologie : "le libéralisme" aveugle et forcené.


Plan d'une cité circulaire

Est-ce que l’homme peut, à l’aide de sa logique et de sa raison construire une civilisation sans conflits égotiques ?
C’est ce que semble croire ces deux écrivains : More et Swift, mais les siècles passés ont vus défiler de nombreuses idéologies et aucune n’a amené la paix et l’harmonie.

Tommaso Campanella dans sa "Cité du soleil" place au milieu de cette société un principe spirituel, ce qui le démarque des autres utopies. Même si la coloration catholique de l’époque teinte cet écrit, Campanella considère qu’une société idéale a pour base une écoute sur une dimension plus profonde, plus intime, une autre base que les principes purement personnels.
Cette idée rappelle la cité Athénienne où dans les lois de son édification, l’homme était au centre de cet équilibre. Non pas un homme au service de ses pulsions, mais un homme à l’écoute en soi du Bien, du Beau et du Juste. Platon dans "La république" ou "Les lois" à donné une image de cette société. Dans ce sens Platon pourrait être le premier des utopistes.
Si nous pouvons décrire à notre époque moderne, nos propres défauts, aussi bien que Swift, est-ce que nous pouvons envisager un autre fonctionnement en commun, qui ne soit pas basé sur nos opinions, nos petites vues personnelles réductrices au service de nos peurs et de notre instinct de conservation ?

Quand il a écrit ses livres, Platon pouvait se tourner vers sa cité et regarder l'inscription au fronton du temple de Delphe : "Homme, connais toi toi-même".
Quelle chance il avait... alors que nous avons comme temples des supermarchés, avec comme slogan "consommez et vous existerez" et des églises sans dieu où le seul slogan depuis longtemps est "croyez et vous existerez".

Aujourd’hui, de nouveaux prophètes apparaissent : les écologistes spécialistes des énergies, militants humanitaires ou altermondialistes, tous veulent changer le monde, mais est-ce qu’ils comprennent qu’il leur faut se changer soi-même ?
Ils ont tous la solution pour résoudre nos problèmes, mais en fait, ils nous apportent un nouvel « isme ». Et les « isme » n’ont jamais donné la possibilité de se connaître soi-même.


Photo du Matrimandir

Le siècle dernier a vu s’ériger de nombreuses communautés… Ces collectivités uniquement axées sur « sa propre liberté ou son propre développement personnel » ont disparu, les différences entre les personnalités font qu’il est difficile de vire en commun. Seule les communautés érigées autour d’un axe spirituel ont pu perduré. Nous avons un exemple avec Auroville.
Même si les règles d’Auroville se sont transformées, au fil des ans, cela reste un bel exemple de communautarisme(1).

Quel est la raison de sa longévité ?
Sa charte de création donné par "la mère" ?
Voici ses quatre règles :
1. Auroville n'appartient à personne en particulier. Auroville appartient à toute l'Humanité dans son ensemble. Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine.
2. Auroville sera le lieu de l'éducation perpétuelle, du progrès constant, et d'une jeunesse qui ne vieillit point.
3. Auroville veut être le pont entre le passé et l'avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s'élancer vers les réalisations futures.
4. Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète


Photo du Matrimandir

Est-ce que se sont ces règles qui donnent cette longévité ?
Je ne le crois pas, tout du moins pas entièrement…
Un point principal à mon sens est « il faut être le serviteur de la Conscience Divine ». Un autre élément essentiel est présent, un symbole fort : au milieu de la cité est érigé un temple magnifique.
Bien sûr tout n’est pas rose à Auroville, les hommes et les femmes qui y vivent ont un ego comme nous tous, et il est difficile de maîtriser son ego.
Il reste que l’utopie d’Auroville est belle et les sarcasmes et critiques autour de cette expérience, si durs et si excessifs sont bien la marque d’un ego sûr de lui et si stupide…
Tant qu’il y aura des utopies… il y aura des hommes et des femmes pour partir à l’aventure de soi-même.

L'Aède