Hampâté Bâ et la mère de la calamité
Le système initiatique des légendes à été particulièrement bien décrit par ce merveilleux lettré soufi : Hampâté Bâ (1).
Surtout, il a su apporter et faire découvrir au monde ce magnifique enseignement initiatique de la nation Peul.
Nombre d’études ont été consacrées à ces œuvres, textes et études sont un trésor pour tous ceux qui s’intéressent au contenu spirituel des légendes.
A mon sens, les contes d’Hampâté Bâ sont un pont entre le système initiatique occidental et le sens profond des « choses mystérieuses » et spirituelles d’Afrique noire. Ce lien réel entre nos deux cultures « si différentes » dans la forme, est ici : l’enseignement spirituel soufi. Cet enseignement, dans sa description du chemin initiatique que doit réaliser un futur initié Peul, est extrêmement proche de celui du domaine occidental, tel qu’il existait en ancienne Grèce, et tel qu’il existe également dans nos temps modernes, comme le parcours initiatique de Christian Rose-Croix dans les textes du XVIIeme siècle.
Le peuple Peul, constitué d’éleveurs nomades fortement islamisés, est, pour certains déjà un exemple empli de mystères du lien entre deux cultures : l’Afrique du nord et l’Afrique noire. L’habitat de ce peuple s’étend sur une aire particulièrement vaste, du Cameroun au Sénégal, et "la légende" prétend que les peuls proviennent directement de la civilisation ancienne Egyptienne.
Les systèmes mythiques et légendaires d’Afrique noire sont très complexes, leurs développements se situe sur trois plans d’existence, en totale interpénétration et interaction.
Prenons un exemple : le système mythologique des Dogons est semblable à un jeu d’échec en trois Dimensions, les pièces sont situées sur trois échiquiers juxtaposés ; alors que celui des Indo-Européens ressemble au jeu d’échec simple, avec un développement linéaire en deux dimensions : signifiant l’espace et le temps.
Cette forme particulière de construction mythique provient sans doute d’une perception de la personnalité non-dissocié des mondes de la nature. L’homme dans ce système est lié au monde des esprits naturels des animaux et végétaux, et est fortement relié au mondes des esprits ancestraux. Cela donne forcément pour l’initié, une vision très différente de lui-même, inclus dans un monde en éternelle mutation, ballotté entre le monde des morts et celui des vivants, entre le passé ancestral avec ses influences, et ses propres scénarios des futurs possibles. L’homme est au milieu de tous cela, perdu dans un monde luxuriant… sauf s’il trouve sa véritable place dans ce monde aussi fantastique, ce que les rites de passage peuvent lui faire découvrir. Ou encore, sur une spirale plus élevée, qu’il trouve la connaissance libératrice intégrale de lui-même et de tous ces mondes, ainsi que leurs buts, ce que l’initiation spirituelle seule peut lui apporter.
Hampâté Bâ à travers ses notes, nous donne toutes les clés ésotériques cachées dans ce qu’il appelle lui-même un cycle en trois phases,
1/ celui de « Njeddo Dewal, mère de la calamité »,
2/ celui de « Kaïdara » et...
3/ celui de « L’éclat de la grande étoile ».
Voici ce dit Hampâté Bâ dans son introduction de Njeddo Dewal :
« Dans le conte Njeddo Dewal, mère de la calamité, nous assistons à la lutte entre le principe du bien et le principe du mal. Kaïdara illustre la quête de la connaissance et l’éclat de la grande étoile retrace la quête de la sagesse ».
Tout est là, une genèse avec la chute et le renvoi des hommes du pays bienheureux, avec par la suite, la naissance et la découverte du principe divin en soi ( Bâgoumâwel), qui seul peut vaincre le mal. Ensuite, après la découverte de ce principe spirituel en soi, vient la première initiation : celle de la connaissance de soi et de ses capacités et entraves personnelles. Puis la soif de la lumière qui ouvre à la véritable sagesse spirituelle.
Voyez… il n’y a pas de mystère, sinon pour ceux qui ne veulent voir.
Danielle Diblé à produit une très bonne étude sur le conte de Kaïdara, et je vous incite à la lire.
Un point quand même mérite d’être souligné : ce conte axé sur le plan spirituel met en scène trois personnages, mais cela ne signifie pas trois comportements différents de trois types de disciples. Il ne s’agit pas de trois compagnons à l’initiation avec les choix que chacun peut ou veut prendre sur le chemin, mais bien plutôt d’une métaphore, car ces trois personnages (ou mouvements de l’être) sont bien présent en nous. C’est d’ailleurs dans la préface, ce que souligne Hampâté Bâ :
«Tous les personnages du conte ont leur correspondance en nous-mêmes. Njeddo Dewal et Bâgoumâwel sont en nous comme deux pôles extrêmes, séparés par une infinité de degrés possibles. Notre être est le lieu de leur combat. »
C’est le sens même que l’on découvre dans les légendes…
Attaquons nous maintenant, succinctement au décodage, à la découverte du sens spirituel de ces contes. Décodage sommaire ou esquisse, pour la bonne raison que je ne maîtrise pas la langue du peuple Peul, qui, par les racines linguistiques du nom donné à chaque personnage ou lieu ou objet, permet à l’initié de se situer précisément dans ce cheminement.
Ainsi le symbolisme de chaque rencontre accompagné de l’interprétation par le maître, permet au disciple, la reconnaissance intérieure des éléments présents en soi, sur le chemin de la découverte de l’Esprit Unique Universel.
NJEDDO DEWAL, Mère de la Calamité
Suivons les péripéties de l’histoire pas à pas :
_ Evocation de l’éden
_ Par trop d’orgueil de la nation humaine, le dieu Guéno fait naitre Njeddo Dewal : la mère de la calamité
_ Chute de l’humanité,
_Construction d’une cité invisible Wéli-Wéli, par Njeddo Dewal qui aspire la vitalité des hommes par l’intermédiaire de sept aspects, ses sept filles.
Cette première phase place l’initié dans la nécessité de redécouvrir les bases réelles de son existence, en considérant que la vie actuelle commune à chacun est par trop virtuelle et sans stabilité intérieure. Dans cette première partie, nous trouvons le symbole d’un paradis perdu par les caractéristiques « humaines » de l’homme : son orgueil et son avidité, notion que nous retrouverons dans Kaïdara. Le mal devient donc présent, Il existe maintenant : Njeddo Dewal, et quelle est sa caractéristique ? nous la trouvons dans l’acte même : la construction d’une cité ou enceinte, (nous trouvons le signe d’un enfermement) et qui est explicitement nommé Wéli-Wéli : un double nom pour exprimer la dualité. Et oui, tout simplement, puisque l’homme se représentant séparé du divin, deux mondes existent maintenant. La croyance en ce « concept » est tout le « problème ». La nature représentée par toutes les cultures comme septuple (sept couleur etc…) devient le lien nourricier pour l’homme, mais aussi son esclavage.
_Bâ-wâm’ndé, sage médecin, après un oracle, part pour le centre de la cité de Njeddo avec le sacrifice adéquat : un mouton.
_Il fait de nombreuses rencontres (7) et grâce à sa profonde bonté, ces êtres lui donnent des éléments magiques déterminants pour la suite.
_ Il entre dans la cité de Wéli-Wéli grâce aux aides qu’il arencontrées.
_ La reine termite à la demande de Bâ-wâm’ndé, délivre le monstre infirme, réceptacle de la force vitale dérobée par Njeddo Dewal : Siré.
_Siré retrouve son état d’homme normal.
_Départ et passage par la gueule du gecko pour sortir de la cité.
_ Fuite de Bâ-wâm’ndé, Siré et le mouton.
_Ils sont poursuivi par sept esprits envoyés par Njeddo Déwal
_ Sept aides se manifestent à nouveau permettant leur retour sains et saufs.
_ ils arrivent à l’île magique de la reine scorpion, qui les cache, et leur permet de délivrer l’ancien dieu Peul : Koumbasâra.
Ce chapitre est la première phase du processus de conscience de soi.
Il met en scène l’aspect de compréhension, d’intelligence de l’homme basé sur une bonté et un amour pour l’humanité. Cela lui donne l’énergie pour entamer ce processus. Les phases ou rencontres fortifient la connaissance de soi. Le mouton représente l’aspect du sacrifice de soi, la possibilité de se détacher de l’influence de l’ego, absolument nécessaire, sans cela il n’existe pas de chemin. Au plus profond de soi même dans le monde dualiste et séparé, il existe un pouvoir de libération de l’être, (le symbole de la reine termite), et cette base permet de réveiller un autre aspect en soi représenté par Siré. Cet aspect a été emprisonné par Njeddo Dewal et il s’est appauvri, transformé en petite chose informe et oubliée, qui est l’appel au divin en soi. C’est cela que recouvre la dualité ou le monde accaparant de l’espace–temps, le véritable mal qui est la méconnaissance du divin que nous sommes. Pour fuir la cité, ils traversent la gueule du gecko : autre symbole de transformation, de retournement vers l’origine, de phase de mort rituelle. La fuite désigne la propre sauvegarde de sa force de compréhension intérieure : l’être est immergé dans les règnes de la nature et ne peut détruire cela, il ne peut qu’essayer de se détourner des ses forces, absorbant la totalité de son mental et de ses sentiments. Il lui faut poser, posséder un sentiment fort de sa propre intégrité, qui lui permet de continuer sa quête de lui-même : ce symbole est le dieu ressuscité : Koumbasâra, cela peut être comparé à la foi : perception intérieure sure.
_Bâ-wâm’ndé décide d’interroger l’avenir grâce au crâne (6eme objet donné sur le chemin) le crâne lui dit de sacrifier le mouton et de le donner à manger à sa femme, ce qui provoquera la naissance de sept fils et d’une fille et de cette dernière naîtra un prodigieux garçon.
_ Ainsi s’accomplit la naissance de l’enfant miraculeux : Bâgoumâwel
_ Dés sa naissance l’enfant suit ses sept oncles, en route vers la cité de Wéli-Wéli, pour obtenir la main des sept filles de Njeddo Dewal
_Lorsque Bâgoumâwel rejoint ses frères, il à l’age de sept ans. Il aide ses oncles à se sortir de quatre épreuves.
_1er confrontation de Bâgoumâwel (12 ans) avec Njeddo déwal dans sa cité pendant que ses oncles couchent avec les filles de Njeddo
_ Bâgoumâwel empêche Njeddo de boire le sang de ses oncles, et par un stratagème intervertit les filles et les frères, ainsi Njeddo tue ses propres filles.
_2eme confrontation de Bâgoumâwel avec Njeddo
_ Bâgoumâwel sur l’insistance de ses oncles, les emmène au pays de Njeddo, et ceux-ci sont capturés et enfermés dans sept sarcophages.
_ Bâgoumâwel invoque l’aide du crâne de son grand-père et retrouve la piste de ses oncles. L’aide de la reine abeille, de la grenouille et du dieu du fer lui est nécessaire pour délivrer les sept hommes.
_3eme confrontation de Bâgoumâwel avec Njeddo
_ Njeddo enlève un prince et demande une rançon : 20 jeunes garçons et Bâgoumâwel
_Bâgoumâwel s’offre en sacrifice pour remplacer le prince et est emprisonné par Njeddo
_ Hammadi, l’oncle de Bâgoumâwel, invoque le crâne qui lui dit de demander l’aide de la reine des araignées et celle du dieu ancestral Koumbasâra qui libéra tous les garçons.
_4eme confrontation de Bâgoumâwel avec Njeddo
_Njeddo enlève tous les enfants du pays
_Bâgoumâwel invoque le crâne qui lui donne cette méthode : se métamorphoser en vent léger, qui entre dans le ventre de la vache de Njeddo et engendre aussitôt un veau superbe qui capte l’amour de la mère de la calamité. Ce veau joue avec les enfants et un jour, Bâgoumâwel, en tant que veau, peut les ramener malgré la vigilance de Njeddo.
_5eme confrontation de Bâgoumâwel avec Njeddo
_Njeddo Dewal se transforme en énorme inondation.
_La mère de Bâgoumâwel avait un morceau de salpêtre dans sa case, qui lui venait de ses ancêtres et elle demande à son fils de le récupérer.
_ Bâgoumâwel se sacrifie, car le danger est grand pour lui : la case de ses ancêtres ne serait pas sure face à Njeddo Dewal.
_Alors que Njeddo Dewal allait engloutir Bâgoumâwel, celui-ci lui lance dans les yeux le salpêtre – seul poison pouvant tuer cette « mère de la calamité » – et celle-ci meurt enfin.
_A ce moment l’obscurité qui avait submergé le pays se dissipe.
Fin de la mère de la calamité
cette longue partie concerne un aspect très particulier du processus spirituel, c’est celle de l’émergence d’une nouvelle conscience. Cette forme de perception naît lors de cette quête de soi-même, - quand l’intelligence de l’homme à reconnu la réalité de la dualité emprisonnante, - quand une perception profonde s’est incarné en soi, ( représentée par le dieu ancestral Koumbasâra dans l’histoire).
Cette conscience peut être appelée : nouvelle âme ou âme spirituelle, qu’importe, c’est la découverte et le développement de cette conscience qui est explicité dans cette légende comme dans bien d’autres. Cette conscience possède des pouvoirs qui proviennent du monde divin, ou monde premier originel, mais le disciple doit apprendre et découvrir petit à petit avec beaucoup de patience, ses possibilités. En fait, la puissance de connaissance innée de cette conscience, met en décalage les forces de compréhension habituelle. Les sept oncles, (les aspects naturels, mentaux et émotionnels ordinaire) reconnaissent bientôt malgré eux, le savoir-faire de celle-ci et lui obéissent…enfin.
1/Dans la première phase, il s’agit donc de la permutation de la suprématie des désirs et pensées orientées vers la nature duelle, avec une toute autre orientation de conscience. Le chercheur perçoit alors son propre esclavage dans l’attachement à la nature septuple de ses pensées et désirs.
2/La deuxième phase conforte cette compréhension en l’homme et lui permet de voir l’inanité de ses concepts et de les réorienter, après la dure compréhension du phénomène dualiste qui a ordinairement la maîtrise de ses désirs et pensées.
Cette phase désigne l’inertie des élans de la personnalité, jusqu'à la mise au tombeau des désirs et pensées tournées vers le monde de la nature.
3/La troisième phase implique pour la nouvelle conscience, le sacrifice de soi : seule possibilité de libérer de jeunes forces de compréhension totalement nouvelle : le monde ou entre l’initié possède des règles très différentes et cela nécessite une passivité permettant l’écoute.
4/Les forces habituelles liées au conflit né de la dualité, sont très fortes en soi, et elles ont créé une forme de conscience que l’on peut appeler : l’inconscient, ou le sur-moi. Celui-ci est depuis longtemps prédominant en l’homme et bien sûr, cette forte conscience ne veut aucun changement, aussi le conflit devient plus fort, entre la nouvelle orientation intérieure et ce Maître tyrannique. Pourtant l’Amour resurgit dans cette phase, cela montre que cette force est toute puissante et que même le mal, (c’est à dire celui qui s’est détourné du bien originel), est assujetti a cette plénitude de dieu.
5/Ces forces de l’inconscient ne peuvent se plier docilement devant une nouvelle conscience. Regardez en vous à quel point vous êtes un produit de vos habitudes et de vos formatages personnels, prenez conscience du jugement inconscient et perpétuel que vous placez entre vous et l’instant présent. Un choc est donc nécessaire et la culture Peul à pris ce symbole du salpêtre, certainement très clair pour eux, mais que malheureusement je ne connais pas. Ce salpêtre était sur un feu et appartenait à ce que les ancêtres ont de plus sacré, je peux donc penser que ce symbole doit désigner l’ouverture de cette étincelle de lumière qui surgit en l’homme comme premier lien avec l’Esprit Divin.
KAIDARA
Ce texte est différent du précédent en cela qu’il place le sujet du récit initiatique sur un plan plus intérieur, sans notion préalable de chute de l’humanité et des conditions de vie de l’homme dans le monde naturel. Les trois personnages du récit désignent trois aspects naturel du « désir » présent en chaque homme.
En fait, l’homme n’existe que part sa relation avec…le monde, les autres ou son… propre désir d’exister.
Ce texte met en scène ces trois états intérieurs qui doivent être transformés sur un chemin spirituel. Cette leçon est très pragmatique, elle place concrètement les diverses orientations de l’homme et leur conséquences dirigés par ses choix dans la vie, aussi ce texte peut-être analysé selon plusieurs niveaux de compréhension psychologique. Nous retiendronts celui de la découverte spirituelle.
_Trois hommes sortent pour observer la lumière de l’aurore : Hammadi, Hamtoudo et Dambourou. Une voix les interpelle et leur demande d’exécuter un sacrifice, puis leur montre la porte du souterrain menant au pays des nains.
_Le chemin commence et place devant les trois hommes de nombreuses rencontres(12) jusqu’au pays de Kaïdara
_en premier le Caméléon, puis une chauve-souris (2), un scorpion (3), une mare aux serpents (4), un trou d’eau (5), une outarde(6), un bouc (7), un arbre (8), un vieillard dans une muraille (9), deux jets d’eau (10), un homme au fagots (11), et une case nauséabonde (12).
_Ils arrivent devant le dieu Kaïdara qui change de forme constamment.
_Kaïdara leur donne de l’or, sans répondre à leurs questions, et les trois compagnons repartent chez eux.
_ Seul Hammadi fera bon usage de l’or, il le donne contre trois conseils d’un vieux sage auquel il apporte tous ses soins.
_ Hamtoudo et Dambourou n’ayant pas écouté les conseils, meurent sur le chemin de retour.
_Hammadi devient roi et un jour un vieillard, (Kaïdara) lui explique toutes ses épreuves.
La lumière est la voie suprême, c’est le départ de toute quête ou de tout désir, c’est l’étincelle qui enclenche le processus et c’est le lien avec la réalité de l’être qui n’est qu’énergie. La lumière qui enclenche le récit : l’aurore, réveille les désirs : celui du désir de connaissance : Hammadi, celui du désir de possession : Hamtoudo, et celui du désir de domination : Dambourou. Est-ce que ces aspects de l’être humain peuvent se transformer par l’initiation ?
Les épreuves du chemin sont toujours une possibilité de compréhension et donc de transformation de l’être. Ce chemin qui commence par un tunnel est bien celui des phases intérieures de l’initiation. Ces trois facettes du désir, parviennent devant le dieu Kaïdara, ce qui signifie que l’endurance, la patience et la sagacité – dynamismes nécessaire au chemin - peuvent enrichir considérablement l’être, mais l’énergie qui a permi de traverser ces épreuves dans ce pays inconnu, est la puissance de l’interrogation qui engendre le désir de compréhension. Cette énergie a fait évoluer plus intensément le désir qui y correspond : Hammadi, et ce désir de la connaissance grâce à l’or de l’Esprit : Kaïdara, peut se transformer ou transmuter.
Maintenant qu’exprime ce dieu Kaïdara, l’être qualifié de « lointain bien proche », que je vient d’identifier à l’Esprit ?
Quelle est d’abord sa représentation ? c’est un être qui change de forme au point que nul ne peut le décrire. Son trône ou base tourne sans cesse, et les pieds du trône symbolisent les grands vents, les tremblements de terre, l’inondation et l’incendie.
Bref, Kaïdara est : énergie ou puissance divine. N’est-ce pas la signification de L’esprit ?
Ce désir de connaissance : Hammadi, se transforme sur le chemin de retour en désir de sagesse. Hammadi nettoie le vieillard de toutes impuretés, ou autrement dit, reconnaît les voiles de l’ignorance et petit à petit, celle-ci commencent à se retirer.
Ainsi la sagesse peut dispenser ses conseils à ce désir épuré de son avidité pour les choses matérielles ou naturelles. Les deux autres désirs ne peuvent que mourir, car quand une parcelle de vérité divine naît en soi, le désir de possession et de pouvoir, ne sont plus qu’une ombre sans consistance.
Pour Hammadi, la dernière épreuve est celle de la jalousie, mais grâce au troisième conseil, il peut garder le lien avec ce qui est né en lui.
Autrement dit : le désir de sagesse apporte bien des connaissances et peut engendrer une haute opinion de sa propre valeur, ce qui conduit toujours à une constante comparaison avec d’autres « sages », d’ou l’inévitable jalousie.
La royauté désigne la maîtrise de soi, qui provient de la constante écoute dans l’instant, de ce qui vient vers soi. Ainsi les réponses arrivent toute seules, par l’énergie de l’Esprit-Kaïdara. Celui-ci décrit les douze principes rencontrés sur le chemin qui doivent s’incarner ou se développer en l’homme-disciple. Ils sont parfaitement expliqués dans le récit, mais je vais essayer de les synthétiser :
1/Une prudente vigilance,
2/ La perspicacité,
3/ Le sacrifice de soi,
4/ Se garder de l’égoïsme ou de l’avarice,
5/ Etre humble et charitable,
6/ Se méfier des désirs jamais assouvis,
7/ Pratiquer la chasteté,
8/ Ne pas s’attacher car tout passe,
9/ L’écoute et le silence,
10/ Reconnaître l’unité dans la dualité,
11/ Reconnaître la réalité de ses actes et alléger son karma,
12/ Voir l’enfermement issu de l’Ignorance.
Cette liste peut se retrouver dans nombre de systèmes spirituels, car le développement qu’elle implique, se vit quotidiennement et naturellement de par le monde, par tous ceux qui recherchent la véritable connaissance de soi.
La dernière épreuve qui retient mon attention concerne la case nauséabonde…
Elle concerne un étrange symbole ; Kaïdara en parle comme de la tombe ou s’opère la métamorphose, ce qui rappelle un symbole du monde chrétien ou même maçonnique. Cela implique dans nos cultures différentes significations, comme : faire de sa vie une tombe pour les choses de la nature et se donner totalement au Christ, avec le symbole de la résurrection et l’ouverture du tombeau.
Mais ce texte parle d’une case nauséabonde, alors qu’est ce qu’ une case ?
C’est un abri entourant et protégeant la personne, et puisque nous avons commencé cette description du chemin par le processus et le cheminement de trois concepts de désirs et donc d’élans énergétiques, la case peut représenter la structure vibratoire qui entoure tout phénomène physique. Chaque chose, chaque énergies développe un champ vibratoire ; dans le cas de l’homme, il existe un champ vibratoire décrit depuis Platon comme un microcosme. En fait, tous les processus vitaux, émotionnels, et mentaux enclenchent une réaction énergétique plus ou moins visible que l’on peut qualifier d’aura, et entourant l’être humain. Mais dés la naissance de l’homme, ce qui est la pure partie énergie en nous, génère ce champ de vie nommé microcosme. Cette sphère vibratoire, malheureusement, est tout naturellement orientée vers les désirs de ce monde et ne poura vibrer à sa réelle capacité. Le chemin réellement vécu jusqu’au but, réoriente cette sphère d’énergie qui est réellement nous, et participe à l’univers ou au divin…
Une description de Kaïdara est donné à la fin, mais vous pouvez lire aussi bien, le texte de l’évangile de Thomas, qui décrit la même réalité :
Jésus disait :
Je suis la lumière qui illumine tout homme.
Je suis le tout.
Le tout est sorti de moi et le tout est parvenu à moi.
Fendez du bois, je suis là.
Soulevez une pierre, vous me trouverez là.
Logion 77.
- Dans le livre Vie et enseignement de Tierno Bokar Hampâté Bâ raconte la vie de son maître surnommé « Le Sage de Bandiagara », sa vie auprès de lui et son enseignement.
Hampâté Bâ(1), a été initié dans la voie Tidjaniya, une voie soufi provenant d’Algérie avec un grand rayonnement en Afrique noire occidentale.
Seïdina Ahmed Tijani est le fondateur de cette voie soufi, que Tierno Bokar a enseigné savamment à Hampâté Bâ. Cette voie est née de l’éveil reçue par son fondateur en 1782, après son pèlerinage à la Mecque,: « le Fath El Akbar ».
Le courant soufi de l’école de la Tidjaniya existe encore aujourd’hui, découvrez le site officiel sur internet.
J’ai trouvé sur le site de la Tidjaniya, un des enseignement de Seïdina Ahmed Tijani particulièrement beau :
« Il est rapporté par Tirmidhi et Ibn Hibban dans leur Sahih, qu’un homme a demandé au Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) :
« Ô messager d’Allah ! Les prescriptions de l’Islam sont trop nombreuses pour moi, donne-moi une chose à laquelle je puisse m’attacher ».
Il lui dit : Que ta langue ne cesse d’être imbibée par l’évocation d’Allah.
Cette évocation d’Allah, ce « Dhikr » (1) me rappelle justement la raison d’être des légendes merveilleuses, qui est : rappeler, évoquer et finalement invoquer soi-même, le mystère du Divin, présent en soi et autour de soi.
Voici ce que cite Hampâté Bâ:
« Tierno Bokar incitait ses élèves à se livrer non seulement au « dhikr » extérieur (le dhikr de la langue), qui est une première approche, mais encore au dhikr intérieur permanent, celui qui remplit l’être tout entier de la présence de Dieu et que la tradition soufi appelle le « dhikr du cœur » ou « dhikr de l’intime ».
- Maintenant une interrogation demeure ; quel est l’influence de ce courant soufi sur les épopées de « Njeddo Dewal », de « Kaïdara » et de « L’éclat de la grande étoile » ?
Est-ce que ces légendes sont nées d’un cercle d’initiés dans la voie soufi ou bien d’un cercle « d’anciens » liés aux croyances animistes ?
Ou encore ces deux voies se sont-elles mélangées et pour édifier ces enseignements ?
D’où provient l’enseignement spirituel des Peuls qui semble proche de nos systèmes occidentaux ?
Ces légendes sont liées au monde noir africain, sans conteste possible, mais elles s’en différentient également. Nous ne retrouvons pas le thème de la gémellité par exemple, très présent chez d’autres ethnies comme leur proche voisin les Dogons. Pourtant Hampâté Bâ de part sa naissance sur la falaise de Bandiagara, avait un lien également avec le peuple Dogon. Ce peuple a t’il eut une influence sur cette doctrine initiatique ? Les systèmes initiatiques des Dogons, comme celui d’autres ethnies africaines, impliquent trois paliers ou trois mondes avec ses « peuples particuliers », ce que je retrouve peu dans les mythes peuls, sinon dans cet exemple :
Dans le mythe de « Njeddo Dewal » nous retrouvons pour les personnages, les capacités de voler et de traverser les espaces souterrains : thèmes fortement développés dans les mythes du Mvet. Mais ces espaces signifiants symboliques, ne sont qu’esquissés dans les mythes Peuls.
Nous voici donc devant des textes extrêmement précis, à même de diriger un initié sur le chemin de la connaissance de soi. Ces textes sont adaptés à une nation vivant dans la savane, nation qui peut reconnaître chaque symbole et intégrer leurs significations dans ce processus intérieur. Ce travail de description ésotérique n’a pu s’effectuer que par un groupe d’hommes « éveillés » connaissant parfaitement les caractéristiques ainsi que l’histoire du peuple Peul. Nous voici donc en face des sociétés secrètes africaines, dont le but à été trop souvent défini comme « socialisant » : c’est à dire instituant et officiant aux rituels et cérémonies de passage à l’age adulte, et aux cérémonies funéraires. Les croyances de ces peuples ont été restreintes aux offrandes propitiatoires aux dieux de la nature, sans véritable considération spirituelle profonde. Il est vrai que ces sociétés secrètes ont eu comme interlocuteur, soit des prêtres (ne considérant que leur propre religion) soit des hommes de science (n’ayant que peu d’attrait pour le spirituel), ce qui n’incite pas aux révélations.
Cet état de fait a changé avec de nouveau ethnologues comme Marcel Griaule et ses collaborateurs pour les plus anciens ; mais le fait spirituel, - ce qu’il implique pour l’être intérieur et ses particularités, - est souvent peu connu, et, sans cette connaissance, il est difficile de reconnaître ces caractéristiques. Pourquoi retrouvons nous et décrivons nous dans ces pages, certains éléments soufis dans ces contes ? :
C’est parce que nous nous attachons aux phases de ce chemin spirituel et qu’elles sont universelles, bien au delà des symboles propres à une culture. C’est sans doute pour cette raison que la confrérie soufi Tidjaniya a pu islamiser le peuple Peul, tout en gardant et respectant ses anciens systèmes initiatiques, ce qui est une méthode très intelligente !
Reprenons l’étude du troisième texte :
L’Eclat de la Grande Etoile
En ouverture a ce texte qui débute par une lumière révélée, voici ce que dit Tierno bokar sur les trois lumières :
1/ La première est celle que nous tirons de la matière en la mettant en combustion. Elle correspond à la foi de la masse des individus. A ce degré, les adeptes ne peuvent aller au-delà de l’imitation et de la lettre.
2/ La deuxième lumière est celle du soleil. Cette lumière symbolise la foi du degré médian dans la voie mystique.
3/ La troisième lumière est celle du centre des existences ; c’est la lumière de Dieu. Qui oserait la décrire ?
C’est une obscurité plus brillante que toutes les lumières conjuguées. Ceux qui ont le bonheur d’y parvenir perdent leur identité, deviennent ce que devient une goutte d’eau, dans une mer infinie. »
Ce texte est véritablement un enseignement spirituel et s’adresse aux disciples, souvent à un groupe de disciples, ayant déjà une compréhension intérieure et une écoute de soi.
- Le texte commence avec un appel au retour d’un père à son fils.
- Diôm–Diêri, le petit fils de Hammadi aspirant à la connaissance, invoque le ciel étoilé.
-L’éclat d’une grande étoile apparaît, chacun se demande ce qu’elle signifie.
-Les sorciers et magiciens ne savent rien, seul Bâgoumâwel le sage peut l’expliquer.
- Bâgoumâwel exhorte les devins à se purifier et finit par les changer en bêtes.
-Diôm–Diêri demande à Bâgoumâwel de rester avec lui et d’être son conseiller.
Ainsi pendant 40 ans le royaume put vivre en paix.
- Echange entre Kaidara et Bâgoumâwel
- Le corps de Hammadi ressuscite pour qu’il soit initié par Kaidara au secret des 9 portes.
- Hammadi parle à son petit fils, le rassure et lui dit qu’il restera trois jours, pendant lesquels il recevra l’enseignement de Bâgoumâwel.
- Suit l’initiation des neuf portes du merveilleux corps humain.
- La demeure de Diôm-Diêri devient un temple
- Bâgoumâwel installe Diôm-Diêri sur le trône et ouvre les sept ouvertures du corps. Diôm-Diêri reçoit la filiation spirituelle de ses ancêtres.
- Diôm-Diêri, roi sacré, énonce à présent les règles de comportement de l’homme de bien et de sagesse, qu’il soit roi ou paysan.
- Louanges au dieu suprême : Guéno
il ne peut y avoir de chemin spirituel réel que si le lancinant appel au retour est bien inscrit en l’être intérieur : cette loi est le signe que le chemin est véritablement choisi par le disciple. Celui répond alors consciemment et en toute connaissance de cause.
Le récit ouvre avec un personnage royal : Diôm-Diêri, c’est que ce conte dispense un enseignement à un disciple qui a déjà la maîtrise de lui-même, soit une connaissance suffisante des « choses » naturelles.
Il est maintenant occupé par la connaissance des « choses » spirituelles et il sait que cette connaissance ne peut venir que de la lumière divine.
Bien sûr, ce qui est du divin ne peut être compris que par l’élément divin en soi, la dimension divine en soi ; les connaissances intellectuelles ou les règles de vie habituelles ne peuvent comprendre ou expliquer ce nouvel aspect : inspiration ou âme qui est maintenant en soi. Le guide (Bâgoumâwel) est le seul et unique pouvoir de compréhension, cette nouvelle conscience extraordinaire qui est née au plus profond de l’être et qui dans ce récit va relier le disciple au pouvoir royal de l’Esprit.
Une phase d’assimilation et de transformation est nécessaire pour remplacer les forces d’énergies liées aux lois de la nature (40 jours, le quatre représentant toujours le monde naturel, 4 directions excetéra..). l’Esprit représenté par Kaîdara se manifeste, (voir l’explication de l’Esprit sur la page précédente), et ressuscite le corps ancestral (l’aspiration première à la connaissance divine :Hammadi) (le Dhikr…).
Ici à ce point du récit, vient une connaissance que l’on peut qualifier d’ésotérique au premier abord : les 9 portes. Si l’environnement de ce conte se situait en orient, il est certain que nous aurions le système des cakras à la place de ces 9 aspects physiques. Quel que soit la forme prise pour exprimer le processus physique lié à l’ouverture de l’être aux forces divines, celles-ci doivent être expliquées le plus justement possible pour aider le disciple, en lui permettant de reconnaître les phénomènes qui se produisent en lui-même.
Cette transformation ou transmutation bien connue par la philosophie alchimique est une réactivation énergétique, et peut engendrer certains mouvements du corps et de la conscience, c’est pourquoi les écoles des mystères existent et ont existées. Cheminer seul sur ce chemin spirituel est insensé, pour plusieurs raisons dont celle-ci…
La transmutation ou transfiguration s’accomplit et ensuite vient cette filiation particulière : la filiation spirituelle des ancêtres.
Plusieurs explications sont possibles qui ne s’exclue nullement :
- D’abord le lien avec les ancêtres est fondamental en Afrique ou l’homme existe par les liens du sang.
- Ensuite l’homme naturel est à nouveau relié au plan divin et l’idée de séparation n’existe plus, ainsi l’être retrouve la connaissance des plans divin qui ont toujours été là.
- enfin l’idée d’être seul s’évanouit…
Le disciple maintenant parfaitement éveillé, est au service de son peuple.
Il transcrit les lois de bienséance et appelle lui aussi à retourner à la perception et à la conscience du Divin.
Le thème illustré par le personnage de « Bâgoumâwel » dans le mythe de « la mère de la calamité » est universel et nous rapproche de notre « Petit Poucet » européen, qui se sort de toutes les situations même les plus effrayantes.
Lilyan Kesteloot dans l’ouvrage « Contes et mythes wolof » nous donne une version plus courte de ce petit « Bâgoumâwel ».
Dans cette version wolof, ce petit personnage porte le nom de « Bandikoto », mais Madame Kesteloot nous donne également un de ces autres nom au Sénégal : « Bandia Wali » et nous précise aussi qu’il existe des versions chez d’autres ethnies : les Sérères, les Diola et les Manjaks. Cela démontre la popularité de ce thème.
Je ne connais malheureusement pas les autres variantes africaines, mais celle de « Bandikoto » est très intéressante, malgré sa courte durée. Alors que le récit de Hampâté Bâ concernant « Bâgoumâwel » court sur plus d’une centaine de pages, la légende wolof fait quatre pages. Pourtant, nous retrouvons les symboles de la geste de cet enfant prodige, dans « Bandikoto » malgré sa trame très allégée. Les symboles concernant Bâgoumâwel sont bien présents et reconnaissables mais les situations, peu nombreuses et les personnages très épurés.
La fin de cette légende est la fuite si caractéristique du conte-type 313, que nous avons déjà étudié sur une autre page.
Ainsi à la place des situations si complexes décrivant les phases de confrontations entre « Bâgoumâwel » et la sorcière « Njeddo Dewal », (reportez vous à la première page), nous trouvons simplement un shema comportant une fuite et trois obstacles qui retardent la sorcière, grâce à trois œufs que Bandikoto lance derrière lui. A la fin du conte, la sorcière heurte le dernier obstacle : un rocher, et meurt.
Il est intéressant de constater que le thème du conte-type 313 qui est certainement une des formes légendaires les plus anciennes, est venu remplacer un récit particulièrement développé et précis. Ce serait extraordinaire de constater la même chose pour les autres variantes et prouverait indéniablement qu’il y a un sens profond à cette fuite si célèbre.
Je vous incite maintenant à lire ces textes avec les nombreuses notes écrites par Hampâté Bâ et de vérifier par vous même la dimension spirituelle qui se cache dans les légendes.
L'Aède