Légendes de l'Aède

La cité d'YS

C’est certainement la plus célèbre cité du pays breton, celle qui a fait couler le plus d’encre et de salive, et qui, - peut-être - n’a jamais existée !!!

Si vous voulez avoir une vue d’ensemble des diverses origines et des interprétation du mythe, vous pouvez consulter la page wikipédia sur la cité d'Ys, très bien faite.
Cependant, le livre de référence, (dont la page wiki est fortement inspirée), est celui de Mme Françoise Le Roux et Christian-J Guyonvarc’h : "La légende de la ville d’Ys".
Ce livre est une très bonne analyse du mythe, par le travail de recherche des écrits antérieurs au 19eme siècle, siècle qui a connu un engouement particulier pour ce thème.
Il reste néanmoins qu’à la fin de la lecture de ce livre, le mystère de la cité d’Ys, n’est pas vraiment levé. La page Wikipedia nous fait part des diverses interprétations de ce mythe, mais comme le thème est très ancien, il est très difficile d’en sortir quelques certitudes. J’ai lu ces interprétations et il m’a semblé qu’il en manquait une, aussi voici cette page qui, j’espère, vous édifiera et vous élèvera au dessus des flots…


Tableau 19eme

Pour commencer il nous faut rappeler cette légende :
Voici la version d’ Emile Souvestre dans le magasine : « Le Foyer breton », aux Ed W. Coquebert, et qui date de 1845.

La légende de la ville d'Ys
«Dans les temps très anciens, il y avait en Cornouaille un roi puissant qui se nommait Grallon. C'était un homme aussi ami du bien qu'aucun fils d'Adam et qui accueillait à sa cour tous les gens de renom, qu'ils fussent nobles ou roturiers. Malheureusement, il avait pour fille une princesse de conduite déréglée qui, pour échapper à sa surveillance, était allé habiter Keris, à quelques lieux de Quimper.
Un jour que le roi Grallon chassait avec sa suite dans une forêt placée au pied du Ménéhom, ils se perdirent et arrivèrent tous à l'ermitage du solitaire Corentin. Grallon avait entendu parler de ce saint homme, et il se réjouit d'avoir été conduit jusqu'à sa demeure ; mais ses serviteurs qui mouraient de faim, regardaient d'un air triste la pauvre logette du saint en se disant l'un à l'autre qu'il faudrait souper d'oraisons.
Corentin, éclairé par Dieu, devina leur pensée. Il demanda au roi s'il ne voulait point accepter une collation, et, comme Grallon répondit qu'il n'avait rien mangé depuis le chant du coq, le saint appela l'échanson et le cuisinier pour préparer un bon repas après une si longue abstinence.
Il les conduisit tous deux à la fontaine placée près de son ermitage, remplit d'eau la cruche d'or que portait le premier, coupa un morceau du petit poisson qui nageait dans la source pour le donner au second, et recommanda à tous deux de mettre le couvert pour le roi et pour sa suite. Mais l'échanson et le cuisinier se prirent à rire et lui demandèrent s'il prenait les gens de la cour pour des mendiants d'oser leur offrir des arrêtes de poissons et son vin de grenouilles. Corentin leur répondit de ne s'inquiéter de rien, et que Dieu pourvoirait à tout.

Ils se décidèrent, en conséquence, à faire ce qu'il avait ordonné, et à leur grande surprise, les prévisions du saint se réalisèrent ; car d'un côté l'eau qui avait été puisée dans la cruche d'or se changea en vin aussi doux que le miel, tandis que, de l'autre, le petit morceau de poisson se multiplia de manière à rassasier deux fois plus de convives que le roi n'en avait à sa suite.
Grallon fut averti de ce miracle par ses deux serviteurs, qui lui montrèrent, pour surcroît de merveille, le petit poisson dont Corentin avait coupé une partie, nageant dans la fontaine, aussi sain et aussi entier que si le couteau du saint ne l'eut jamais touché.
A cette vue, le roi de Cornouaille fut saisi d'admiration, et il dit à l'ermite : " Homme de Dieu, ce n'est pas ici votre place; car votre maître et le mien a défendu de garder la lumière sous le boisseau. Vous allez quitter cet ermitage pour venir à Quimper où je vous nomme évêque; mon palais vous servira de demeure et toute la ville vous appartiendra. Quant à vos disciples, je leur bâtirai un monastère à Landévennec, et vous en nommerez vous-même l'abbé.
" Le roi tint sa promesse, abandonna sa capitale au nouvel évêque et alla habiter la ville d'Is. Celle-ci s'élevait à la place même où vous voyez la baie de Douarnenez. Elle était si grande et si belle que, pour faire l'éloge de la capitale des galots [ des Français], les hommes de l'ancien temps n'ont rien trouvé de mieux que de l'appeler Par-is, c'est-à-dire l'égale d'Is. Elle était bâtie plus bas que la mer et défendue par des digues dont on ouvrait les portes à certains moments pour laisser entrer et sortir les flots.
La princesse Dahut, fille de Grallon, portait toujours suspendues au cou, les clés d'argent de ces portes, ce qui fait que le peuple l'appelait la princesse Alc'huez ou plus brièvement Ahez.
Comme c'était une grande magicienne, elle avait embelli la ville d'ouvrages que l'on ne peut demander à la main des hommes. Tous les Korrigans de Cornouaille et de Vannes, étaient venus sur son ordre pour construire les digues et forger les portes qui étaient de fer.; ils avaient couvert le palais d'un métal semblable à l'or (car les Korrigans sont d'habiles faux-monnayeurs) et entouré les jardins de balustrades qui brillaient comme de l'acier poli. C'était eux qui soignaient les écuries de Dahut, pavées de marbre noir, rouge ou blanc selon la couleur des chevaux et qui entretenaient le port où on nourrissait les dragons marins ; car Dahut avait soumis par son art les monstres de la mer, et en avait donné un à chaque habitant de Keris, qui s'en servait comme d'un coursier pour aller chercher au-delà des flots, les marchandises rares ou pour atteindre les vaisseaux des ennemis. Aussi, tous ces bourgeois étaient si opulents, qu'ils mesuraient le grain avec des hanaps (petite tasse en breton) d'argent.
Mais la richesse les avait rendus vicieux et durs ; les mendiants étaient chassés de la ville comme des bêtes fauves; on ne voulait avoir partout que des gens gais, bien portants et vêtus de drap ou de soie. Le Christ lui-même s'il fut venu en habit de toile, eût été repoussé. La seule église qu'il y eût dans cette ville était si délaissée, que le bedeau en avait perdu la clé; l'ortie poussait sur le seuil et les hirondelles nichaient contre les joints de la porte d'entrée. Les habitants passaient les journées et les nuits dans les auberges, les salles de danse, les spectacles, uniquement occupés de perdre leur âme.
Dahut donnait l'exemple. C'était, jour et nuit, fête dans son palais. On voyait arriver, des pays les plus éloignés, des gentilshommes et jusqu'à des princes attirés par la renommée de cette cour. Grallon les recevait avec amitié et Dahut encore mieux, car, si c'était des jeunes gens de belles apparences, elle leur donnait un masque magique avec lequel ils pouvaient dès le soir la rejoindre secrètement dans une tour bâtie au bord des écluses.
Ils y restaient avec elle jusqu'à l'heure où les hirondelles de mer recommençaient à passer devant les fenêtres de la tour. Alors la princesse leur disait bien vite adieu, et pour qu'ils pussent sortir sans être vus comme ils étaient arrivés, elle leur remettait le masque enchanté; Mais cette fois, il se resserrait de lui-même et les étranglait.
Un homme noir prenait alors le corps mort, le plaçait en travers de son cheval, comme un sac de mouture ( de blé moulu), et allait le jeter dans un précipice , entre Huelgoat et Poulaouën. Ceci est bien la vérité, car aujourd'hui même , pendant les nuits sombres, (près de Carhaix) on entend au fond de la ravine les plaintes de leurs âmes. Que les chrétiens pensent à elles dans leurs prières.
Corentin, instruit de tout ce qui se passait à Keris, avait plusieurs fois averti Grallon que la patience de Dieu était à bout ; mais le roi avait perdu sa puissance et vivait seul dans l'une des ailes de son palais, abandonné de tout le monde, comme un grand-père qui a livré son héritage à ses enfants. Aussi, Dahut ne tenait-elle nul compte des menaces de Corentin.


Tableau 19eme

Or, un soir qu'il y avait fête chez elle, on vint lui annoncer un prince puissant venu des extrémités de la Terre pour la voir. C'était un homme de grande taille, tout vêtu de rouge et si barbu qu'on apercevait à peine ses deux yeux, qui brillaient comme des étoiles… Il adressa à la princesse un compliment en rimes si bien tourné qu'aucun bazvalen de Cornouaille n'eut pu en inventer de pareil ; puis il se mit à parler avec tant d'esprit, que tout le monde en demeura émerveillé.
Mais ce qui frappa surtout les amis de Dahut, ce fut de voir combien l'étranger était plus habile qu'eux dans le mal. Il savait, non seulement tout ce que la malice humaine a inventé depuis la création, dans toutes les terres habitées par des êtres parlants mais tout ce qu'elle inventera jusqu'au moment où les morts se lèveront pour être jugés. Ahès et les gens de sa cour reconnurent qu'ils avaient trouvé leur maître, et tous résolurent de prendre des leçons du prince barbu.
Pour commencer, il leur proposa un branle nouveau qui n'était autre que le passe-pied dansé en enfer par les sept péchés capitaux. Il fit entrer pour cela un sonneur qu'il avait amené avec lui. C'était un petit nain vêtu d'une peau de bouc , et qui portait sous son bras un biniou dont le chalumeau lui servait de penbaz ( gourdin ).
A peine se fut-il mis à sonner , que Dahut et ses gens furent saisis d'une espèce de frénésie et se mirent à tourner comme des tourbillons de mer. L'inconnu en profita pour enlever les clés des écluses et pour s'échapper de la fête.
Pendant ce temps, Grallon était seul dans son palais situé à l'écart; il se tenait dans une grande salle obscure , il était assis sur l'âtre près d'un feu éteint. Il sentait la tristesse lui tomber dans le cœur lorsque, tout à coup, la porte s'ouvrit des deux côtés, et saint Corentin, parut sur le seuil avec une ceinture de feu autour le front, avec la crosse d'évêque à la main et marchant sur un nuage de parfum.
- Levez-vous, grand roi, dit-il à Grallon, prenez ce qui vous reste ici de précieux et fuyez car Dieu a livré cette ville maudite au démon.
- Grallon, effrayé, se leva aussitôt, appela quelques vieux serviteurs, après avoir pris son trésor, il monta son cheval noir et partit à la suite du saint qui glissait dans l'air comme une plume.
Au moment où il passait devant la digue, il entendit un grand mugissement de flots et aperçut l'étranger barbu, qui avait repris sa forme de démon, occupé à ouvrir toutes les écluses avec les clés d'argent volées à Dahut. La mer descendait déjà sur la ville en cascades, et l'on voyait les flots élever leurs têtes blanches au-dessus des toits, comme s'ils montaient à l'assaut. Les dragons, enchaînés dans le port, mugissaient de terreur ; car les animaux aussi sentent la mort venir.
Grallon voulut jeter un cri d'avertissement, mais Corentin lui répéta de fuir, et il s'élança au galop vers le rivage. Son cheval traversa ainsi les rues, les places, les carrefours, poursuivi par les flots et toujours les pieds de derrière dans la vague. Il passait devant le palais de Dahut, lorsque celle-ci parut sur le perron, les cheveux épars comme une veuve, et s'élança derrière son père. Le cheval s'arrêta subitement, fléchit et l'eau, monta jusqu'aux genoux du roi.
- A moi, saint Corentin, cria-t-il épouvanté.
- Secouez le péché que vous portez derrière vous, répondit le saint, et, par le secours de Dieu, vous serez sauvé.
Mais Grallon, qui malgré tout était père, ne savait à quoi se résoudre. Alors Corentin toucha avec sa crosse d'évêque l'épaule de la princesse qui glissa dans la mer et disparut au fond du gouffre, appelé depuis gouffre d'Ahès ( Toul Ahez )
Le cheval ainsi délivré de son fardeau, s'élança en avant et atteignit le rocher de Garrec où on voit encore la marque d'un de ses fers.
Le roi tomba d'abord à genou pour remercier le ciel, puis se retourna vers Keris, afin de juger le danger auquel il avait miraculeusement échappé, mais il chercha en vain l'ancienne reine des mers. Là où il y avait, quelques instants auparavant, un port, des palais, tant de richesses et de milliers d'hommes, on ne voyait plus qu'une baie profonde qui ne reflétait les étoiles ; tandis qu'à l'horizon, debout sur les débris des digues submergées , l'homme rouge montrait les clés d'argent avec un geste de triomphe.
Plusieurs forêts de chênes ont eu le temps de naître et de mourir depuis le jour où arriva cet exemple, mais les pères l'ont raconté aux enfants d'âge en âge jusqu'à notre temps. Avant la grande révolution ( de 1789), le clergé des paroisses riveraines s'embarquait tous les ans dans des canaux de pêcheurs et allait dire la messe sur la ville noyée. Depuis cet usage s'est perdu avec beaucoup d'autres; mais quand la mer est calme, on aperçoit encore au fond de la baie les restes de la grande cité, et les dunes alentour sont pleines de ruines qui prouvent sa richesse.»


Tableau 19eme

Voici un bel exemple de manipulation des peuples par le clergé catholique… Il est évident que ce thème est très ancien, antérieur à la chrétienté, et que le sens originel de la cité submergée était bien différent. Mais, certainement, le message originel – quel qu’il soit – ne plaisait pas à la nouvelle religion établie. Ainsi le plus simple et le plus efficace quand on veut détruire un mythe, c’est de le réécrire «à sa manière».
Les exemples de destruction de foyers de cultes ancien sont nombreux en Bretagne, des déplacements ou enfouissements de Menhirs, de dolmens, d’alignements, - comme celui des «Pierres Droites» à Monteneuf au sud de la foret de Brocéliande, - et de réutilisation de lieu de cultes comme les sources et fontaines, ou les éminences sacrées où l’église à érigé des chapelles. Mais les légendes ont aussi extrêmement souffert de l’hégémonie catholique ; ainsi, parmi toutes les provinces de France, ce sont certainement les légendes de Bretagne qui ont été le plus remaniées, occultées et remplacées par la «bonne» morale catholique.»

A quelle époque cette «version catho» a t-elle été fabriquée ?
Nous savons que des «vies de St Gwénôlé» (changé en Corentin) existaient déjà en 1580, et un texte de 1608 rattache effectivement ce saint à la cité d’Ys.
Le premier texte citant la submersion d’Ys, nous vient de l’ouvrage de Paul Le Baud: «Compilation des cronicques et ystoires des Bretons» en 1480.
Mais ce personnage était un chanoine, d’abord aumônier de Guy XV de Laval et ultérieurement au service des ducs de Bretagne. C’est donc très tôt, peut-être depuis l’avènement de Charlemagne, que les croyances anciennes ont été systématiquement occultées.
Remarquons enfin que dans la version de Paul Le Baud, qui est donc la plus ancienne que nous ayons, il n’est pas fait mention de la fille «maudite» du roi d’Ys.


Tableau - peinture 19 eme

Découvrons maintenant, grâce à l’ouvrage de Le Roux et Guyonvarc’h, une légende provenant d’un récit Gaélique du Moyen-Age : "Echtra Conle". Cette histoire est pour ces auteurs le document qui replace le rôle très ancien de la femme d’un autre monde. Ce thème de la «Banshee», - une créature féminine, magicienne ou messagère des dieux -, est très courant dans la littérature celte, et la légende qui suit nous montre particulièrement bien sa personnalité.

"Les aventures de Condle"
Pourquoi appelle-t-on Art, fils unique ?
Ce n'est pas difficile. Un jour que Condle le Rouge, fils de Conn aux Cent Batailles, était à côté de son père sur la colline d'Usnech, il vit une femme aux vêtements étranges venir vers lui. Condle lui dit :
« D'où es-tu venue, ô femme ? »
« Je suis venue, dit la femme, des terres des vivants, là où il n'y a ni mort ni péché ni transgression. Nous consommons des festins éternels sans service et nous nous réunis­sons sans dispute. La grande paix dans laquelle nous sommes fait qu'on nous appelle les gens du sidh. »
« À qui, mon garçon, dit Conn à son fils, parles-tu ? »
Car personne ne voyait la femme, excepté le seul Condle. La femme répondit
« II parle à une femme jeune, belle, de bonne race, qui ne craint ni la mort ni l'âge. J'ai aimé Condle le Rouge. Je l'appelle dans la Plaine des Plaisirs, là où Boadach, le roi éternel, est un roi qui n'a dans son pays ni plainte ni douleur depuis qu'il s'est emparé de la royauté. »
« Viens avec moi, ô Condle le rouge, à la nuque colorée, rouge comme une chandelle, à la chevelure blonde au dessus du visage pourpre, et qui sera le signe de ta beauté royale. Si tu me suis, ton apparence ne se flétrira ni en jeunesse ni en beauté jusqu’au jugement riche en visions. »
Conn parla alors à son druide, dont le nom était Corann, car ils avaient tous entendu ce que disait la femme, sans la voir :
« Je te prie, ô Corann, au grand chant, au grand art. Il est venu contre moi une puissance plus grande que la mienne, plus forte que mon pou­voir, un combat tel qu'il ne m'est pas arrivé depuis que je me suis emparé de la royauté. C'est par un combat perfide qu'une forme invisible est venue me faire violence et enlever mon fils à mon autorité royale par des incantations de femme. »
Le druide chanta alors une incantation contre la voix de la femme, si bien que nul n'entendit plus sa voix et que Condle ne vit plus la femme à partir de ce moment-là. Mais quand la femme s'en alla, devant l'incantation du druide, elle lança une pomme à Condle. Condle fut pendant un mois sans consommer de boisson ni de nour­riture. II lui semblait que rien n'était plus digne d'être consommé, excepté sa pomme. La pomme ne diminuait pas, quoiqu'il en consommât, et elle restait entière. Il était en bonne santé et la nos­talgie saisit Condle à propos de la femme qu'il avait vue. Le jour où le mois fut accompli, il était au côté de son père dans la plaine d'Archomin. Il vit la même femme qui lui dit
« C'est sur un siège élevé que Condle est assis, entre la mort à brève échéance et l'attente d'un trépas effrayant. Les vivants, ceux de la vie éternelle, t'invitent et t'attendent parmi les hommes de Tethra. IIs te regardent chaque jour dans les assemblées de ton père parmi tes parents bien-aimés. »
Quand Conn entendit la voix de la femme, il dit à ses gens
« Appelez-moi le druide. Je vois que sa langue s'est déliée aujour­d'hui. »
La femme dit alors
« Conn aux Cent Batailles n'aime pas le druidisme car c'est peu de chose. Un homme juste, avec beaucoup de compagnons, éton­nants et nombreux, atteint la Grande Plage pour juger. Sa loi t'at­teindra bientôt. II dissipera les incantations des druides devant le diable, le magicien noir. »
Il sembla étrange à Conn que Condle ne donnât pas de réponse à partir du moment où la femme était venue.
« Est-ce ce que dit la femme qui te va au cœur, ô Condle ? », dit Conn.
Condle lui dit « Cela ne m'est pas facile car j'aime mes parents. Mais la nostalgie de la femme m’a pris. »
La femme répondit alors et dit :
« C'est pour cette raison que tu as un désir plus grand de t'éloigner d'eux sur les vagues, pour que nous allions dans la barque de verre et que nous atteignions le sidh de Boadach. II y a un autre pays qui n'est pas plus difficile à atteindre. Bien qu'il soit loin de nous, nous l'atteindrons avant la nuit. C'est le pays qui rend plein de joie l'esprit de quiconque y va. Il n'y a là d'autres gens que des femmes et des jeunes filles. »
Quand la femme eut fini de parler, Condle sauta loin d'eux et il fut dans la barque de verre, dans le coracle de cristal pur. Ils les virent de plus en plus loin, aussi loin que l’œil pouvait suivre. Ils s'éloignèrent alors sur la mer. On ne les a plus vus depuis ce moment-là et on ne sait pas où ils sont allés. Là-dessus Conn dit, quand il vit Art, son fils :
« Art est seul aujourd'hui, car il n'a pas de frère. »
« C'est un mot juste que tu as dit, dit Corann, et c'est le nom qu'il aura à jamais, Art, fils unique » si bien que le nom lui resta.


 Sculpture sur un menhir - musée de Quimper

Maintenant que nous disposons de deux formes de récits qui ont quelques points communs, nous allons pouvoir poser les éléments les plus déterminants et essayer de percevoir la très ancienne signification de ce thème.
Notons que dans ce dernier texte nous trouvons une allusion au diable, au magicien noir, ce qui signifie que ce texte à déjà subie une réécriture – sans doute légère - selon le moine/copiste du Moyen-Age, ce qui est récurant pour tous ces manuscrits. Il nous faut donc tenir compte du « contenu » concret de ces textes, du sens profond, plutôt que de la « direction » donnée à ces histoires, qui est peut-être « orientée » par les copistes.

Le point central de ces histoires est la « Cité » : qui siège dans une île pour Ys, et se trouve dans un autre monde pour les textes gaéliques et irlandais. C’est le cadre de ce thème et c’est, à notre avis, l’origine de l’influence que cette histoire a sur notre être.
Dans l’histoire de Condle, cette cité, ce monde, n’est pas concret mais est décrit comme :
Terres des vivants, là où il n'y a 1/ ni mort 2/ ni péché ni transgression. Nous consommons des festins éternels 3/ sans service et nous nous réunis­sons sans dispute.
La 4/ grande paix dans laquelle nous sommes fait qu'on nous appelle les gens du sidh. Si tu me suis, 5/ ton apparence ne se flétrira ni en jeunesse ni en beauté jusqu’au jugement riche en visions. 
II y a un autre pays qui n'est pas plus difficile à atteindre. Bien qu'il soit 6/ loin de nous, nous l'atteindrons avant la nuit.
C'est le pays qui rend 7/ plein de joie l'esprit de quiconque y va.

Quel sont, de ce monde, les principes qui en découlent :
1/ Immortalité,
2/ Incorruptibilité-Intégrité,
3/ Communion-harmonie,
4/ Paix qui est l’être même,
5/ Intemporalité,
6/ hors de l’espace-Incorporalité, (avant la nuit peut signifier dans la Lumière, le seul principe spirituel qui manque dans cette description),
7/ Joie.
C’est la description d’une "Jérusalem céleste", un monde « plus proche que les pieds et les mains » évoqué par Jésus Christ.
Cet "Espace spirituel" était effectivement une croyance profonde dans le monde celte, un thème que l’on retrouve plus ou moins clairement dans de nombreux textes, comme « l’île des bienheureux » ou « Sidh ». Cette croyance donc, n’a pas été apportée par le christianisme.
Le clergé catholique s’est ainsi trouvé confronté à une spiritualité profonde et avec ce point particulier, également semblable à l’aspiration de Jésus Christ : « Chercher premièrement le Royaume et la Justice de Dieu » Mathieu, VI, 33. Comment se positionner alors, en tant que mouvement religieux, très ambitieux, avec, dressé sur un étendard un précepte aussi fort et pris au premier degré :
Jésus dit : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. Jean, XIV,6.
La conclusion inévitable est la confrontation, puis l’intolérance de la part du plus "arriviste", et finalement l’action brutale et la destruction de l’adversaire… en l’occurrence de ses croyances.

C’est ce thème du "monde divin" qui était trop dérangeant pour le clergé catholique de l’époque, parce qu’il est la base la plus profonde de La Spiritualité. C’est là notre hypothèse…
Ainsi un lieu de Paix, de Joie parfaite, de Communion a pu être transformé en lieu de « Bien-être », de plaisirs et enfin de débauches. Aidé par le fameux « Jugement » clé d’abrutissement de la croyance Judéo-Chrétienne, les copistes catholiques ont travesti une notion vitale spirituelle en caricature avec quelques « miracles », assorti d’une bonne morale asservissante.
Les autres éléments peuvent être interprétés de multiples façons. Néanmoins, contrairement à l’avis de Le Roux et Guyonvarc’h, l’eau représente effectivement pour la rivière ou le fleuve, la frontière de l’autre monde, et pour la mer ou le lac, le lieu de contact ou de résidence de l’autre monde, et cela dans toutes les mythologies Indo-européenne et dans tous les textes initiatiques. Il y a deux composantes dans ce symbole :
soit il exprime le lieu du monde des morts ou même celui-ci,
soit il exprime le passage à la vie spirituelle. L’âme est liée à cet élément « eau » et le feu à l’Esprit.


Photo de Bretagne

Le roi est un symbole dans beaucoup de textes initiatiques et légendaires qui a toujours représenté l’Esprit. Nos Rois Français étaient dit : « de sang bleu », car ils étaient ou devaient être, le lien entre la nature et le divin. Dans les anciennes sociétés agraires, le roi était le garant d’un équilibre des forces de la Nature, parce qu’il était ce pivot entre la divinité ou les dieux et l’homme.
Dans le texte « La Cité d’Ys » le roi est sans force, subjugué par sa fille et dirigé par le moine ; et celui-ci, devenu évêque remplace forcement le symbole du roi : lien avec Dieu.
Dans le texte gaélique, la jeune fille est une « messagère » du Sidh, du monde divin qui, évidemment devient une « catin » selon l’interprétation des religieux. Les représentations de ce symbole différent en fonction des cultures, néanmoins cette jeune fille évoque très souvent dans les textes initiatiques la voix de l’âme, la petite voix qui nous appelle au réveil…
Nous allons nous arrêter là, sans aller plus loin dans les interprétations du druide ou du moine qui devient prélat…
Le coté positif dans la transformation de ce mythe par le clergé catholique est qu’en mettant l’index sur les « désirs impurs » de cette cité, il nous rappelle qu’ils ne faut pas recouvrir notre être véritable par les multiples désirs et conceptions qui nous perdent inévitablement et nous font participer à la course effrénée de cette civilisation.
Il est évident que chacun porte en lui cette "Cité Divine",
cet "espace libre" d’où viennent ces « Idéaux » celtes – qui ressemblent à ceux chers à Socrate - absolument introuvables sur cette terre.
Cette dimension en nous, est ce que tous les « Eveillés » nous incitent à découvrir.
Il n’est pas nécessaire de chercher au large de Douarnenez, cette « Cité d’Ys » « Céleste » est en vous…

L'Aède

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