Légendes de l'Aède

Le mythe du déluge

Dans l'article sur l’épopée de Gilgamesh, nous avons vu que la tablette onze relatait par l’intermédiaire du sage : Uta-napistî-le-lointain, les circonstances de ce phénomène extraordinaire qu’est le déluge.
Ce texte écrit vers 650 avant notre ère, est peut-être plus récent que celui de la genèse dans la bible, qui aurait été écrit approximativement vers 700 ou 800 av JC. Mais le thème du déluge se retrouve dans d’autres textes mésopotamiens, bien antérieurs à la rédaction de l’ancien testament, comme nous le verrons plus loin.
Comme nous l’avons évoqué dans la page précédente, il est peut probable que l’humanité ait affronté un déluge pouvant recouvrir toute la terre.
Alors quel est le sens de ce prodige ?
Que désigne réellement ce cataclysme absolument incompréhensible… ?

La tablette onze débute par une question posée par Gilgamesh à Utanapistî :
Comment toi qui me semble pareil à moi, a-tu obtenu "La vie sans fin" ?
Jean Bottéro précise que la signification exacte de l’écriture sumérienne, traduite par « la vie sans fin » ou immortalité, se décrirait de préférence par : "tu as cherché et trouvé la vie". Utanapistî lui révèle alors le secret des dieux, vient alors le récit du déluge…
Voici ce texte écourté :
C’est Anu le père des dieux, Enlil-le-preux, leur roi, Ninurta et Ennugi, qui décidèrent de déclencher le déluge. Ea-le-prince me prévint : détourne toi de tes biens, renonce à tes richesses et construit un bateau. Ton embarcation devra avoir la même longueur que la largeur et possédera sept étages divisés en neuf compartiments, où tu mettra des spécimens de tous les animaux.
A peine la construction terminée que le dieu Nergal ouvrit les vannes « d’en haut », tandis que les dieux infernaux incendiaient le pays tout entier. La tempête fut si violente que les dieux eux-mêmes furent épouvantés par le déluge, et cela durant sept jours « de frayeurs ». Puis la mer se calma, et nous ne vîmes à l’horizon qu’une étendue d’eau. Les hommes avaient étés changés en argile.
Bientôt un mont surgit des eaux, au pied duquel le bateau accosta. Le septième jour je lâchai une colombe qui revint, puis une hirondelle qui revint également, troisièmement je lâchai un corbeau qui ne revint pas. Je fis alors un banquet pour les dieux. Les dieux vinrent mais quand Enlil s’aperçut de notre présence, il entra dans une grande colère, car selon ses desseins, aucun homme ne devait réchapper au déluge. Une grande dispute s’engagea entre les dieux au sujet de cet acte terrible qui avait décimé tous les hommes. Enfin apaisé, Enlil me bénit ainsi que ma femme, et nous fit semblable aux dieux.


Tablette mésopotamienne

Ce passage intervient – si ce texte est bien le support à une initiation – dans une forme d’enseignement spirituel dans laquelle chaque action du récit se rapporte à une épreuve ou une phase intérieure.
Dans ce cas, le passage du déluge pourrait désigner un événement particulièrement éprouvant pour le myste, pendant la dernière étape de son chemin. Plutôt qu’un événement extraordinaire vécu dans le monde naturel, ce serait donc une phase intensément vécue à l’intérieur de soi, juste après l’enseignement d’un yogi ou d’un éveillé.
Que pourrait bien désigner d’autre cette "impression" profonde dans une initiation, il y a de cela trois mille ans au moins ?

Bien entendu, cette théorie est en désaccord avec l’interprétation religieuse au premier degré de l’ancien testament, qui décrit au tout début de la genèse, l’acte de Yahvé employant les forces de la nature pour détruire une humanité non conforme à ces souhaits…
Est-ce si sûr ?

Etudions le récit de la genèse au Verset 7 :
1- Le Seigneur dit à Noé : Entre dans l'arche, toi et toute ta maison; car je t'ai vu juste devant moi parmi cette génération.
2- Tu prendras auprès de toi sept couples de tous les animaux purs, le mâle et sa femelle; une paire des animaux qui ne sont pas purs, le mâle et sa femelle ;
3- Sept couples aussi des oiseaux du ciel, mâle et femelle, afin de conserver leur race en vie sur la face de toute la terre.
4- Car, encore sept jours, et je ferai pleuvoir sur la terre quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de la face de la terre tous les êtres que j'ai faits.
5- Noé exécuta tout ce que le Seigneur lui avait ordonné.

Cette partie semble correspondre à un événement bien terrestre. Vous connaissez la suite, et ce n’est pas le développement du récit qui nous intéresse, mais le sens de ce déluge. Pour quelle raison a t-il eut lieu ?
Plus haut au verset 6, nous trouvons :
1-Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la face de la terre, et que des filles leur furent nées,
2- les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils en prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent.
3- Alors l’Éternel dit : Mon esprit ne restera pas à toujours dans l’homme, car l’homme n’est que chair, et ses jours seront de cent vingt ans.
4- Les géants étaient sur la terre en ces temps-là, après que les fils de Dieu furent venus vers les filles des hommes, et qu’elles leur eurent donné des enfants : ce sont ces héros qui furent fameux dans l’antiquité.
5- L’Éternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal.
6- L’Éternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur.
7- Et l’Éternel dit : J’exterminerai de la face de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel; car je me repens de les avoir faits.
8- Mais Noé trouva grâce aux yeux de l’Éternel. Et plus loin :
11- La terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence.
12- Dieu regarda la terre, et voici, elle était corrompue ; car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre.
13- Alors Dieu dit à Noé : La fin de toute chair est arrêtée par devers moi ; car ils ont rempli la terre de violence ; voici, je vais les détruire avec la terre.
14- Fais-toi une arche de bois de gopher ; tu disposeras cette arche en cellules, et tu l’enduiras de poix en dedans et en dehors… » (1)


Dessin de l'arche

Quel est le lien entre les deux récits ?
Il s’agit manifestement de la destruction de l’humanité… Pour quelle raison ?
L’homme ne se comportait pas de manière juste… (voyant l’état de notre société et de la rapacité des dirigeants, je vais peut-être m’acheter un parapluie… qui sait…)
la raison de cet événement destructeur dans les deux cas, est le désir du démiurge de régénérer la terre. C’est le véritable but du déluge.
Dans ce cas, il n’est en rien extraordinaire de retrouver ce sens précis dans un processus initiatique, surtout en fin de parcours, au moment ou l’éveil vient normalement. L’Eveil ayant pour conséquence de "réajuster" l’homme, de le "réinitialiser" selon le monde Divin.


Sceau sumérien

Examinons la version antérieure du déluge illustrée par l’histoire du "Supersage".
Il s’agit du "Poème d’Atrahasis" ou du "Supersage", relaté par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer dans l’ouvrage : "Lorsque les dieux faisaient l’homme" aux éditions Gallimard.
Il s’agit de bribes de textes plus ou moins importants et remontant au moins à l’époque du roi Hammurabi (1792-1750).
Ce texte, ici résumé, commence par une forme de théogonie au cours de laquelle les dieux se répartissent les fonctions et les espaces à gouverner:
D’abord apparaissent les grand dieux ou Anunnaku célestes: Anu, le roi et père, Enlil, le souverain de la terre, Ninurta le préfet, Ennugi le contremaître et Enki le prince, entre autres divinité... Les dieux célestes gouvernaient les dieux inférieurs, les Igigu, qui trimaient à transformé la terre. Comme cela durait depuis plus de deux mille cinq cent ans, les Igugi finirent par se révolter contres les Anunnaku. Un arrangement fut bientôt conclu, une race d’hommes fut créée avec de l’argile, par une déesse : Bêlet-ili, la matrice et le dieu Enki. Mais afin que cette race puisse naître, les dieux immolèrent l’un des leurs, le dieu Wé, pour que soient associé dieu et homme réunis en l’argile. L’Esprit de ce dieu dans l’homme devait le garder de l’oubli !
Les humains prospérèrent, car la mort n’existait pas. La multitude des humains et leur vacarme finirent par incommoder le souverain Enlil. Celui-décida de réduire leur nombre en envoyant plusieurs fléaux sur les hommes : maladies et famine. Mais cela ne suffit pas et Enlil décida enfin de les détruire tous au moyen d’un épouvantable déluge.
Le dieu Enki avait un conseiller : le « Supersage » et il averti celui-ci. Enki lui conseilla de se détourner de ses biens et de construire un grand bateau, car le déluge adviendra dans sept jours. Supersage construisit le bateau, embarqua des animaux de toutes sortes et fit entrer sa famille juste avant cette épouvantable tempête. L’humanité fut détruite, à l’exception de cette petite enclave flottant sur l’océan déchaîné. Bientôt le bateau aborda un sommet et Supersage dispersa tous ce que contenait le navire.
Le dieu Enlil s’aperçut de la présence du Supersage et de sa famille et entra dans une violente colère. Enlil comprit que seul Enki avait pu avertir ces hommes et faire en sorte de sauver l’humanité. Enki finit par calmer le souverain de la terre, et Enlil accepta que le peuple des hommes se déploient à nouveau, mais avec des restrictions. Ainsi la mort sera imposée aux hommes, toutes les femmes ne seront pas fécondes, et la « Démone-éteigneuse » choisira parmi les nouveau-nés ceux qu’elle emmènera. Cette triple loi fut appliquée, jusqu'à aujourd’hui.


Dessin noir et blanc fin 19eme

Cette version du déluge ne met pas l’accent sur la régénération de l’humanité comme les textes précédents. Nous y voyons des dieux impériaux exerçant leur volonté sur les hommes et les dieux inférieurs. Ces dieux décrètent la fin de la race qu’il ont créée, parce qu’ils sont simplement fatigués et exaspérés. Ce que l’on peut remarquer dans ce texte, c’est que les hommes ont été créés par les dieux et qu’une parcelle de dieu est en eux, pour les garder de l’oubli. Comme une part du divin était en l’homme, celui-ci était immortel, et c’est la trop grande fécondité et le développement anarchique de la race humaine, qui a décidé des lois de restrictions imposées à l’homme.

Les bribes de textes que les archéologues ont retrouvé sont certainement liés à un ensemble de textes exprimant une vision spirituelle et religieuse, qui forme un tout. Le peuple sémite descendant des Akkadiens, vers le huitième siècle avant notre ère, a du s’en inspirer pour créer les cinq textes de l’ancien testament, ou Pentateuque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome. Ce Pentateuque ou Thora, est cet ensemble de textes considérés avoir été écrit par un "Supersage" : Moise….

De quelle façon s’exprime la spiritualité sumérienne et Akkadienne ?
Il est difficile de s’en faire une idée au vu des bribes de textes en notre possession, provenant de régions et d’époques relativement éloignées !
Le déluge signifie :
- soit une punition de dieu ou des dieux sur le plan naturel ou macrocosmique,
- soit une régénération naturelle ou forcée sur le plan intérieur ou microcosmique.
La part Akkadienne Sémite, a pu apporter la notion du « jugement », (thème lié à ce peuple), à ce qui n’est que « norme cyclique naturelle » chez les Sumériens.


Peinture du 19eme siècle

Dirigeons-nous encore plus à l’est, pour découvrir une autre histoire sur ce thème du déluge…
Il s’agit du récit du déluge indien que l’on peut trouver dans la vaste épopée du Mahâbhârata. Cette histoire date vraisemblablement d’avant notre ère, sans pouvoir préciser si elle précède l’ère de la conception de l’ancien testament.
C’est la traduction de G. Schaufelberger et G.Vincent que nous reproduisons, prise sur le site : http://www.utqueant.org (1).

Le Déluge indien ou Histoire du poisson
1. Alors, le fils de Pându (Yudhishthira le roi du Mahâbhârata) dit encore à Mârkandeya : "Raconte-moi l'histoire de Manu Vaivasvata (c’est le nom du premier homme) . Mârkandeya dit :
2. Ô vaillant roi, le glorieux fils de Vivasvant rayonnait comme Prajâpati.
3. De plus, il surpassait son propre père et son grand-père en force, en puissance, en majesté et en ascèse.
4. Sous le grand jujubier Badarî, ce roi pratiqua une très sévère ascèse, se tenant sur un pied, les bras en l'air.
5. La tête en bas, immobile et sans cligner des yeux, il mena une terrible ascèse pendant dix mille ans.
6. Un jour, un poisson nageant au bord de la rivière Vîrinî dit à cet ascète portant chignon et vêtement d'écorce souple :
7. Seigneur, je suis un tout petit poisson. J'ai peur des gros poissons, plus forts ! Protège-moi, s'il te plaît, ô ascète.
8. Les poissons les plus forts mangent les plus faibles : telle est l'immuable sort qui nous est imparti.
9. Je t'en prie, sauve-moi de ces flots qui me terrorisent et où je risque la mort. Je te récompenserai de ce que tu feras. (Mârkandeya dit :)
10. Manu Vaivasvata, débordant de compassion, prit le poisson dans sa main,
11. Le fit venir à la rive et le jeta, brillant comme un rayon de lune, dans une grande jarre.
12. Le poisson, ô roi, y prospéra comme un hôte de marque. Et en outre, Manu s'éprit de lui comme d'un fils.
13. Longtemps après, le poisson, devenu très gros, ne tint plus du tout dans l'eau de la jarre.
14. Alors, il vit Manu et lui dit encore : "Seigneur bienveillant, procure-moi maintenant un autre séjour !"

15. Manu, le vénérable ermite, le retira de la jarre, le transporta vers un grand réservoir d'eau,
16. Et l'y jeta, ô destructeur de villes. Le poisson qui y prospéra pendant de nombreuses années.
17. Ce réservoir avait deux lieues de long et une de large. Mais le poisson n'y tenait plus, au point de ne plus pouvoir bouger, ô royal fils de Kuntî aux yeux de gazelle (Yudhishthira).
18. Alors, il vit Manu et lui dit encore : "Seigneur bienveillant, conduis-moi à la reine des rivières, la Gangâ (le Gange) : je vivrai là, mon ami, si tu en es d'accord."
19. À ces mots, Manu obéit : il le mena à la rivière Gangâ et l'y jeta lui-même sans hésiter.
20. Le poisson y prospéra un certain temps, ô seigneur invincible, puis il vit Manu et lui dit de nouveau :
21. "Seigneur, je ne peux plus me mouvoir dans la Gangâ, à cause de ma taille. Je t'en prie, conduis-moi à l'océan.
22. Manu lui-même retira le poisson des eaux de la Gangâ, le conduisit à l'océan et l'y jeta.
23. Car, bien qu'il fût devenu très grand, aux yeux de Manu il était facilement transportable et agréable à sentir et à caresser.
24. Et quand le poisson fut jeté dans l'océan par Manu, mon cher, il lui dit en souriant : (Le poisson dit :)
25. Seigneur, tu as tout fait, sans rien omettre, pour me sauver. Apprends de moi ce que tu devras faire quand le temps sera venu.
26. Dans peu de temps, ô seigneur méritant, toutes les créatures et toutes les choses sur la terre iront à la destruction.
27. Le temps de la destruction des mondes par le déluge est proche. C'est pourquoi, je vais t'apprendre dès maintenant des choses qui te seront très utiles.
28. Pour tout ce qui est mobile et tout ce qui ne se meut pas, parmi les êtres et les choses, les temps de l'épouvante sont venus.
29. Tu dois construire une arche bien close, munie d'une corde. Tu y monteras avec les sept Grands Anciens, ô grand ermite.
30. Dans cette arche, tu feras entrer tour à tour toutes les semences que je t'ai nommées auparavant, bien protégées les unes des autres.
31. Ô toi, l'ami des ascètes, tu m'attendras dans l'arche. Je viendrai, j'aurai une corne sur la tête : à cela tu me reconnaîtras.
32.Voilà ce que tu devras faire. Salut ! Je m'en vais. Ne mets pas en doute ma parole, ô seigneur !

(Mârkandeya dit :) 33. Il répondit au poisson : "Ainsi je ferai !" Puis, après s'être salués, ils s'en allèrent tous deux où bon leur semblait.
34. Alors, ô grand roi, Manu, avec toutes les semences que lui avait indiquées le poisson, navigua dans sa belle arche sur l'océan qui débordait.
35. Manu évoqua le poisson, ô roi irrésistible, descendant de Bharata, et celui-ci, devinant l'appel, arriva à toute allure, une corne sur la tête.
36. Manu aperçut, haut comme une montagne dans les flots de l'océan, le poisson portant, comme il l'avait dit, une corne sur la tête, ô seigneur des rois.
37. Alors, Manu fixa l'amarre tressée à la corne sur la tête du poisson, ô homme vaillant.
38. Le poisson, accroché à l'amarre, tira vigoureusement l'arche sur les eaux salées, ô roi invincible.
39. Avec l'arche, ô roi, il traversa l'océan qui dansait de ses vagues et grondait de ses flots.
40. Poussée par les grands vents, l'arche vacillait en tous sens sur l'immense océan comme une prostituée ivre.
41. La terre, l'horizon, les points cardinaux avaient disparu. Tout l'espace et le ciel n'étaient qu'eau, ô puissant guerrier.
42. Et dans ce monde ainsi bouleversé, n'existaient plus que les sept Grands Anciens, Manu et le poisson, ô Bhârata.

43. Ainsi, ô roi, le poisson tira l'arche pendant de nombreuses années sur l'immensité des eaux.
44. Il la tira jusqu'au seul sommet de l'Himavant (Himâlaya) qui dépassait, ô vaillant descendant de Puru.
45. Puis, souriant légèrement, il dit aux Grands Anciens : "Amarrez l'arche sans tarder à ce sommet de l'Himavant."
46. Sur le conseil du poisson, les Grands Anciens amarrèrent aussitôt l'arche au sommet de l'Himavant, ô vaillant Bhârata.
47. Sache, ô fils de Kuntî, qu'aujourd'hui encore, ce sommet le plus élevé de l'Himavant (Himalaya) est appelé "l'amarrage de l'arche".
48. Alors, l'Immortel dit aux Grands Anciens ensemble : (Brahmâ dit :) Je suis Brahmâ, le maître des créatures; il n'y a personne au dessus de moi. Sous la forme d'un poisson, je vous ai sauvé de ce désastre.
49. Par Manu doivent être créés toutes les créatures, les dieux, les démons et les hommes, tous les mondes, ce qui est mobile et ce qui ne se meut pas.
50. Grâce à une sévère ascèse, il saura les imaginer, grâce à ma bienveillance, il ne fera pas d'erreurs. (Mârkandeya dit : )
51. À ces mots, le poisson disparut en un clin d'œil. Et Manu Vaivasvata lui-même s'efforça de créer les êtres. Mais il ne savait pas comment les créer. Il entreprit une grande ascèse.
52. Tout en continuant cette ascèse, Manu se mit à créer directement, selon les règles, toutes les créatures, ô vaillant Bhârata.
53. Je t'ai raconté cette histoire ancienne connue sous le nom de "récit du poisson" : elle enlève les péchés.
54. Qui écoutera constamment cette histoire de Manu depuis le début obtiendra le bonheur, l'accomplissement de ses désirs et il ira au ciel.


Peinture du 19eme siècle

Il est à remarquer que c’est grâce à ses actions bienveillantes envers ce poisson, que Manu – le premier homme – sauve sa vie, et celle de l’humanité. Si l’on considère cette histoire sur un plan de développement de conscience de soi, ces actions sonnent manifestement à l’unisson des différentes phases initiatiques.

Examinons cela…
1/ Ainsi, c’est grâce à une terrible ascèse ou à un « véritable retournement sur soi » que le poisson se manifeste. Ensuite, comme il est d’usage dans les histoires mythologiques indiennes, le poisson est l’illustre divinité créatrice : Brahmâ.
2/ le dieu lui impose différentes épreuves, que le disciple choisit de son plein gré d’exécuter ou non.
3/La première demande qui déclenche cette initiation sort l’être du cycle infernal des réincarnations. C’est le message du premier échange entre le poisson et Manu.
4/ les requêtes successives du poisson exécutées par Manu sont au nombre de quatre : la base nécessaire à l’Eveil est construite. L’espace intérieur s’est empli d’énergie spirituelle en quatre phases.
5/ l’enseignement de maître à disciple peut commencer réellement. Le thème du déluge dans cette histoire initiatique exprime la régénération intérieure. Cette régénération demande un effort au disciple : celui de connaître (naître –avec) ce qui compose les différents aspects de soi ; Et d’appréhender et la totalité de sa sphère de vie – son microcosme relié au Divin ou arche.
6/ le déluge arrive et c’est le poisson-Brahmâ qui permet à Manu de voguer sur ce nouvel espace ou aucune terre n’est connue ou visible. Passer du monde matériel formaté par nos désirs, concepts et actions, au monde intérieur Divin, est une aventure extrêmement déroutante qui doit être guidée par un maître.
7/ ainsi vient le point le plus élevé de l’initiation, symbolisé par l’himalaya. Ce sont les sept sages qui amarrent l’arche. Avec Manu, ce sont les seuls êtres sur une immensité totalement nouvelle… Ces sept anciens sont les bases de l’hindouisme : les bases de toute connaissance permettant de construire une nouvelle vie, une nouvelle conscience…
8/ c’est à ce moment que le dieu créateur dévoile sa véritable identité : c’est la conscience ouverte au Divin, c’est l’Eveil..
9/ cette histoire, bien comprise, entraîne la conscience humaine vers une autre orientation : celle de l’écoute de Soi. C’est son but et en cela elle est une aide pour chacun de nous…

c’est là une autre approche du mythe du déluge : la régénération qu’entraîne la voie spirituelle.
Les textes Indiens sont peut-être plus explicites que la bible : pourtant la bible est un texte sacré relatant la relation entre Dieu, Yavhé et les hommes. C’est le texte sacré d’un peuple, alors pourquoi n’en retirer qu’une simple relation historique ???


Peinture du 19eme siècle N&B

Le déluge est présent dans le Mahâbhârata, et selon ce texte, à la fin de chaque Yuga ou ages de Vishnou, les mondes sont souvent détruits de cette manière. Nous trouvons d’ailleurs dans les textes hindouistes un autre déluge encore plus épouvantable que tous ceux qui précédent. En fait, les déluges précédents font figure de vulgaires « douches » purificatrices. Voici ce que l’on trouve dans le Bhagavata Purana, au chant douze, chapitre quatre, intitulé : les âges de la destruction…


Photo en N&B

"L’Universelle Annihilation"
Sukadeva Gosvami dit: » Mon cher roi, j'ai déjà décrit pour vous les mesures de temps, en commençant par la plus petite fraction mesurée par le déplacement d'un seul atome jusqu'à la durée de vie totale de Brahmâ.
Un millier de cycles de quatre ans constituent un seul jour de Brahmâ, connu comme un kalpa. Après une journée de Brahmâ, l'annihilation se produit au cours de sa nuit qui est de la même durée.
L'anéantissement, se produit lorsque Vishnou le créateur, le Seigneur Narayana, se couche sur le serpent Ananta Sesa et absorbe tout l'univers en lui-même. Lorsque les deux moitiés de la durée de vie de Brahmâ, sont complets, les sept éléments de base de la création sont anéantis.

O roi, avec l'anéantissement des éléments matériels, l'œuf universel, comprenant tous les éléments de la création, entre en fusion et est confronté à la destruction.
À l'approche de l'annihilation, ô roi, il n'y aura pas de pluie sur la terre pendant cent ans. La sécheresse va conduire le peuple à la famine.
Le soleil dans sa forme terrifiante va boire avec ses rayons toute l'eau de l'océan, la vie organiques et la terre elle-même. Mais le soleil dévastateur ne donnera aucune pluie en retour. Ensuite le grand incendie de l'anéantissement éclatera de la bouche du Seigneur Vishnou. Porté par la puissante force du vent, ce feu va brûler tout l'univers, laissant la coquille cosmique sans vie. Brûlé de tous les côtés, en haut par un soleil de plomb et par le bas, par le feu de l' Éternel, la terre brillera comme une balle brûlante. Un grand et terrible vent de destruction va commencer à souffler pendant plus de cent ans, et le ciel, couvert de poussière, deviendra gris.
Après cela , ô roi, des groupes de nuages multicolores se réuniront, le tonnerre rugissant déversera des torrents de pluie pendant une centaine d'années. La coquille de l'univers va se remplir d'eau, formant un seul océan cosmique. Les éléments : le feu, l'eau, l'air et la terre se dissoudront dans l'éther. Après quoi l'éther fusionnera dans la puissance de l'origine et cette puissance réintègrera la volonté suprême de l'Eternel qui sera ensuite absorbé dans l'être des êtres qui est Vishnou.
Ceci est l'anéantissement appelé Prakrtika ».

Ce n’est pas un simple cataclysme terrestre, c’est la destruction de l’univers !
Il est impossible que l’homme se souvienne de cela, comme il est impossible qu’il se souvienne d’un déluge tellement extraordinaire que tous les hommes sont morts, sauf un ou trois ou huit, selon les textes. Dans le cas du « Prakrtika » il s’agit simplement d’un cycle cosmique sans que l’homme « dépravé et matérialiste » soit en cause.

Le déluge ou la destruction de l’univers par le dieu suprême Vishnou exprime encore une nécessaire régénération, lors d’un cycle tout simplement.
Ainsi sur le plan macrocosmique ou microcosmique, le plan divin s’exprime de façon cyclique….

L'Aède