Légendes de l'Aède

L'épopée du roi Gilgamesh

Nous voici devant l’épopée du légendaire Gilgamesh. Cette histoire est certainement le tout premier « best seller » de l’antiquité.

Voici un résumé de l’histoire, trouvé sur le site Wikipédia :
Gilgamesh, roi de la ville d'Uruk, est dur et intransigeant envers ses sujets. À la demande de ceux-ci, la déesse Aruru, maîtresse de la cité, confectionne avec de l’argile un « double » de Gilgamesh, Enkidu, pour le remettre dans le droit chemin. Personnifié à l'image d'Anu le dieu du ciel et de Ninurta le dieu de la guerre, c'est un homme sauvage, dénué de toute élégance naturelle et destiné à être le miroir de Gilgamesh, son compagnon, mais à la différence de celui-ci, il est bon et a la forme d'un taureau. Les deux personnages se rencontrent en duel mais aucun des deux n'a gagné. Au terme du combat, tous deux comprennent leur complémentarité et s’allient pour accomplir de grands exploits. Mais Enkidu meurt et Gilgamesh, au comble de la tristesse, part à la recherche du secret de l’immortalité auprès d’Outa-Napishtî qui lui fait l’étrange récit d’un déluge. Au moment de partir, il lui révèle l’existence d’une plante de jouvence. À peine Gilgamesh a-t-il pu se procurer la plante qu’il se la fait dérober par un serpent et comprend qu’il n’est pas dans la nature de l’homme d'être immortel.
Cette épopée a été contée, pendant plus d’un millier d’années dans tous le Moyen-Orient, de l’actuel Iran jusqu'à la Turquie. Cette histoire devait être connue 1500 ans avant notre ère, de chaque peuple, de chaque habitant de cette région, point de passage et de rencontre entre des peuples très différents. Elles a forcément influencé les autres cultures, méditerranéennes, caucasiennes, etc…


Dessin d'une représentation de divinité Sumérienne

Jean Bottéro, éminent spécialiste de la Mésopotamie, a sous-titré son ouvrage aux éditions Gallimard : "L’épopée de Gilgameš, le grand homme qui ne voulait pas mourir".
En effet, le plus remarquable dans cette histoire c'est la confrontation à la mort.
Ainsi le héros de cette épopée, Gilgamesh, en partie divin pour deux tiers et un tiers humain, ne peut supporter la mort d’Enkidu, son "frère" et compagnon d’armes, avec lequel il réussit nombres d’épreuves. A cause de cette perte, l’orgueilleux roi Gilgamesh devient un pauvre hère, qui bientôt décide de partir en quête de la réponse à cet événement, qui survient tôt ou tard pour chacun d’entre nous.
L’épopée de Gilgamesh, à l’origine, n’est sans doute pas une recherche de l’immortalité, mais plutôt le questionnement exacerbé autour de cette fin inexorable.
Ce récit au fil des temps, c’est construit selon une démarche plus active, qui à conduit à l’espoir de pouvoir ressusciter une personne par un moyen magique. Cependant, ce que l’on perçoit dans les plus vieux textes ou bribes de textes, c’est la douleur de la perte de l’être cher.
Voici un passage tiré du livre de Jean Bottéro :
Je vais donc (devoir) m’installer chez les morts,
Passer le seuil de la Mort,
Ou ne plus voir de mes yeux mon frère chéri !

Et dans un autre passage, Enkidu mourrant interpelle Gilgamesh :
Toi et moi, ne devions-nous pas rester inséparables ?
Cette séparation de deux êtres est toujours une des plus grandes douleurs de l’existence, et l’épopée montre justement dés le début, dans la rencontre du roi Gilgamesh et du sauvage Enkidu, le bienfait de cette amitié et la complémentarité de ces deux valeureux héros : ce qui exacerbe encore la douleur de la séparation de ces deux hommes, et transcende l’histoire.
Finalement, l’histoire démontre l’impossibilité de l’immortalité, et la sagesse de l’acceptation de la vie telle qu’elle est. La leçon pour Gilgamesh sera déterminante, et de roi violent et tyrannique, il devient un roi juste et bon, régnant pour le bien de son peuple.


Photo de statues Sumérienne

Ce qui est surprenant, c’est que cette « histoire » vient d’une civilisation, née de l’union de deux peuples, le premier de provenance totalement inconnue : les Sumériens, peuple qui a apporté ses vaste connaissances, et dont la langue sera celle des lettrés pendant des siècles.
L’autre peuple est une importante population sémitique : les Akkadiens – venant des montagnes du nord de l’actuel Irak, ou peut-être déjà installé sur l’Euphrate.
En vertu de quoi, nous pourrions voir également dans cette épopée, un thème « social », une structure psychologique ou récit clairement construit pour amener ces deux peuples à se soutenir mutuellement ou à prophétiser cette entente. Le personnage du dieu-roi Gilgamesh illustrant les « savants » Sumériens et le personnage d’Enkidu : les frustres, mais fertiles et industrieux Akkadiens…
Ce n’est qu’une supposition, mais l’influence des médias, n’est pas une invention récente. Cette « coïncidence » peut résulter également de l’association évidente de ces deux peuples et ce lien peut exister sans que la démarche de cette légende « initiatique », soit mise en cause. Si aujourd’hui nous sommes devenus tellement méfiants envers le pouvoir… On peut se demander pourquoi 


Dessin représentant une sculpture Sumérienne

le jeu de l'action du bien et du mal s’arrête là, l'illusion du pouvoir de la « Matrice » s’efface, se dissout, le héros est libre de toute inconscience ou ignorance. Et le pouvoir de la « Matrice » n'a plus aucune prise sur le héros ou le candidat aux Mystères.

L'initiation est effective parce que l'initié a reconnu en soi, a accepté « une » réalité intérieure, ainsi que le jeu continu de l'illusion. Le sujet est conscient des deux mondes : l'irréalité de ce vaste mouvement incessant opposant le bien et le mal, le Samsâra et l'autre monde, véritablement vivant, le Nirvana.


Photo d'une frise Sumérienne

Revenons à notre légende avec son message conforme à une éthique juste et à une grande amitié.
Cette « leçon de la séparation » est souvent le départ d’une recherche profonde sur le sens de l’existence. Cette douleur de la séparation d’un être cher, peut-être également le départ ou la base d’une quête de connaissance de soi. Si ce thème se suffit à lui-même, la structure du récit - ce qui est parvenu jusqu'à nous - peut évoquer aussi, un véritable processus initiatique. Dans cette perspective, la « séparation » peut exprimer la part au divin en soi, part oubliée ou niée par l’homme presque exclusivement orienté vers les choses de la nature. (Ce que nous démontre l’histoire du mythe de Narcisse et celle du mythe de la perle). Cet oubli fondamental et très ancien, déclenche en l’être d’importants conflits intérieurs, totalement inconscients.
Cette dichotomie en l’homme, nous permet de comprendre sa dualité :
d’un coté l’homme aspire à des idéaux absolument irréalisables dans ce monde, comme la paix universelle, la fraternité, l’amour inconditionnel, un besoin de liberté totale, et
de l’autre une fuite dans le quotidien et l’esclavage d’une vie « sécurisée ». L’être humain malgré tous ses efforts pour le cacher, l’oublier, aspire à faire « un » avec Dieu et l’univers.

La version la plus complète du mythe de Gilgamesh, est aussi la plus récente, date du règne du roi assyrien Assourbanipal (668-626 av notre ère).
Cette histoire à été retrouvée par les tout premiers archéologues dans l’ancienne cité de Ninive, dans ce qui semble être la bibliothèque du palais. Les scribes du roi ont transcrit cette épopée sur douze tablettes, avec une structure qui existait déjà peut-être depuis longtemps. (1)
Cette découverte a frappé notre « imaginaire » et depuis cela, cette histoire provoque inlassablement notre intérêt.

La première tablette présente
1/ le roi Gilgamesh et la naissance d’Enkidu. L’initiation sexuelle du sauvage Enkidu et sa pacification.
La deuxième :
2/ Leur rencontre et leur lutte, puis la décision de construire un temple avec des cèdres et pour cela d'aller combattre le géant Humbaba.
La troisième :
3/ Le préparatif de l’expédition et l’offrande de la reine Ninsuna au dieu Shamash.
4/ Le long voyage vers la forêt des cèdres.
5/ Le combat contre Humbaba, le gardien de la forêt des cèdres.
6/ La déesse de l’amour Ishtar provoquant Gilgamesh et blessée de son refus lui envoie le taureau céleste, combattu victorieusement par les deux héros.
7/ Lamentation, maladie et mort d'Enkidu.
8/ Les funérailles d’Enkidu.
9/ Gilgamesh errant rencontre l’homme-scorpion, puis part en quête de la vie sans fin.
10 - Rencontre de Gilgamesh avec Siduri la tavernière, le nocher Ursanabi lui permet de traverser la mer aux eaux mortelles. Finalement Gilgamesh rencontre Utanapistî qui lui enseigne que tout est impermanent.
11 – Utanapistî-le-lointain lui relate le récit du déluge et lui impose une épreuve pour recevoir « la vie-sans–fin ». Epreuve que Gilgamesh ne réussit pas.
12 – Enkidu et le monde infernal.
(tablette 12, d’une époque plus récente selon Jean Bottéro)


Sculpture sumérienne

Cette histoire est un puissant enseignement sur les désirs, les peurs et les possibilités d’un être humain, quand celui-ci décide de se confronter à ce qui est l’essence ou le but de l’humanité : son propre questionnement sur sa vraie nature…ou sa double nature.
Examinons les phases de cette « probable » forme d’initiation, sans entrer dans trop d’explications, puisque nous ne disposons que de bribes de textes assemblés formant un récit qui contient parfois divers scénarii pour un même épisode.
Une initiation est une aventure intérieure personnelle, mettant en jeu diverses interrogations ou formes de conscience en nous même. C’est ce point de vue qui nous sert de base pour échafauder cette théorie…
1/ le roi Gilgamesh représente l’ego dont le pouvoir est absolu, tyrannique, au point de déranger l’éthique intérieure de l’être profond. Cet état de volonté démesurée se reconnaît dans les prises de positions pour lesquelles nous sommes sûrs de nous, et imposons pour cela notre volonté aux autres. Cela se reconnaît également dans nos mécanismes mentaux poussés par la colère et l’ambition. Quand cet état est trop « dérangeant » pour l’être, il lui faut mettre en évidence d’autres facettes de lui-même, pour contrebalancer cette puissance, car on n’affronte pas l’ego, on le démasque.
2/ c’est cette confrontation qui est évoquée dans cette seconde phase. L’équilibre entre ses émotions et ses conceptions permet de construire une meilleure compréhension de soi-même, surtout si le but qui a été choisi n’est pas centré sur soi-même, sur la satisfaction de ses désirs, mais pour un bien commun et spirituel, comme la future construction d’un temple.
3/ et 4/ ici commence l’aventure de la connaissance de soi, en rendant hommage tout d’abord à l’aspect divin. Cette connaissance de soi est toujours représentée par un voyage dans les récits de l’antiquité.
5/ qui est ce personnage : Humbaba, que combattent nos héros ?
Il est décrit comme un puissant gardien d’une forêt magnifique de cèdres : arbres qui doivent servir a édifier les temples, arbres absolument nécessaires pour construire de vastes édifices, pour les mésopotamiens qui n’avaient à disposition que des briques de terre séchées. Que peut désigner ce combat ?
Une forêt est souvent l’illustration d’un mental perturbé ; les pensées sont à l’image des nombreux arbres d’une forêt ; touffus, sombres et inquiétants. Dans notre cas se sont des cèdres, des arbres magnifiques qui servent pour la toiture et l’élévation des temples. Le gardien Humbaba n’est pas tué, il est simplement vaincu et décide de livrer des cèdres aux deux héros. Cet épisode est donc une preuve de maîtrise de soi, maîtrise des émotions et des pensées au service du bien commun et spirituel.
6/ Ishtar est la déesse dont le rôle d’enjôleuse éprouve, comme dans toute initiations, la capacité du myste à résister à ses propres désirs intérieurs. La tentation du désir sexuel représente simplement la capacité à maîtriser ses pulsions et désirs des choses de la nature, et à démontrer par son imperturbabilité, son orientation exclusive vers le divin.
7/ 8/ la nature : « Enkidu » représentait l’équilibre, les lois justes et l’éthique naturelle d’un comportement humain normal. C’est la norme élevée nécessaire dans ce monde et c’est ce qui a permi à l’être humain, au futur initié, de percevoir, de comprendre sa folie démesurée et son orgueil tyrannique. Mais il faut passer à d’autres valeurs, à d’autres normes. Ainsi, le parcours de l’initiation déclenche les Lois du Divin en soi, et c’est à ces Lois que l’initié doit se conformer, à un certain moment de son périple. Il est donc nécessaire que les attachements aux valeurs justes, mais entachées du jugement du bien et du mal, laisse la place à une profonde interrogation.
Et la mort est souvent cet élément déclencheur, dans la vie. Aussi le récit la met-elle en exergue.
En 9/ Gilgamesh rencontre l’homme-scorpion qui a pour unique tâche de garder le chemin qui conduit au soleil. L’homme-scorpion le laisse passer après avoir examiné la détermination et l’aspect divin de Gilgamesh. Cette étape ou condition habituelle pour les candidats aux mystères de cette époque, était exigée pour accéder à l’enseignement de la vérité. Cette condition semble « académique » mais l’épreuve qui attend le héros est sérieuse, ainsi, pendant des jours et des kilomètres, la nuit entoure Gilgamesh. Cette nuit représente le doute par le fait de l’inconsistance des connaissances anciennes : il s’agit d’une épreuve déterminante, car il n’y a plus de certitude sur le chemin à ce point.
10/ L’initié rencontre l’enseignement spirituel… après avoir traversé la mer ténébreuse aux eaux mortelles, grâce à un guide-nautonier. C’est ici qu’intervient l’enseignement du guru : Utanapistî : le Krisnamurti ou le Ramakrisna de l’époque.
11/ La onzième tablette nous dévoile par l’entremise du grand sage, le récit du Déluge …
Que représente cet enseignement ?
Que désigne ce cataclysme absolument incompréhensible… ?
Si les hommes ont affrontés de sérieux phénomènes naturels, des éruptions volcaniques, des monstrueux raz de marée, des cyclones, des tremblements de terre, jamais dans l’histoire ils n’ont affronté un déluge qui engloutirait toute la terre.
Alors quel est le sens de ce prodige ?
Nous essaierons de voir sa signification dans le prochaine article.
Après le récit du déluge, le sage Utanapistî, impose à Gilgamesh de rester six jours et sept nuits sans dormir, s’il veut posséder « la vie-sans–fin ». Gilgamesh ne réussira pas l’épreuve, mais par bienveillance pour le roi fatigué, Utanapistî lui conseille de plonger au fond de la mer pour trouver la plante qui prolonge la vie, qui donne une puissante vitalité. Gilgamesh la trouve, mais sur la route du retour, parc
12/ Le sujet de la tablette numéro douze est, en fait, une mise en garde. Gilgamesh ordonne à Enkidu qui veut aller aux enfers, de faire attention à ne pas laisser de traces, ni d’odeurs corporelles, à ne pas faire de bruit afin que les créatures de l’enfer ne puissent pas le retenir.
Cette dernière tablette, même si elle est plus récente, a bien sa place dans un enseignement spirituel. Ainsi, après l’enseignement de l’impermanence de toutes choses – cher aux bouddhistes – vient le conseil de ne pas s’attacher aux choses de ce monde duel ( le monde naturel et le monde surnaturel ). Après la connaissance de soi acquise cherement par la confrontation avec sa part humaine et dans les épreuves et les tentations, succède enfin la sagesse et l’acceptation du monde et de soi-même : parce que nous sommes Dieu et le Monde.


L'Aède


1/ nous retrouvons le parcourt initiatique en douze étapes en Egypte, avec le texte de « L’Amdouat ». Texte sacré qui retrace le passage du roi, d’homme mort à l’état de divinité par le franchissement de douze étapes. Texte peint dans le tombeau accroché à la montagne du Pharaon Thoutmosis III, de la XVIIIe dynastie, 1479 – 1425 av JC.


Bibliographie : L’Épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir, par Jean Bottéro - coll. « l'aube des peuples », éd Gallimard, Paris 1992
L’Épopée de Gilgamesh : texte établi d’après les fragments sumériens, babyloniens, assyriens, hittites et hourites. – Traduit de l’arabe et adapté par Abed Azrié, éd Berg International 2001.
Lorsque les dieux faisaient l’homme par Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, NRF, éd Gallimard.
L’histoire commence à Sumer par Samuel Noah Kramer, éd Arthaud.
Les Sumériens par C Léonard Woolley, éd Payot 1930.
Atlas de la Mésopotamie et du Proche-Orient ancien, par Michael Roaf aux éditions du Fanal.