Légendes de l'Aède

Le coeur et la source

Voici une légende particulièrement belle, étrange et poétique, extraite d’un livre de contes juifs(1).
Ce conte n’a pas besoin de longue explication, car il parle de lui-même... directement au cœur de l’être.


Photo montage personnel

Le coeur du monde et la source pure


A un bout du monde, loin des mers et des rivières, par-delà les bois, les champs, les jardins et les plaines glacées, se dresse une haute montagne. Elle est si éloignée des hommes qu'aucun mortel ne l'a encore aperçue, et elle s'élève jusqu'au firmament. Rien n'égale la dureté de cette montagne. Ses flancs ne présentent pas la moindre fissure et sont lisses comme le verre.
A un endroit seulement, à son sommet, la pierre est fendue. Là s'ouvre une petite cavité d’où jaillit une source d'eau pure.


Photo montage personnel

A l'autre bout du monde, caché aux hommes, se trouve le cœur du monde.
Car le monde a un cœur, comme chaque animal et chaque chose. Tout en battant, le cœur du monde observe la source pure. Il la regarde sourdre du sommet de la montagne, soupire après elle, languissant d'un grand amour, mais il ne peut l'approcher.
Si le cœur du monde bougeait un tant soit peu de sa place, il cesserait alors de voir le mont et sa source pure. Celle-ci disparaissant de sa vue, son pouls s'arrêterait aussitôt. Le cœur mourrait de chagrin et le monde avec lui car, si quelqu'un perd son cœur, il perd aussi la vie.
C'est un charme puissant et mystérieux qui lie la source pure au cœur du monde.
Le cœur ne peut vivre sans la source, mais la source elle-même se dessécherait sans le cœur. Car à chaque crépuscule, il lui fait un cadeau: un jour, un seul jour, pendant lequel elle peut continuer de jaillir.
Lorsque le jour s'achève, la source claire se met à chanter. Seul le cœur du monde entend sa voix, et il répond à la source lui aussi en chantant. Ses mélodies sont étranges et fascinantes. Elles n'ont ni paroles ni notes, aucune tonalité de joie, ni de chagrin. La trame des chansons de la source pure et du cœur du monde est formée de fils de lumière qui s'élèvent dans l'azur, traversent les sept cieux pour se déployer très haut, au-dessus de la terre, en un réseau de splendeur et d'éclat.
Jour après jour, un ange s'approche de cette trame pour en tisser le jour suivant. Une fois son travail terminé, il envoie le jour au cœur du monde qui l'offre à la source claire, de sorte que celle-ci peut jaillir jusqu'au prochain crépuscule.


Photo de Hubble

L'ange divin qui tisse dans la trame lumineuse le jour nouveau doit être, lui aussi, recréé chaque fois. Ce sont les bonnes actions qui forment sa tête, son corps, ses mains, ses jambes, mais les mauvaises le détruisent.
Si les gens s'aident et vivent dans la paix de dieu, ils permettent à l'ange de naître.
Mais, s'il se trouvait un jour sur terre plus d'hommes qui tuent, volent et mentent, l'ange n'apparaîtrait plus. Nul ne rassemblerait plus les fils des chansons de la source pure et du cœur du monde pour en tisser le jour suivant. Le cœur du monde n'offrirait plus à la source son présent, celle-ci tarirait et, sans elle, le cœur du monde cesserait de battre. Alors le souffle des oiseaux, des biches et des gens s'arrêterait, les fleurs et les arbres se dessécheraient, les villes et les villages disparaîtraient, tandis que les montagnes et les vallées s'effondreraient pour ne plus jamais renaître ...


Photo de Hubble

Superbe légende, édifiante pour notre époque...

Au-delà de l’approche moralisatrice ou religieuse, c’est l’aspect « relationnel » dans ce conte, qui exprime ici un vaste plan, un réseau dans lequel toutes choses sont interdépendantes. Cette relation s’exprime en fonction des pensées, des intentions de tous les hommes et de toutes les femmes de cette terre, et en totale relation avec un milieu vivant ; car cette terre est vivante - tous les peuples proches de la nature le disent de différentes façons - mais nous occidentaux, nous l’avons oublié.

La question est :
à quel point cette planète peut porter une ou des formes de consciences, car tout est conscience…


Dessin tiré de logiciel graphique

Le but de tous les chemins spirituels est de retrouver La Conscience, car sans conscience parfaite, il n’est pas d’harmonie et pas de vie réelle. La souffrance de l’être provient d’une notion de séparation au plus profond de soi, ou d’un sentiment de conflit, mais de conflit avec quoi ?


Les légendes évoquent tous les conflits intérieurs de l’être, les réveillent et poussent les hommes à partir en quête d’eux-mêmes. Le chemin du « merveilleux » peut se révéler également un bon chemin. L’attention à « ce qui est » est plus profonde lorsqu’elle est accompagné de l’interrogation et de l’ouverture au merveilleux de l’existence.

Ou est le cœur du monde en nous ?
Ou est la source vive ?


Photo actuelle

L'Aède

1/Cette légende provient de l'album : Contes Juifs, racontés par Léo Pavlat, édition Gründ 1986.