Légendes de l'Aède

Les sept princesses de Nézâmî

Le Pavillon aux Sept Princesses


C’est le titre d’un célèbre ouvrage d’un poète persan du moyen age, Nézâmî de Gandjeh qui fait partie de ses cinq poèmes connus dans toute la Perse et le moyen orient. Les « sept portraits » ou « pavillon des sept princesses » est le quatrième poème de Nézâmî, écrit en 1197, en Azerbaïdjan. il a été étudié par les soufis et les érudits de l’orient pendant des siècles.
C’est le parfait exemple de manuscrit relatant une épopée guèrrière et somme toute banale, qui à été et est le support à une méditation philosophique et spirituelle.
Les mouvements spirituels du monde de l’Islam étaient particulièrement florissants à cette époque et Nézâmî en avait cotoyé plusieurs. Ainsi son premier ouvrage fut : Le Trésor des Secrets, composé de louanges à Dieu et à Mohammad son prophète, et de vingt discours sur les différents formes d’éthiques et de comportements pouvant mener au divin. Ce livre comporte des fables permettant de mieux assimiler les notions spirituelles proposées, comme ce sera le cas dans « les sept portrait ».
Cette manière de transmettre un message spirituel ou moral est venu de l’inde avec le « Pancatantra » et d’autres écrits, et ainsi cette facon perdurera jusque dans les contes des « milles et une nuits ». Dans « les sept portraits », les princesses racontent chacune une histoire au prince Barhâm et ainsi lui permettent d’élever sa conscience jusqu’au cieux.


Exploit de Fetneh apportant un bœuf sur ses épaules

Le livre « Le Pavillon des Sept Princesses » à été traduit par Michaêl Barry et est disponible aux éditions Gallimard – connaissance de l’orient- 2000.
Voici le résumé fait par Michael Barry
À l'empereur de Perse Yazdag'erd I", naît enfin un fils: le prince Bahrâm. Mais les astrologues royaux craignent que ce fils, une fois de­venu grand et preux, ne se transforme en rival de son père, et conseillent au souverain de l'éloigner en en confiant l'éducation à son vassal, le roi­telet arabe de Hîra, No'mân. Bahrâm grandit donc parmi les Arabes du désert et en acquiert les vertus guerrières. Devenu redoutable archer, il rejoint au galop pour les flécher les animaux les plus véloces du désert, les hémiones ou onagres - les goûr, d'où son surnom de Bahrâm-Goûr, « Bahrâm de l'Onagre ».
Or le roi No'mân édifie un palais comme le monde n'en a jamais vu. Semnâr, maître bâ­tisseur byzantin, crée pour lui le château magique de Khawarnaq, dont le dôme « poli de gypse et de lait » mire les humeurs changeantes du fir­mament : turquoise au matin, doré sous le soleil au zénith, blanc si s'in­terpose un nuage, noir dans la nuit. Mais le roi, de peur de voir l'artiste grec dresser plus belle merveille ailleurs, le fait précipiter du haut des remparts.
La justice divine n'épargne point le roi No'mân. Un jour que ce monarque demande à ses ministres s'il existe plus grande splendeur au monde, l'un d'eux répond qu'il lui vaut mieux penser à Dieu : si le roi connaissait seulement la fragilité des royaumes de ce bas-monde aux yeux du Seigneur, il en détournerait aussitôt le regard. No'mân tres­saille, déchire ses atours royaux, dévale l'escalier du château et s'enfuit dans le désert, où il disparaît à jamais aux yeux des hommes, en aban­donnant son royaume et la tutelle du prince Bahrâm à son fils, l'avisé Monzer.
Le nouveau roi Monzer reprend en main l'éducation de Bahrâm. Le prince impérial acquiert la sagesse des astres et des lettres aussi bien que l'habileté des armes.
Cependant le prince Bahrâm poursuit ses chasses, la meilleure école de guerre. Voit-il s'abattre un lion sur l'échine d'un onagre ? Bahrâm, d'une flèche unique, perce les deux bêtes de part en part, et une fresque commémore son exploit dans le château de Khawarnaq. Un dragon dé­vore-t-il un poulain d'onagre ? De ses dards et de son glaive, Bahrâm tue puis éventre le monstre, et découvre, dans son antre, un trésor.
C'est alors que Bahrâm tombe, dans un couloir du château de Khawar­naq, sur une porte dérobée, dont nul n'avait jamais tenté l'accès. Le mal­heureux architecte y avait dissimulé le secret du destin de l'héritier du trône des Sassanides. Avec la clef retrouvée au trousseau d'un gardien, Bahrâm ouvre la pièce : elle s'orne de fresques à inscriptions, représen­tant Sept Princesses.

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La princesse de l'Inde sous la coupole noire

Elles sont si belles que le prince s'en éprend aussitôt.

Cha­cune, dans son Image, revêt sa Couleur. Leur nombre correspond aux Sept Jours de la semaine, placés sous le signe des Sept Planètes.

Ces Sept Images sont celles de 1 - la Princesse de l‘lnde, vêtue de Noir, sous le signe de Saturne, Dame du Samedi ;
2 - de la Princesse de Byzance, vêtue de jaune-Or, sous le signe du Soleil, Dame du Dimanche ;
3 - de la Princesse de Chorasmie (le pays des Turcs d'Asie centrale), vêtue de Vert, sous le signe de la Lune, Dame du Lundi ;
4 - de la Princesse des Slaves, vêtue de Rouge, sous le signe de Mars, Dame du Mardi ;
5 - de la Princesse du Maghreb, vêtue de Turquoise, sous le signe de Mercure, Dame du Mercredi ;
6 - de la Princesse de Chine, vêtue de la couleur du Bois de San­tal, sous le signe de Jupiter, Dame du Jeudi ; et enfin...
7 - de la Princesse de Perse, vêtue de Blanc, sous le signe de Vénus, Dame du Vendredi, le Jour sacré.
Toutes ces figures tournent leur regard vers l'image de Bahrâm-Goûr lui-même, au-dessus du portrait duquel Semnâr, le maître-d'oeuvre, a calligraphié le nom du prince. Bahrâm-Goûr comprend son destin : il lui faut conquérir son empire, pour ensuite épouser les Sept Princesses. Mais mainte épreuve l'attend.


La princesse de Byzance sous la coupole jaune

Quand meurt l'empereur de Perse, exécré par ses mages, ceux-ci pré­fèrent couronner un vieux noble de la cour, un certain Khosrô, plutôt que de céder le pouvoir au fils du monarque détesté, éduqué de surcroît chez les dangereux Arabes à la rude école du désert.
Mais Bahrâm n'entend point se laisser déposséder de l'empire. Son tuteur, le roi Monzer, lui offre son appui. Bahrâm paraît devant les portes de la capitale, Ctésiphon, avec sa cavalerie bédouine, et fait trembler les mages. Alors le prince propose, aux Perses, une ordalie. Que les mages dé­posent dans un champ clos, entre deux lions déliés de leurs chaînes, la couronne! Que celui des deux prétendants qui l'ose, descende dans le champ clos, s'empare de la couronne entre les deux fauves et monte alors sur le trône ! Les mages acceptent. Le prétendant Khosrô se récuse. Seul Bahrâm, en héros, bondit entre les deux lions, les terrasse de sa masse d'armes et se coiffe de la couronne.
Une fois intronisé, le nouveau shâh paraît justifier les inquiétudes des mages à son égard. Il ne s'adonne qu'à ses beuveries le soir, à ses chasses le jour, en aban­donnant l'exercice du pouvoir à ses vizirs. Une famine ravage le royaume et les nobles murmurent. Les ennemis de l'empire relèvent la tête. Le Grand Khân du Turkestan chinois, entraîne ses hordes nomades, franchit le fleuve Oxus et envahit la Perse. Alors Bahrâm secoue son ivresse, réunit une troupe d'archers, sur­prend le camp de ses adversaires avant l'aube et les massacre sous les flèches des siens. Le Grand Khân s'enfuit de Perse à bride abattue et de­mande la paix. Bahrâm victorieux est enfin Roi des Rois de Perse. Alors les six rois de la terre font soumission et lui envoient leurs filles, les Six Princesses - celles des portraits -, qu'il épouse toutes, com­blant ainsi son désir ; il leur adjoint une Septième, la Princesse de Perse. L'heure est en effet venue pour que le Roi des Rois soit initié, désor­mais, à une sagesse plus haute. À la cour du shâh se présente un nouveau bâtisseur byzantin : Shêdeh, disciple de l'infortuné Semnâr, héritier de son art. Ce second maître bâtit le château à Sept Coupoles, dont la splendeur dépasse, de loin, le château de Khawarnaq. Bahrâm n'a garde d'imiter l'ingratitude du roi No'mân, mais comble d'or l'artiste de Byzance.
Sous ces sept coupoles siègent désormais les Sept Princesses, chacune sous son dôme coloré de faïences selon la teinte de son climat et le ton de son astre ascendant. Alors, pendant sept nuits, Shâh Bahrâm connaît, successivement, les Sept Princesses. Chaque jour de la semaine, il revêt un caftan de même couleur que la coupole de l'épouse qu'il visite. Chaque princesse lui narre un récit plus ou moins long. Au terme des sept récits des Sept Princesses, le shâh possède la sagesse des sept régions du monde. Ce progrès de Shâh Bahrâm de princesse en princesse, de coupole en coupole, de jour en jour et d'astre en astre forme le cœur du poème. Le shâh, contrairement au roi No'mân, eut un instant d'hésitation pieuse avant de s'engager dans le Pavillon des Sept Princesses -
« tout ceci n'est que demeures de passion et désir, où est la Demeure du Créateur des Demeures ? » -.
Ainsi grâce à ce mouvement pieux. il lui échoit le don divin d'initiation des Sept Princesses.
Mais cette semaine initiatique, où Bahrâm change chaque matin de manteau selon la couleur de la princesse du soir, ne dure-t-elle réelle­ment que sept jours ? Non, car avant de pénétrer dans le Pavillon des Sept Coupoles, le shâh fêtait, avec toute sa cour le solstice d'hiver du 21 décembre. Or, quand il émerge du Pavillon des Sept Princesses, le monde accueille déjà, dans l'épanouissement des arbres en fleur, le renouveau de l'équinoxe du prin­temps : c'est la Fête du Nô-Rôz, le « Nouveau Jour » du 21 mars. Le par­cours du shâh aurait-il donc duré, à son insu, trois mois ? Plus encore : en retrouvant le monde extérieur, le souverain apprend que son initia­tition aura duré sept ans.


La princesse de Chorasmie sous la coupole verte

Or, durant le temps enchanté de l'occultation initiatique de Shâh Bahram, l'hypocrite et cruel vizir Rdst-Rawshan à qui le monarque avait confié la régence de son royaume, n'a fait qu'en piller les ressources pour opprimer le peuple.
Issu du Pavillon des Sept Princesses, Shâh Bahrâm parachève sa sym­bolique résurrection. Étreint d'angoisse, il part à cheval méditer dans le désert, où il est reçu par un pâtre kurde, et le pâtre raconte au shâh ce qui c’est passé dans son royaume, ainsi Le shâh comprend que son vizir est un fourbe. De retour au palais, Shâh Bahrâm tient assemblée du peuple, écoute les sept récits de doléance des sept opprimés, crucifie le vizir, rétablit justice et prospérité, impose de nouveau respect aux nomades et à tous les royau­mes voisins, et se révèle, des décennies durant, un monarque idéal.
Alors, la soixantaine atteinte le temps vient pour lui de se préparer à passer dans l'Autre Monde : le shâh gagne à cheval le désert, sa Demeure dernière. Un Onagre paraît, l'entraîne et disparaît dans une caverne profonde.
Le shâh l'y suit au galop - pour s'enfoncer à jamais dans l'obscurité de l'antre et n'en plus jamais reparaître aux yeux des humains..
(Son nom est Bahram-Goûr, Bahrâm de l'« Onagre » ? En persan, goûr signifie également le « tombeau ». Ce jeu de mots porte le secret de son moi) écrit Michael Barry.


La princesse du roi des Slaves sous la coupole rouge

Nous retrouvons dans ce texte une trame très commune dans nos légendes…
Un jeune prince est écarté du trône, élevé dans un autres pays, et pour reprendre son royaume, il lui faudra le conquérir et affonter quelques épreuves. Si vous vous reportez aux pages précédentes de ce blog, vous avez déjà lu plusieurs descriptions des épreuves et passages obligatoires, du même genre, pour acquérir une attitude de clairvoyance de soi-même. Celles-ci sont nécéssaires pour amener enfin la conscience de l’initié à une écoute et à une reception des forces spirituelles latentes en lui-même. Dans le récit ce moment s’approche quand Bahram-Goûr, (celui qui doit porter en terre sa conscience des choses naturelles) pénétre sous le premier dôme, qui signifie le premier monde à explorer, le premier état de développement de l’âme .
Michael Barry dans son étude de l’ouvrage cite différentes références possibles à ces sept phases, mais voici selon un sens spirituel ce qu’il dit :
C.E. Wilson, reconnut dès 1924 l'élan symbolique général du Pavillon des Sept Princesses et proposait d’associer les sept coupoles aux sept étapes de l'âme purifiée, selon le schéma soufi classique suivant :
1° Nafi-é ammâreh: « L'âme charnelle prédomine » ;
2° Nafi-é lawwameh : « L'âme se blâme (ou se repent) » ;
3° Nafs-é molhameh : « L'âme est inspirée » ;
4° Nafi-é motma énneh : « L'âme s'apaise » ;
5° Nafi-é rdziyeh : « L'âme est satisfaite par Dieu » ;
6° Nafi-é marziyeh : « L'âme satisfait Dieu » ;
7° Nafi-é sdfiyeh-ô kâmeleh : « L'âme est pure et parfaite »


La princesse du roi du Maghreb sous la coupole turquoise

Michael Barry cite plus loin :
L’Ascension de l’âme passe du noir du deuil enténébré, à travers cinq couleurs intermédiaires, jusqu’au blanc lumineux de la réunion au principe divin.
Ainsi, tous les évenements de cette épopée sont simplement des déscriptions imagés, des péripéties et phases que peuvent rencontré un aspirant au monde divin et être parfaitement anodine pour n’importe qui d’autres.


La princesse de Chine sous la coupole couleur de santal

Terminons avec un poème extrait du troisième livre de Nézâmî :
Leylî et Madjnoûn, traduit par Mahshid Moshiri
"On me pousse à me séparer de l'amour On me dit "débarrasse toi de l’amour" Seigneur! Je te jure devant ta Divinité, Et encore devant ta Déité Relève-moi jusqu’au bout de l'amour, Que ne finisse pas ce grand amour, Abreuve mon âme à la source de l’amour Ne me prive pas du kohol de l’amour Je suis aviné par le vin de l’amour Assoiffe-moi pour du vin de l’amour."


La princesse d'Iran sous la coupole blanche

En plus du livre « le Pavillon des Sept Princesse » traduit par Michael Barry Voici les références de :
Les cinq poèmes de NEZÂMÎ – chef d’œuvre d’un manuscrit persan du XVII siecle par Francis Richard – bibliothéque de l’image – 2001
Le roman de Chosroés et Chirin de NIZAMI traduit du persan par Henri Massé – éd Maisonneuve et Larose - 1970
Le Trésor des Secrets de Nézami - ed Desclee de Brouwer - 1987

L'Aède