Légendes de l'Aède

Hiawatha

le héros civilisateur de l'Amérique du Nord


Après la chute de "La femme tombée du ciel" et la naissance du jeune garçon, nous allons suivre les aventures de ce « Héros civilisateur ».
Nous allons examiner ce mythe particulièrement important pour les nations indiennes de l’Amérique du Nord, avec le texte de Henri W Longfellow :
le Chant de Hiawatha.
C'est une compilation « savante » des légendes retraçant ce thème et publiée en Amérique, dès 1855 à Boston. (voir l'étude de Longfellow dans mon ouvrage « Hiawatha et la femme tombée du ciel »).


dessin d'un ancien Iroquois

Manabozho est le nom le plus répandu du héros civilisateur chez les Ojibways, un peuple de la confédération Algonquine, avec les Abénaquis, les Innus, les Anicinàpek, etc… Le nom que ces amérindiens s’attribuent est : les Anishinabe. Tous ces peuples liés par une même croyance et une même langue habitent le Québec et l’Ontario. Hiawatha est le nom du héros d’une autre confédération, très proche des Ojibways géographiquement - de l’autre coté des grands lacs – il s’agit de la nation Iroquoise. C’est son aventure que nous allons suivre à travers la célèbre épopée de Longfellow, intitulée : Le « chant de Hiawatha ».
Nous avons gardé le découpage des chapitres de Longfellow, indiqués avec leurs numéros, comme simple rappel de son texte ; et nous expliquerons avec quelques phrases, les phases initiatiques reconnaissables en fonction de cette aventure.(1)


dessin de l'oiseau-tonnerre par Berniece BURROUGH

Le chant de Hiawatha
1/ Il fut un jour ou Gitche-manitou le puissant maître de la vie descendit du ciel sur la montagne au milieu de la grande prairie. De ses pieds surgit une rivière semblable à la lumière du matin, brillante comme une comète ; elle bondit dans la vaste prairie et traça une voie sinueuse que l’Esprit nomma « cours dans ce chemin ». Puis, il façonna une pipe sacrée dans une pierre rouge, l’orna de figures, lui mit un tuyau en bois, et la remplit d’écorces de saule. Gitche-manitou, dressé sur les rochers rouges, alluma la pipe sacré et avec le signe de cette puissante fumée, il appela toutes les nations indiennes du Nord de l’Amérique. Les Delawares, les Mohawks, les Choktaws, les Comanches, les Pawnées, les Omahas, les Mandans, les Dakotas, les Hurons et les Ojibways vinrent et fumèrent le calumet de la paix. Gitche-manitou leur dit :
« Oh ! mes enfants ! Écoutez les mots de sagesse, écoutez les mots d'avertissement, sur les lèvres du grand esprit, le maître de la vie, qui vous a créé ! Je vous ai donné des terres pour chasser, je vous ai donné des cours d'eau emplis de poissons, je vous ai donné l’ours et le bison, je vous ai donné le chevreuil et le renne. J’ai rempli les marais d’oiseaux sauvage. Pourquoi n'êtes-vous pas heureux ? Pourquoi vous combattez-vous ?
Je suis las de vos querelles, las de vos guerres et du sang versé, las de vos prières appelant la vengeance. Votre force est dans votre union, votre faiblesse dans vos désaccords. Soyez en paix désormais, et vivez ensemble comme des frères. Je vous enverrai un prophète qui vous guidera et vous enseignera, qui travaillera avec vous. Si vous écoutez ses conseils, vous prospérerez, autrement vous disparaîtrez. Baignez-vous maintenant dans la rivière, lavez les peintures de guerre de vos visages, lavez le sang de vos mains et enterrez vos armes. Prenez la pierre rouge de cette carrière pour en faire des pipes sacrées, pour que règne la paix. Fumez ensemble le calumet, et désormais vivez comme des frères ! » Puis le créateur disparut dans les nuages. »
Il semble que pour les nations amérindiennes comme pour les Européens, le début de la quête de Soi commence par un appel : celui d’une voix intérieure qui nous interroge sur notre état humain souvent lamentable, et toujours empêtré dans les conflits et les habitudes. Pour quelle raison sommes-nous toujours insatisfaits ?
Dans le récit qui nous occupe, c’est la voix de « Gitche-manitou le puissant maître de la vie », dans le récit de « La Genèse » c’est la voix de « l’Eternel ». Dans ces deux exemples, le « Dieu » est très semblable : un maître de la vie, qui s’inquiète des hommes.
Sur ce chemin de Conscience de Soi, il ne faut pas croire que nous sommes laissés seuls avec notre « petit » désir de connaissance. Quand l’interrogation s’ouvre en nous, elle entraîne également l’univers dans une confrontation dans laquelle la lumière peut surgir, éclairer notre chemin et éveiller notre être véritable. Cette voix qui nous a réveillés, déclenche aussi les possibilités de compréhension, c’est ce qu’exprime le texte :
« De ses pieds surgit une rivière semblable à la lumière du matin, brillante comme une comète ». 


photo de chef Iroquois 1840

2/ Sur la vaste plaine, Mudjekeewis, celui qui deviendra le père de Hiawatha, est devenu un grand dieu grâce à un exploit guerrier sans pareil. Mudjekeewis a vaincu le grand ours des montagnes, la terreur des nations, le tueur de tant de femmes et de guerriers. Mudjekeewis a vaincu ce monstre dans un combat qui restera célèbre dans l’histoire et lui a dérobé sa ceinture de pouvoir. Par cette action, Mudjekeewis devint Kabeyun, le vent d’ouest, le père des quatre vents. Les trois autres vents furent distribués à ses enfants : Wabun eut le vent d’Est, le vent du Sud fut pour Shawondasée et le féroce Kabibonokka eut le vent du Nord, sauvage et cruel. »
3/ La belle Nokomis tomba de la lune dans la grande prairie, comme une étoile filante, et là, parmi les herbes, elle donna naissance à une fille : Wenonah.
Wenonah devint une jeune fille à la beauté d’un rayon de lune. Elle rencontra un jour Mudjekeewis, et, malgré les avertissements de sa mère, elle fut bientôt séduite par le vent d’ouest, et donna naissance à Hiawatha. Mais Mudjekeewis l’abandonna bientôt. Wenonah devint tellement triste qu’elle finit par en mourir. »
Et voici « la femme tombée du ciel »,,,, bien que dans le récit de Longfellow, celui-ci à choisit la lune, plus réelle qu'un monde supérieur.
Deux éléments à la base de l’être du futur initié, sont évoqués dans le récit : le père aux pouvoirs extraordinaires qui devient un dieu, le vent d’Ouest, qui est aussi le père des vents, et la mère qui meurt très rapidement, dans la plupart des versions, après avoir mis au monde notre « héros civilisateur ».
Cela nous suggère… A/ Qu’une puissance incroyable réside en nous et qu’il faut la découvrir. Elle est figurée par le maître des vents. Cet élément : le vent, exprime les énergies qui actionnent et gouvernent notre comportement, énergies que nous cache notre ignorance coutumière.
B/ Qu’il y a également un « manque », un vide en notre être, dès notre naissance sur cette terre, dans ce monde de l’espace-temps.
Ce sont deux composantes qu’il nous faut reconnaître en nous :


dessin de couple Algonquins

4/ Hiawatha était devenu fort et habile, à tel point qu’il pouvait tirer dix flèches de suite avant que la première touche son but. Hiawatha connaissait beaucoup de choses sur la nature et sur les hommes, et il possédait des objets magiques ; des moufles en peau de daim, qui lui donnaient une force terrible et lui permettaient de réduire en miettes un gros rocher, des mocassins en peau de cerf, qui lui permettaient de franchir un kilomètre à chaque pas.
Hiawatha questionnait souvent sa grand-mère au sujet de ses parents. Un jour celle-ci lui révéla le secret de sa mère : son amour pour Mudjekeewis le vent d’ouest, et le lâche départ de son père. »
Le développement de la connaissance de soi commence dès que le désir de connaître ses origines naît en l’être. La découverte de nos affects et de nos capacités est indispensable pour pouvoir discerner les éléments psychologiques découlant de l’ego, ou des replis profonds de l’être.
« Hiawatha, le cœur bouillant de ressentiment, partit malgré les avertissements de sa grand-mère à la rencontre de Mudjekeewis, son père, mais aussi un grand et redoutable magicien.
Il s’élança dans la forêt et avec ses mocassins magiques, il franchit les étapes sans fatigue, tout droit jusqu’aux montagnes rocheuses. Sur le sommet, il vit bientôt son père, le vent d’ouest.
Hiawatha était plein de respect à la vue de Mudjekeewis et celui-ci fut joyeux de voir son fils, si semblable à lui. L’orgueil de Mudjekeewis et les vantardises sur sa jeunesse finirent par lasser Hiawatha, si bien qu’il lui rapporta qu’il était responsable de la mort de la belle Wenonah.
Hiawatha plein de rage se jeta sur son père ; alors débuta un corps à corps terrible au sommet de la montagne, une bataille effroyable que nul parmi les humains n’avait encore vu. Mudjekeewis s’enfuit vers l’ouest jusqu’aux portes du soleil couchant, poursuivi par Hiawatha. Mudjekeewis l’arrêta et lui dit :
« Mon fils Hiawatha, tu ne peux me vaincre car je suis immortel !
Je t’ai poussé à cette épreuve pour mesurer ta force et ton courage. »
« Retourne maintenant vers ton peuple, vis avec lui, enseigne lui la sagesse et purifie la terre de toutes les choses nuisibles. Purifie les lieux et rivières de tous les monstres, de tous les géants et de tous les magiciens, comme je l’ai fait. Et, quand la mort s‘approchera de toi, tu viendras me rejoindre et je partagerais mon royaume avec toi. »
Hiawatha fit la paix avec son père et repartit vers son peuple. »
Cet épisode est très significatif des croyances amérindiennes. Un peuple dont la vie est confrontée aux forces de la Nature, qui subit tantôt un hiver très dur, et tantôt une sécheresse difficilement vécue, se comporte selon une psychologie particulière. La force d’endurance et la résistance aux événements sont des vertus chères aux Amérindiens, et sont transmises dans leur spiritualité. Cette confrontation à la nature est présente dans les mythes et impose de ce fait, la confrontation à soi-même. Le peuple Amérindien ne refuse pas la « confrontation », au contraire, il la provoque. Cette attitude transparaît dans toutes leurs quêtes de visions, accompagnées de purifications qui ne sont jamais « anodines » mais sont souvent vécues de façon « extrême ».
«  Il décida de faire un arrêt sur le chemin, dans le pays des Dakotas, pour rendre visite à un célèbre artisan fabricant de flèches. C’est ainsi que Hiawatha rencontra Minnehaha, la fille de l’artisan, aux yeux sombres. Celle-ci avait pris le nom de la chute d’eau qui tombait derrière chez eux et qui signifie : Eau Riante. Le cœur de Hiawatha en fut tout retourné. »
Après la confrontation directe aux énergies fondamentales de l’être, celles qui sont liées aux énergies de la création et de la nature, l’initié découvre cette énergie de l’origine en lui, l’énergie du monde divin. Le nom de la fille de cet artisan – créateur, est explicite : Eau Riante, ce qui peut signifier : la Joie de l’énergie créatrice de vie.


photo de jeune femme Seneca

5/ De retour à son foyer, quelques jours plus tard, Hiawatha décida de jeûner, pendant 7 jours et 7 nuits...
Il alla dans la forêt et en haut d’une butte, pria et jeûna pour avoir des visions pour le bien de son peuple, et non pour lui-même. Pendant trois jours, il ne vit que les êtres de la forêt et de la nature, et se demanda si l’homme ne vivait que de cela. Le quatrième jour, couché dans sa hutte, un adolescent lui apparaît habillé tout en vert et jaune. C’était Mondamin, le dieu du maïs, envoyé par le Maître de la vie pour l’instruire et qui venait éprouver Hiawatha. Ils luttèrent ensemble, et plus ils combattaient plus la force grandissait en Hiawatha, jusqu'à ce que Mondamin arrête la lutte et s’évanouisse dans le brouillard naissant. Le cinquième et le sixième jour, ils luttèrent de la même façon.
Mondamin dit à Hiawatha :
« Demain tu me vaincras. Mais ensuite, tu devras m’étendre sur la terre là où la pluie pourra tomber et ou le soleil pourra me réchauffer. Tu me veilleras et tu ne laisseras aucune main, ni quoique ce soit troubler mon sommeil et cela jusqu’au jour ou tu me verras jaillir au soleil. »
Le lendemain, après l’avoir vaincu, Hiawatha prit soin du corps de Mondamin, qui au bout de quelques jours se transforma en pied de maïs. Hiawatha apporta ce don du ciel à son peuple qui, ainsi, ne subit plus la faim. »

L’initié Amérindien doit d’abord passer par l’étape de la purification.
Pour l’Amérindien dont la spiritualité est universelle, dont le lien avec l’univers et la nature est profond, cela se passe au plus près des arbres et des cimes avec le ciel comme seul témoin.
Les phases de silence et de solitude que l’on découvre dans la spiritualité des Amérindiens sont différentes de la réclusion monacale ou des années de solitude des ascètes hindous. Différentes en deux points : l’intention d’abord qui n’est pas dirigée vers une libération spirituelle, mais vers un contact personnel, intime avec le monde des esprits, et, en second point, par le sens de la communauté.
Le mythe commence ici avec le service à l’humanité : dans l’épreuve du dieu Maïs.


Photo d'indien Ojibway

6/ Hiawatha a deux amis , Chibiabos , le meilleur de tous les musiciens et Kwasind , le plus puissant de tous les mortels.
Chibiabos était vraiment un musicien hors du commun. Il charmait tous les êtres de la nature : hommes, oiseaux, animaux, et jusqu’aux ruisseaux qui arrêtaient leur flot et lui demandaient de leur apprendre à créer des mélodies. Kwasind, lui, était aussi fort qu’il était paresseux, mais il se mettait obligeamment au service des autres quand il le fallait. »
Les personnages accompagnant le héros désignent toujours des qualités nécessaires sur le chemin spirituel, pour le futur initié :
- soit ces personnages aident le héros dans les épreuves, ce qui est le cas de ce mythe.
- soit ils illustrent une particularité psychologique lors des phases traversées.
Certaines capacités sont d’une aide précieuse dans un voyage accompagnant le processus, au point de figurer dans les récits initiatiques comme des entités distinctes en soi : c’est ce qu’expriment les différents compagnons du personnage central dans les légendes.
Ici le mythe décrit deux qualités : la puissance qui découle d’une compréhension active des énergies fondamentales, et l’écoute de l’harmonie qui unit les êtres.
7/ 8/ Hiawatha s’était construit un canoë en bouleau, avec l’aide des animaux et grâce à ses pouvoirs. Il n’avait pas besoin de rames, car il le conduisait par ses pensées et le guidait par ses désirs. Kwasind plongea dans la rivière et la nettoya entièrement de tous les obstacles et des branches qui pouvaient entraver la descente. Kwasind fut même obligé de creuser un canal pour parfaire la navigation.
Hiawatha décida d’aller pêcher dans le grand lac, le roi des poissons : Nahma l’esturgeon. Accompagné de son ami l’écureuil, Hiawatha lança son hameçon au dessus du banc de sable où demeurait habituellement l’esturgeon. Nahma envoya d’autres poissons prendre l’hameçon, mais Hiawatha les fit reculer et appela le roi à se mesurer avec lui.
Nahma répondit au défi, jaillit hors de l’eau, et, ouvrant grand sa mâchoire, engloutit le canoë avec Hiawatha. Hiawatha se retrouva dans une grande caverne, dans le noir complet. Bientôt, il sentit comme une grande pulsation et, ayant compris qu’il s’agissait du cœur du poisson, il le frappa violemment de toute sa force. L’écureuil aida Hiawatha à maintenir à flots le canoë, tandis que celui-ci frappait le gigantesque esturgeon. Nahma mourut bientôt sur la berge. Les mouettes arrivèrent de toutes part, percèrent la peau du monstre, et libérèrent Hiawatha et l’écureuil.
Hiawatha appela sa grand-mère, fier de son exploit :
« Apporte des jarres pour récupérer l’huile si précieuse pour passer l’hiver ».

Le texte nous donne un sentiment de « déjà vu » ; en effet, il nous rappelle la situation d’un homme dans le ventre d’un énorme poisson, très connue des chrétiens ; soit ce thème a été enjolivé par Longfellow, transformant Hiawatha en Jonas, soit c’est bien un thème universel. Nous voici au véritable début de l’initiation, qui commence par le désir de purification.
Une force très puissante réside en nous, qui capte toute notre énergie, attire toute notre attention ; l’initié doit la reconnaître et finalement s’attaquer à la cause de cette perturbation de l’être. Après cette phase, vient tout doucement la connaissance du lien de l’ego avec les désirs instinctifs et les angoisses : les multiples esclavages de l’être humain. Le nœud de ces actions, représenté ici par Nahma, l’esturgeon monstrueux, doit être parfaitement reconnu.


Photo d'un indien dans un canoë

9/ Sur les conseils de sa grand mère, Hiawatha se décida à combattre le grand magicien Megissogwon. Celui-ci avait tué le père de Nokomis, alors qu’il était descendu de la lune pour chercher sa fille. Ce grand esprit maléfique habitait au milieu de marais noir, gardé par de terribles serpents de feu. Megissogwon envoya la fièvre du brouillard des marécages, la maladie et la mort aux humains.
Nokomis conseilla à Hiawatha de prendre toutes ses armes et d’enduire son canoë avec l’huile du poisson Nahma. Hiawatha mit plusieurs jours pour arriver à l’entrée du royaume de Megissogwon. Les deux gardiens : les serpents de feu, se jetèrent sur lui, mais Hiawatha les tua tous les deux avec deux flèches bien ajustées. Hiawatha continua à naviguer jusqu'à ce qu’il aperçut une terre sur laquelle se dressait un wigwam resplendissant. C’était celui du sorcier rayonnant de son pouvoir. Hiawatha lança une flèche sur le wigwam et défia le magicien.
Le sorcier sortit et se lança aussitôt contre Hiawatha. La bataille dura toute la journée, les armes de Hiawatha n’étaient d’aucune utilité contre le sorcier, car elles ne pouvaient rien contre la tunique de wampum, véritable armure du magicien. Au soir, Hiawatha était harassé et couvert de nombreuses plaies. Il s’éloigna et se reposa adossé à un pin. Un pivert le héla et lui dit :
« Vise la tête du sorcier, à la racine des cheveux. Là seulement, il peut être tué. » Grâce au conseil de Mama le pivert, et à sa rapidité, Hiawatha parvint à tuer le magicien avec trois flèches, ciblées exactement à la racine de ses longues tresses.
Comme trophée, Hiawatha prit la tunique de wampum magique du sorcier et toutes les richesses que celui-ci avait entassé dans son wigwam. Il remonta dans son canoë et traversa à nouveau le vaste marais pour retourner vers sa grand-mère et son foyer. A l’arrivée, il fit le récit de ses exploits, et fit le partage de ses richesses avec tout son peuple. » 
Voici le premier combat pour la libération de la conscience.
L’Ego est un grand magicien, il est capable de nous faire croire à la réalité des émotions, des multiples affections et des troubles dans notre être ; il nous manipule par la culpabilisation qu’entraînent toutes ces perturbations. Car, ne l’oubliez pas, la lumineuse paix est le seul état réel en nous, les fluctuations de nos sentiments sont irréels.
Le disciple sur le chemin doit rester sur la juste ligne de l’instant présent, pour vaincre l’Ego. Il est conscient des multiples voies que prend cette conscience pour le détourner de la réalité, - c’est pour cela que Hiawatha enduit son canoë de l’huile de Nahma – et entame le combat avec toute les ressources de son être, toute son attention. Mais le disciple ne peut réellement se libérer de l’Ego que lorsqu’il a vu son irréalité, que lorsque l’initié a perçu parfaitement la racine sur laquelle prend naissance l’Ego. C’est avec les trois qualités : Attention, Écoute, Puissance – les trois flèches qui ont touché la tête du magicien – que le disciple réussit à garder en retrait cette conscience auto-générée.


Photo de chefs Sioux

10/ Hiawatha rêvait de la fille qu’il avait vu au pays des Dakotas et résolut de partir chercher Minnehaha, malgré l’opposition de sa grand-mère Nokomis. Minnehaha de son côté ne cessait de penser à ce jeune guerrier qui était passé il y a déjà quelques mois, et qui, en la regardant avait hésité à partir. Hiawatha arriva au wigwam du « faiseur de flèches » et apporta un daim qu’il avait tué en cours de route.
Le père de Minnehaha, était très content de sa venue car il le tenait pour un noble guerrier. Les jeunes gens se reconnurent et bientôt, le « faiseur » de flèches, accepta que le peuple des Ojibways puisse se rapprocher du peuple des Dakotas, par l’union de Hiawatha et de Minnehaha. Le grand artisan consentit à donner sa fille à Hiawatha et les jeunes gens partirent heureux et entourés de tous les chants d’oiseaux. »
11/ A leur arrivée au foyer de Nokomis, le peuple Dakota tout à la joie de l’union des jeunes gens se mit à préparer un festin de noces qui reste exceptionnel dans l’histoire du pays. Les costumes étaient magnifiques, et les mets préparés avec le plus grand soin.
Le beau danseur Pau-Puk-Keewis se distingua par son agilité et son élégance. Les chants du gracieux Chiabobos et les contes du fanfaron Iagoo éblouirent la soirée. »
A présent, l’union de l’Attention et de la Conscience de l’origine, peut exister en harmonie, puisque l’esprit du disciple n’est plus ballotté de droite et de gauche par les peurs et les désirs. Le disciple reste centré sur lui-même, attentif comme un guerrier, mais dans une guerre contre soi-même, contre ses habitudes émotionnelles et ses conceptions mentales sclérosées ; c’est l’écoute sans jugement qui doit être la clé de cette attitude. La conscience vive de l’origine de toute chose, rend tout cela possible. Cette forme d’appel, cette forme d’intuition est la douceur même, c’est pourquoi elle est toujours représentée par une jeune fille dans les contes.


Photo de deux jeunes filles Iroquoise

12/ Les années passèrent pour le jeune couple en parfaite harmonie.
Un matin, Hiawatha regardait les champs de maïs encore verts, et demanda à Minnehaha de bénir les champs pour les protéger des êtres nuisibles. En pleine nuit, Minnehaha toute nue, fit le tour de chaque champ, traçant de ses pas un cercle magique protecteur, qu’aucun insecte ni aucun animal ne pourrait franchir. Mais le roi des corbeaux prit cet acte comme une insulte, appela sa troupe de corbeaux, et de merles, et ils descendirent sur les champs de Hiawatha, sur la tombe de Mondamin le dieu du maïs.
Mais toujours vigilant, Hiawatha, avait entendu le roi des corbeaux et avait aussitôt mis des pièges dans les champs. Quand la troupe ailée se posa sur les cultures, les oiseaux se prirent dans les pièges et Hiawatha se mit à les tuer par dizaines. Seul le roi des corbeaux fut épargné, Hiawatha le lia au sommet de son wigwam. »
L’attaque des oiseaux survient lorsque Hiawatha demande à sa compagne Minnehaha de bénir les champs. Que signifie cet épisode ?
Le disciple parfaitement à l’écoute, fait très bien la part des choses : de ce qui vient de l’Ego, et de ce qui est de l’Intelligence. Le disciple sait reconnaître l’intuition produite par ce que nous allons maintenant nommer « Ame » que représente Minnehaha. Cet équilibre des formes de conscience amène une paix de l’être, ce que n’apprécie pas l’Inconscient naturellement dominateur.
Cet inconscient – le « diable » selon les catholiques, « celui qui divise », est simplement une puissante force d’énergie et de conscience liée au cosmos, mais possédant une inertie fabuleuse. Cette force nous attache à une structure qui devient de plus en plus cristallisée, et finit par enrayer la Vie même en notre être. Dans ce mythe, ce sont les oiseaux qui attaquent, quand la conscience de l’origine peut réveiller l’être réel.


Photo d'un shaman Algonquin

13/ Un jour, songeur, Hiawatha se dit que toutes les choses marquantes de la vie s’effacent, disparaissent, tombent dans l’immense oubli. Toute la science des hommes sages disparaît avec eux. Ainsi songeait Hiawatha, marchant dans la vaste forêt, cherchant le bien être de son peuple. Il se mit à tracer des figures sur l’écorce des arbres à l’aide de différents pigments. Et ces figures prirent un sens, suggérant chacune une idée.
Un œuf devint le symbole du grand esprit Kitché-manitou.
Le serpent devint le symbole de l’esprit malfaisant, le cercle devint la représentation du cycle de la vie. Hiawatha dessina ensuite le soleil, la lune et continua à représenter tout ce qu’il connaissait sous forme de graphiques, faciles à reconnaître.
Hiawatha présenta ses symboles à son peuple et leur apprit à reconnaître ainsi chaque chose, à les nommer et à s’en souvenir. Hiawatha enseigna ainsi à écrire à son peuple, sur des écorces de bouleau, tous les symboles et mystères de la Nature, et la profonde sagesse qu’elle contenait. »
L’homme peut sortir de ce lien infernal, par le choc que lui cause la mort. Le monde naturel nous propose un développement infini, une expansion illimitée, mais bientôt ce rêve se fige, se cristallise et se change en poussière. Tout n’était que mensonge, car la mort nous guette tous et tous nos édifices s’écrouleront derrière nous. A présent, le disciple qui a reconnu la nature profonde de l’être, qui s’est éveillé au monde véritable intérieur, doit communiquer à ce sujet, il doit enseigner à son prochain. Ainsi le héros devient civilisateur.
14/ La sagesse de Hiawatha provoquait la haine parmi les esprits mauvais, les puissances maléfiques, aussi Hiawatha était-il très attentif. Mais les esprits malfaisants pouvaient s’en prendre aux amis chers à Hiawatha.
Chibiabos un jour d’hiver, partit à la chasse et s’engagea sur la glace épaisse du lac, à la poursuite d’un cerf. Chibiabos ne vit pas l’esprit mauvais du lac briser la couche de glace sous ses pieds. Ainsi, l’ami le plus cher au cœur de Hiawatha, Chibiabos le doux musicien, est mort, englouti sous les glaces du lac par le dieu de l’eau.
Du haut d’un promontoire, Hiawatha qui avait vu le plongeon de son ami, poussa une plainte déchirante. Il se noircit le visage, et se lamenta pendant sept semaines.
Alors les « Medecine-Man », les sages de sa tribu, vinrent et construisirent une hutte sacrée. Ils commencèrent les rituels de purification et chacun entra dans la hutte de sudation, emmenant Hiawatha. Ils invoquèrent ensemble les esprits éternels, qui apaisèrent et fortifièrent Hiawatha. Puis ils appelèrent Chibiabos à s’extirper de sa tombe profonde, et cette invocation fut si puissante que le corps de l’ami de Hiawatha émergea du fond du lac. Chibiabos se présenta jusqu’au seuil de la hutte où les sages lui imposèrent de rester. Tous ensemble il lui donnèrent le titre de Maître de la mort, Maître de la terre des esprits, et lui indiquèrent le chemin de l’au-delà. Chibiabos se fondit dans la brume et s’en alla dans son royaume.
A la suite de cet évènement, Hiawatha se mit à enseigner à son peuple les remèdes à base de simples et d’autres composants, tous les mystères et l’art sacré de la guérison. »


Dessin de G Catlin

15/ 16/ Un jour le beau danseur Pau-Puk-Keewis, par jalousie envers Hiawatha, apprit aux Ojibways des jeux de hasard. Bientôt la discorde s’installa parmi le peuple, dressant les frères contre les frères. Puis rempli d’orgueil, Pau-Puk-Keewis alla voir Hiawatha, et ne trouvant personne dans le wigwam, le beau danseur le détruisit entièrement. Ensuite il tua tous les êtres ailés qu’il rencontra. Hiawatha de retour chez lui, constata les dégâts et fut très en colère, il se mit à la recherche de Pau-Puk-Keewis. Dès qu’il vit Hiawatha, au lieu de se battre, le danseur prit lâchement la fuite devant notre héros.  Pour échapper à Hiawatha, par trois fois le « faiseur » de discorde se métamorphosa :
- la première fois en castor, mais Hiawatha le délogea facilement de son repaire, car il s’était fait très gros, plus gros que les autres castors.
- La seconde fois il se métamorphosa en bernache, mais de taille si conséquente qu’elle déclencha sa chute.
- Pau-Puk-Keewis prit alors une autre forme pour échapper à Hiawatha : celle d’un serpent, mais Hiawatha le délogea du taillis où il s’était réfugié. Pau-Puk-Keewis reprit alors sa véritable apparence et courut chercher refuge chez le Vieux de la montagne qui accueillit volontiers le fuyard. Hiawatha frappa bientôt à la porte, réclama Pau-Puk-Keewis, mais le Vieux de la montagne refusa d’ouvrir la porte. Alors Hiawatha leva les mains au ciel, implora l’éclair et le tonnerre. Une tempête formidable s’abattit sur la montagne, les éclairs détruisirent les rochers et finirent par tuer Pau-Puk-Keewis.
Hiawatha prit l’âme de Pau-Puk-Keewis qui partait pour le royaume des ténèbres et le changea en aigle planant dans les airs, en grand aigle plein de force et aimant la bataille. »
Cet épisode rappelle le disciple ou le futur maître, a la vigilance, car l’ultime confrontation à l’Inconscient doit avoir lieu. La libération de toutes les illusions doit être effective, et pour cela, le nœud de toutes les discordes, de tous les conflits, doit être tranché. La Conscience doit voir parfaitement l’origine du conflit en soi.


17/ Le compagnon de Hiawatha : Kwasind le fort, faisait des envieux parmi le petit peuple des génies. La force merveilleuse de Kwasind résidait dans sa chevelure, mais elle était également son point faible. Cette particularité n’était connue de personne, mais le petit peuple, lui, connaissait toute chose. Le petit peuple, par peur de sa puissance, résolut de tuer Kwasind. Un jour que Kwasind descendait la rivière en canoë, le petit peuple l’attaqua, lança sur sa chevelure des cônes de pommes de pins, seules véritables armes pouvant détruire la puissance de Kwasind. Terrassé par le petit peuple des génies, Kwasind tomba dans la rivière et disparut dans les flots. »
La puissance ou les pouvoirs de compréhension du disciple ne peuvent lui garantir le monde divin. Le véritable combat contre la mort est l’acceptation totale de ce que la Vie apporte, sans désirs, sans conceptions au sujet de son propre devenir.
18/ Lors d’un hiver, alors que Minnehaha et Nokomis attendaient le retour de chasse de Hiawatha, deux sombres femmes entrèrent dans le wigwam et s’assirent dans un coin. Elles étaient pâles et hagardes, telles des spectres. Hiawatha rentra bientôt de la chasse, et leur offrit l’hospitalité malgré leur apparence manifeste de fantômes. Elles vécurent avec eux et engloutirent beaucoup de nourriture, sans que Hiawatha ni Minnehaha et Nokomis, ne leur en fassent reproche.
Un soir, les deux femmes émirent des plaintes. Hiawatha alla leur en demander la raison. Elles lui répondirent :
« Oh ! Hiawatha, nous avons mis ta patience à l’épreuve par nos manières insultantes. Mais ton cœur noble a subi cela avec bonté et courage. Nous sommes les spectres des disparus venus du royaume des ténèbres et nous sommes venues pour t’avertir, pour que tu dises aux tribus qu’il ne faut pas que les vivants se lamentent de notre disparition. Il ne faut pas que les vivants déposent de lourds cadeaux, des fourrures, des vases, des offrandes en quantités sur les tombes. Il faut simplement donner aux âmes en partance vers le royaume des ombres, un peu de provisions pour la route. Allumez aussi des feux sur les tombes chaque soir pendant quatre nuits : c’est la durée du voyage et cette lumière les guidera et évitera qu’ils s’égarent pendant cette route dans les ténèbres. »
Les fantômes se turent, une sombre nuée se fit dans le wigwam et Hiawatha sentit un souffle d’air qui sortait de la tente. Les fantômes étaient repartis, après avoir enseigné les rites funéraires, que transmit Hiawatha. »


Il est possible que cet épisode évoque les diverses mémoires contenues dans le « microcosme » de l’initié. Les mémoires des vies passées provoquent le sentiment d’avoir déjà vécu un tel événement, ou justifient une tendance en soi que ne peut expliquer sa propre existence. Ces « souvenirs » sont comme des fantômes, mais certains peuvent être une source de connaissance.
L’être devenu pleinement éveillé se met au service de son peuple et il établit des rites propices aux autres hommes, pour un parfait équilibre dans ce monde et une connaissance de certaines lois naturelles.
L’attrait de la « quête de visions » chez les peuples amérindiens, provient certainement d’une très ancienne source initiatique.


dessin de G Catlin

19/ L’hiver dura encore longtemps, de nombreux mois. Un jour, deux hôtes s’installèrent sans y avoir été conviés, dans le wigwam de Hiawatha et Minnehaha. Ces deux personnages étaient : la fièvre et la famine, et ils s’installèrent dans tout le pays.
Minnehaha succomba bientôt à la fièvre, malgré les prières de Hiawatha à Gitche-manitou. Nokomis et Hiawatha, en pleurs, ensevelirent Minehaha dans la terre froide, avec ses plus belles parures. Ensuite, ils allumèrent un feu pour éclairer le chemin de l’âme de Minehaha vers le royaume des ombres. 
Le printemps revint enfin, apportant la joie à tous les êtres, mais la peine de Hiawatha était toujours présente. Un soir, Hiawatha décrivit l’avenir à son peuple, car il avait eu de nombreuses visions. Ce n’étaient pas des visions de bon augure, mais Hiawatha avertit ainsi son peuple pour qu’il soit courageux.
Un jour d’été Hiawatha monta dans son canoë, dit adieu à la vieille Nokomis et partit vers l’ouest. Voguant dans la gloire du soleil couchant, salué par les cris de son peuple, Hiawatha disparut à l’horizon. »
La fusion de l’Ame et de l’Attention doit devenir parfaite afin que l’être immémorial, enfin libre de toute illusion, de toute identification, soit de retour à « l’Origine ».


Nous voici à la fin du récit de Longfellow, et nous espérons avoir posé avec le plus d’acuité possible, un regard en profondeur sur ce récit très controversé.
Dans mon livre « Hiawatha et la femme tombée du ciel », au chapitre suivant, de nombreuses variantes sont étudiées et permettent de percevoir le lien spirituel dans ce texte sacré amérindien.

L'Aède


Notes
1/ La seule personne à ma connaissance qui ait relié le personnage légendaire de Hiawatha aux « envoyés » fondateurs de religions, est Jan Van Rijckenborgh fondateur du mouvement « Lectoruim Rosicrucianum » ou « Rose-Croix-d’Or ».