Le mystère du Vajra
Les mythes spirituels créent souvent des symboles qui perdurent pendant des millénaires. Souvent ceux-ci tombent en désuétude, sont oubliés ou transformés pour être plus conformes aux idées nouvelles. Il est rare de trouver un symbole qui passe à travers les siècles, les religions, et qui s’adapte aux hommes et à leurs nouveaux concepts en gardant sa signification.
- La croix chrétienne a deux mille ans. Une forme de croix existait dans la civilisation Crétoise, il y a trois mille cinq cent ans. La croix ANCK remonte vraisemblablement à cinq mille ans au moins, mais cette forme a t’elle la même signification, que pour les religieux chrétiens actuels ?
Je ne le pense pas...
- La Svastika remonte à l’Inde ancienne ainsi qu’à la civilisation grecque, aux celtes et peut-être aux peuples des mégalithes, qui auraient gravé ces signes sur les pierres.
Seulement, même si les « druides » de nos jours se parent de ce symbole sous la forme du Triskel, on ne peut pas dire que le culte et la signification du Svastika ont perduré.
Ce préambule ne minimise en rien l’importance de ces symboles, mais veut plutôt souligner l’étonnement face à la découverte de l’ancienneté du Vajra.
Mais où ai-je pu voir ce symbole ?
Et bien je l’ai aperçu lors d’un rituel, dans les mains d’un lama tibétain.
Un rituel précis ?
il semble que non, en fait le Vajra paraît être indissociable de l’activité ritualiste des moines tibétains.
Voici ce que l’on peut apprendre sur cet objet :
A l’origine, il est le symbole du dieu védique Indra et est assimilé à la foudre, à l’éclair. Dans le contexte bouddhiste il est associé au diamant (sceptre) à la pierre de tonnerre, il symbolise alors ce qui est indestructible, le coté inaltérable de la vrai réalité (vacuité).
En bouddhisme tibétain, il est appelé « dorjé ou dordjé ». Il est le symbole masculin du chemin qui mène à l’illumination. Il est employé dans la main droite accompagné de la cloche « Ghanta » dans la main gauche, représentant l’aspect féminin signifiant la sagesse.
Ce texte est extrait de : le livre du Bouddha, divinités et symboles rituels du bouddhisme par Eva Rudy Jansen, Editions : Binkey Kok.
Donc cet objet symbolique existe depuis au moins trois mille ans, si ce n’est quatre ou cinq mille ans selon les différentes approches historiques. Depuis combien de temps est-il utilisé par les Bouddhistes ?
je ne le sais pas…
Mais son ancienneté est avérée autant par le texte du Rig-Véda que dans les autres textes du Véda, par conséquent ce symbole pourrait remonter effectivement à plus de quatre mille ans.
Les sources et origines du védisme sont encore sujettes à discussion. Cela n’est pas notre sujet, mais j’espère que cette origine sera attestée très bientôt.
Pour revenir à ce symbole, il semble que sa signification aie changé avec le passage du védisme au bouddhisme, en passant sans doute par l’hindouisme.
Mais, a t-il vraiment changé ?
Les bouddhistes l’appellent la pierre de tonnerre, ce qui rappelle la foudre, ou le foudre (sanskrit : Vajra) du dieu Indra. Son indestructibilité selon les bouddhistes, évoque son origine divine. Dans les Puranas hindouistes, des armes de lumière sont souvent employées et rappellent visiblement l’arme suprême d’Indra.
Mais quelle était sa signification dans le Rig-Véda, le premier texte du Véda ?
Voici un petit extrait du Rig-Véda 1.32 :
« Indra tua le dragon qui s’accrochait à la montagne,
Tvastar avait façonné pour lui le foudre (Vajra) sonore.
C’est par le foudre, la grande arme ,
Qu’Indra a tué Vrtra aux larges épaules, puissant obstacle,
Comme les troncs abattus par la cognée,
Le dragon gît plaqué contre la terre.
Gisant de malemort, comme un tuyau crevé.
Les eaux passent par dessus lui promouvant leur courage.
Elles que Vrtra encerclait de sa grande taille,
C’est à leurs pieds que git désormais le dragon.
En tuant Vrtra Indra à ouvert les bondes
Des eaux qui était fermées. »
Indra se doit de garantir que les forces de la vie soient disponibles pour tous, les eaux de la montagne sont une métaphore bien évidemment…
Nous avons à notre disposition un livre particulièrement intéressant pour lever le voile du Véda, sinon Il nous faudrait plusieurs années pour déchiffrer les textes - épopées, odes, hymnes, brâhmanas, upanishads, qui composent cet antique héritage sacré.
Ce livre, très précieux pour un mythographe, est :« le secret du véda » par Sri Aurobindo Ghose au éditions Fayard.
Voici ce que dit Sri Aurobindo :
La foudre d’Indra est appelée la pierre céleste, sa lumière est celle qui émane de ce monde de splendeurs solaires : Swar. Indra est le maître de ce monde céleste, le maître de Swar, ce monde lumineux. Swar est synonyme de Surya : le soleil, mais Swar est le nom d’un monde ou ciel suprême, au-delà du ciel et de la terre ordinaires.
Sa ressemblance avec Surya est une équivalence : surya illumine le monde matériel, alors que la nature même du monde céleste : Swar, est lumière . Nous trouvons là les deux mondes évoqués par les bouddhistes : le Nirvana et le Samsara.
Je ne pense pas que Swar puisse être "une terre pure" selon la terminologie bouddhiste.
Il me semble plutôt que sa nature est réellement celle du Nirvana, mais il est possible qu’une terre pure ait déjà existé à l’époque védique, terre pure appelée de nos jours Déwatchen ou Shambala . Cette terre pure, véritable portail et salle d’attente du Nirvana, est le lieu où l’initiation intérieure peut se poursuivre pour ceux qui ne sont pas parvenus à l’Eveil complet. Pour les Bouddhistes tibétains actuels, le maître de cette terre pure est le Bouddha Amithaba. Amithaba est le bouddha de lumière, il est le garant et le protecteur de cette possibilité de passage : du Samsara au Nirvana.
Indra, dans l’ancien monde védique, est le roi des dieux, le régent du monde naturel, et dans cette théogonie, la raison d’être de ce dieu suprême est d’être le lien entre les deux univers : le Nirvana et le Samsara. Il est fort probable que son symbolisme ait correspondu à la personnification du Bouddha Amithaba, selon une mesure adapté aux consciences des hommes de l’époque.
Dans les siècles suivants, le symbolisme des dieux suprêmes du monde indo-européen évoluera et portera surtout sur la fonction de gardien - créateur du monde naturel. L’aspect reliant et appelant du dieu Indra et des autres divinités, vers le monde originel, sera perdu…
Si la représentation des divinités s’est entachée de matérialisme religieux, il n’en reste pas moins que les symboles ont gardé toute leur puissance d’évocation. Autrement, comment expliquer qu’un symbole aussi ancien ait pu être employé pour représenter la voie de l’illumination chez les bouddhistes ?
Son sens actuel ritualiste n’est donc pas éloigné du sens originel dans la civilisation védique.
Un coup d’œil dans un dictionnaire sanskrit nous place devant une racine importante :
« sva » qui signifie : « propre, à soi ».
Cela étaye notre idée que le Vajra ou Dordjé, permet de garder le lien avec le feu originel, l’étincelle d’Esprit qui existe en tout être, le Bouddha en soi. Ce symbole rappelle l’essence-énergie divine, l’élément toujours existant car réellement soi, derrière nos sentiments et nos concepts .
Ainsi le Vajra est à la fois :
1/ lumière céleste nous rappelant notre origine, et
2/ la pierre précieuse, c’est à dire le symbole de l’inaltérabilité du diamant, issu des pressions phénoménales du feu intérieur de la terre…
les Rose-Croix ont une image pour évoquer l’aspect divin dans l’homme : c’est une étincelle de lumière, que l’homme, par un chemin de conscience, ranime, jusqu'à ce que ce feu l’emplisse totalement, au point qu’il ne reste plus rien du « vêtement » de l’homme naturel. Cette étincelle s’est cristallisée en nous, mais elle reste très précieuse, car c’est le centre réel de la vie.
Le Vajra semble être pour l’Orient, ce symbole de la puissance de la lumière, sous une forme imagée…
Dans « le secret du véda » les liens entre les divers états de la lumière et du feu sont révélés. Shri Aurobindo nous montre l’enchaînement d’actions de Swar à l’activité du dieu Agni et au sens réel du sacrifice. Voyons …
De l’essence-lumière de Swar, se réalise le foudre Vajra, détenu par Indra, le maître-régent du monde de l’initiation, c’est à dire notre terre. Le reflet matérialisé de la réalité de Swar se retrouve en Surya : notre soleil, rappelant que toute vie vient de la lumière.
Celui qui comprend le véritable sens de la vie, après avoir vu les phénomènes naturels tourner continuellement sous le soleil, celui là doit se tourner vers la lumière intérieure. Comment ? : par le sacrifice…
Qui accomplit et symbolise le sacrifice ? Agni le feu… l’autre dimension plus matérielle, plus concrète de la lumière.
Le feu brûle et révèle, que brûle t-il, que révèle t-il ?
Notre ignorance… l’ignorance de notre état originel.
Le sacrifice, quand il est pleinement conscient est celui de notre ignorance jetée dans les flammes. L’inconscience est déjouée par le Vajra, par le symbole parfaitement conscientisé, qui nous rappelle ce qu’est l’être véritable. ceci nous amène à reconnaître notre ignorance de la lumière, à lâcher cette ignorance et … à aller vers la lumière.
L’essence de toutes nos expériences, de tous nos concepts, de notre désir irrépressible de jouer à ce jeu des oppositions doit brûler, être purifiée.
Reconnaître la voie de la lumière est « le sacrifice », ainsi nous sacrifions le suc de notre vie, (l’essence de notre conscience de l’expérience) et - complément du sacrifice - nous buvons le Soma des anciens. L’essence de cette liqueur ravive le feu intérieur semblable à la lumière divine, et la quintessence qui s’en dégage nous ouvre les voies du divin.
Il existe un frère du Vajra, le Vasra des textes avestiques Iraniens.
Celui-ci ayant la même fonction dans l’idée expliquée précédemment, il n’est pas dans les mains du dieu principal des anciens iraniens ;
C’est le Mithra avestique qui le détient. Sa fonction n’est pas celle de régent, comme Indra, le dieu principal des hindous d’avant notre ère. Le Mithra de l’Avesta représente l’échange, c’est à dire : l’acte du sacrifice. Dans ce cas, la force de la lumière est directement liée au sacrifice de l’être naturel se tournant consciemment vers l’univers divin.
Voici un petit passage tiré du livre d’Eric Pirart : les adorables de Zoroastre, ed Max Milo.
Sacrifice offert à Mithra, yast 10.24.
Mythra qui, des mains brandit le Vasra fait de centaines de bosses et d’aspérités, facile à faire virevolter, source de la déconvenue des adversaires, coulé de ce métal jaune, l’or que le pouvoir offensif accompagne, la plus offensive des armes et la plus défensive des armes.
Mithra qui épouvante le "Funeste Avis" (la mauvaise voie selon moi, ou le meurtrier selon la traduction de Anquetil-Duperron) accompagnés des nombreux "Destructeurs", épouvante le "Furieux", à qui les offrandes sont mauvaise à faire et de qui la personne est condamnée, (disparaîtra complètement).
Le dieu védique Indra et le Mithra avestique n’ont pas exactement la même fonction :
l’un est régent de l’équilibre du monde et
l’autre représente la fonction de l’échange, spécifique du sacrifice.
Mais dans les deux cas, l’arme faite d’or ou de lumière, est là pour garder la possibilité de l’acte juste, de la vie juste. La vie juste qui consistait à honorer les dieux à cette époque et selon une notion plus intérieure pour les initiés : celle de l’Eveil, celle de redécouvrir la véritable divinité de l’être humain.
La forme de cette arme fabuleuse a dù se transformer au fil du temps, selon les Cultures et les nouvelles conceptions religieuses, ce qui nous donne deux versions très intéressantes.
Quand à la forme actuelle du Vajra, elle découle de l’ésotérisme bouddhique, lié au cinq Dhyani Bouddha, (voir les pages sur la mythologie bouddhiste), mais je pense que son symbolisme physique vient, sans doute, d’un équivalent issu du proto-védisme.
Cinq dieux védiques tenaient peut-être le rôle des cinq Dhyani Bouddhas, qui sait… ?
L'Aède