Hermès et le Poimandrès
Le début du texte du Poimandrès attribué à Hermès le trois fois grand, ou le Trismégiste, est absolument extraordinaire. Cette cosmogonie pourrait débuter comme tant d’autres, par la création de l’univers et des luminaires, puis par la suite la création de la terre ; mais ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’elle est la Seule dans laquelle l’envoyé qui diffusera ce texte, Hermès donc, est subjugué par une vision divine qui est développée dés l’ouverture.
Ce texte débute ainsi par la description de la lumière du Divin que voit tout éveillé, tout prophète, depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours.
Bien sûr, certains textes ont déjà illustré cette vision, comme l’ancien testament avec le prophète Moïse, mais la description de cette vision du Divin est assez sommaire, voyez plutôt : Exode 3 par Louis Segond 1910
« 1/ Moïse faisait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père; et il mena le troupeau derrière le désert, et vint à la montagne de Dieu, à Horeb.
2/ L'ange de l'Éternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d'un buisson. Moïse regarda; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point.
3/ Moïse dit: Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point.
4/ L'Éternel vit qu'il se détournait pour voir; et Dieu l'appela du milieu du buisson, et dit: Moïse! Moïse! Et il répondit: Me voici! »
Voilà,,, cette vision marque le début d’une action dirigé par le Dieu d’Abraham, qui fera sortir les juifs d’Égypte et non, une vision préalable à la description de la création. Nous ne faisons pas ici de comparaisons entre les religions, mais soulignons la difficulté de décrire dans les textes, cette vision de Lumière Divine. Il est sur que relater la vision de la Lumière divine est une chose peu aisée, surtout pour les adeptes qui n’ont pas entendu directement l’envoyé et n’ont pas eux-même, vécu cette expérience. Cette vision de Lumière est ainsi à l’origine de l’action des envoyés ou prophètes, mais dans aucun texte cosmogonique elle n’apparaît aussi éclatante, que dans...
Le Poimandrès.
1/ Je réfléchissais un jour sur les choses essentielles, et ma pensée s’élevait dans les hauteurs, ainsi toutes mes sensations corporelles s’engourdirent comme dans le lourd sommeil qui suit la satiété, les excès ou la fatigue. Il me sembla voir un être immense au-delà de toutes mesures, cet être indéterminé m'appela par mon nom et me dit :
- « Que veux-tu voir et entendre, que veux-tu apprendre et connaître ?
2/ - Qui es-tu, répondis-je ?
-Je suis, dit-il, Poimandrès, l’Esprit absolu, l’être souverain. Je sais ce que tu désires, car je suis partout avec toi.
3/ - Je désire, répondis-je, être instruit sur les choses essentielles, comprendre les êtres, leur nature et connaître l’Esprit suprême.
-Reçois me dit-il, dans ta conscience tout ce que tu veux apprendre et je t'instruirai. »
4/ A ces mots, il changea d'aspect, et aussitôt, tout s’ouvrit devant moi en un instant, et j’eus une vision sans mesure ; tout devint une seule lumière sereine et joyeuse, et je me réjouissais dans la contemplation de ce spectacle indéfinissable qui charmait mon être.
Peu après, dans une partie de cette lumière, des ténèbres effrayantes et horribles surgirent, elles descendirent et tournèrent en spirales, telles des serpents. Puis ces ténèbres se changèrent en une sorte de nature humide, secouée d’une manière indicible, et exhalant une fumée ou vapeur comme il en sort du feu et produisant un bruit lugubre, pareil à un gémissement indescriptible. Puis il en sortit un cri inarticulé que je compris être la voix du feu.
5/ Cependant que sortant de la Lumière,,, une parole sainte s'étendait sur la nature, et un feu pur s'élança de la nature humide vers les hauteurs; il était subtil, puissant et en même temps tellement actif. Et l'air, par sa légèreté, suivait le souffle igné de la terre et de l'eau ; il s'élevait jusqu'au feu, de sorte qu'il paraissait suspendu. La terre et l'eau demeuraient ensemble, étroitement mêlées, si bien qu'on ne pouvait les percevoir séparément ; elles étaient continuellement mues par le souffle de la parole qui planait au dessus-d'elles.
6/ « As-tu compris, me dit Poimandrès, ce que signifie cette vision ?
- Je vais l'apprendre, répondis-je.
- Cette lumière, dit-il, c'est moi, Noûs, ton Dieu, celui qui existe avant la nature humide sortie des ténèbres. La parole lumineuse qui émane du Noûs, c'est le fils de Dieu.
- Que signifie cela, demandai-je ?
- Comprend-le, ce qui en toi voit et entend est le Verbe, la parole lumineuse du Seigneur ; et le Noûs est le Dieu père. Ils ne sont pas séparés l'un de l'autre, car c'est leur union qui est la Vie.
- Je te remercie, répondis-je.
- Fixe ton Esprit sur la lumière, dit-il, et connais-la. »
7/ A ces mots, il me regarda longtemps en face, de façon si pénétrante que je tremblai à son aspect. Puis comme il relevait la tête, je vis dans mon Noûs, la Lumière consistant en d'innombrables puissances, devenue un monde sans limite, tandis que le feu subjugué par une force toute puissante, était arrivé à un total équilibre. Voilà ce que je distinguais dans cette vision grâce à la parole de Poimandrès.
8/ Comme j'étais encore tout hors de moi, il me dit de nouveau :
« Tu as vu dans le Noûs la forme primordiale, archétypale, le principe originel antérieure au commencement sans fin. Ainsi me parla Poimandrès.
- D'où sont venus les éléments de la nature, demandai-je ?
Il me répondit :
De la volonté du Noûs, qui, ayant reçu le verbe, et contemplé l’archétype du monde dans sa beauté, conçu le monde d'après ce modèle, un monde ordonné avec des germes d'âmes issu des éléments qui sont nées de lui.
Et voila la créations,,,
9/ Le Noûs, Dieu étant masculin-feminin est source de la vie et de lumière, engendra par la parole un second Noûs démiurge, une intelligence créatrice, Dieu du feu et du souffle, qui forma à son tour sept gouverneurs, enveloppant dans leurs cercles le monde sensible et le dirigeant par ce qu'on nomme le destin.
10/ Aussitôt le Verbe de Dieu s'élança des éléments qui se trouvent en bas vers la pure création de la nature qui venait d’être façonner, et s'unit au Noûs démiurge, auquel il est identique. Et de ce fait, les éléments inférieurs de la nature, dépourvus de raison, furent laissés à l'état de simple matière.
11/ Ainsi le Noûs démiurge, uni à la Parole lumineuse, enveloppant les cercles et leur imprimant une rotation rapide, les faisant vibrer de puissance, mit en mouvement la marche circulaire de ses créatures, les laissant aller depuis un commencement indéterminé jusqu’à une fin-sans-fin, car là où est la fin, tout recommence éternellement. Cette rotation des cercles engendra par la volonté du Noûs, qu’il fit sortir des éléments inférieurs, les animaux qui n’ont pas la parole, car ils ne retenaient pas le Verbe en eux. L'air produisit des volatiles, l'eau les animaux aquatiques. La terre et l'eau avaient été séparées, selon la volonté du Noûs, et la terre fit sortir de son sein les animaux qu'elle contenait, quadrupèdes, reptiles, animaux sauvages et domestiques.
12/ Le Noûs, père de tous les êtres, qui est la vie et la lumière, engendra l'homme semblable à lui-même, dont il s’éprit comme de son propre enfant. Car par sa beauté il était semblable au père. Dieu s’éprit donc en réalité de sa propre forme, et il lui livra toutes ses œuvres.
13/ Mais quand l'homme, eut observé l'œuvre de la création, que le démiurge avait façonné dans le feu, il voulut créer à son tour, et le père le lui permit. Alors entrant dans la sphère démiurgique ou il aurait plein pouvoir, il perçu les créations de son frère, et les gouverneurs s'éprirent de lui, et chacun d'eux l'associa à son propre rang dans la hiérarchie des sphères. Alors, connaissant leur essence et participant à leur nature, il voulut franchir la limite des cercles et connaître la puissance de celui qui règne sur le feu.
14/ Alors l’homme, souverain du monde, des êtres mortels et des animaux sans paroles, se pencha à travers la force de cohésion des sphères, brisa leur enveloppes et se montra à la nature d’en bas dans la belle forme de Dieu. Devant cette merveilleuse beauté, où toutes les énergies des sept gouverneurs étaient unies à la forme de Dieu, la nature d’en bas sourit d'amour, car elle avait vu la beauté de l'homme se refléter dans l'eau et aperçu son ombre sur la terre. Et l’homme, apercevant dans l’eau le reflet de sa propre forme, s'éprit d'amour pour elle et voulut habiter là. Dés l’instant qu’il le voulut, cela se fit et il vint habiter la forme sans raison. La nature saisit son amant et l’enveloppa tout entier, et ils s'unirent, devinrent un, car le feu du désir était grand.
15/ Voilà pourquoi, seul de tous les êtres qui vivent dans la nature, l'homme est double, mortel par le corps, immortel par l’homme primordial. Immortel et souverain de toutes choses, il subit néanmoins la condition des êtres mortels, car il est soumis au destin.
Bien qu’il soit supérieur à l’harmonie des sphères, cette puissance le tient en esclavage ; et quoi qu’il soit masculin-feminin, car issu du Père étant masculin-feminin, et exempt de sommeil, il est néanmoins captif, dominé par la convoitise et le sommeil.
Le texte continue à la manière des fractales ; ainsi l’homme se transforme selon la puissance des sept gouverneurs et bientôt vient la séparation du masculin-féminin. L’homme souffre ainsi du désir de son reflet dans la nature et est soumis à la mort.
L’hermétisme souligne la double nature de l’homme, seul concept – à mon sens - pouvant expliquer la disharmonie qui règne sur ce monde. Mais selon la plupart des spiritualités, l’homme dans le silence peut retrouver, percevoir sa nature profonde et finalement être subjugué comme peut l’être le personnage auquel s’adresse Poimandrès.
L’intérêt de ce texte pour un mythologue, est de comparer ce passage si abstrait avec les introductions des autres cosmogonies. Ainsi certaines sont très simples, avec la création par des dieux à l’image du soleil et de la lune, les auteurs de ces systèmes ont peut-être employé des images accessibles à tout un chacun. Ce que certains intellectuels prennent pour des concepts enfantins ne sont en réalité que des transcriptions pour des hommes non encore initiés ou étranger. Alors quand le moment vient, ces mythes sont expliqués par les « connaissants » de ces peuples, à la lueur du feu dans un espace secret. Là, les êtres initiés, ayant vu la vision décrite dans le texte d’Hermès, peuvent transmettre un message plus profond, plus subtil…
L'Aède
Notes A coté d’une traduction du Poimandrès sur internet, je me suis servis de l’édition des textes d’Hermès par la société des Belles lettres et de celle de Jan Van Rijckenborgh dans son ouvrage ; « La gnose originelle égyptienne », aux éditions du Septenaire.