bras rouge
Bras rouge : l'ogre des marais ou le gardien de l’inconscient
Le département de Charente-Maritime possède de nombreux marais dont le plus grand et le plus connu est le Marais-Poitevin – qu’il partage avec les Deux-Sèvres et la Vendée. Ce marais abrite – paraît-il – dans ses eaux calmes, un ogre aux bras rouges, qui – si l’imprudent se penche inconsidérément – l’agrippe aussitôt et l’emporte dans les profondeurs insondables, vers un mystérieux et funeste destin.
Cette simple superstition, selon les anciens « maraichins » des Deux-Sèvres, servait à effrayer les enfants pour leur éviter la noyade.
Mais à quand remonte cette croyance teintée d’animisme ?
Et cet ogre : Bras-rouge, a t-il un lien avec un monstre des eaux assez comparable des régions slaves : l’ogre Vodyanoy ?
Les anecdotes superstitieuses sur cet ogre Russe des eaux dormantes : lacs, fontaines, marais ou simple puits, sont étrangement semblables à celles de Bras-rouge…
En effet ces superstitions qu’elles soient charentaises, poitevines ou slaves ( Slovaques ou russes), sont toujours très simples et appartiennent au domaine des croyances aux êtres fantastiques, comme le cheval Mallet, la Ganipote, les fadets ou les fées.
L’ogre Vodyanoy, personnage fantastique, figure dans plusieurs légendes russes ;
son histoire est plus développée que dans les contes superstitieux de nos régions, à une exception près! Ce personnage des histoires russes, à un comportement semblable à la figure du « diable » que l’on trouve dans tous les contes européens, comme dans « Le tsar de l’Onde et Vassilissa la belle » des contes d’Afanassiev.
Dans cette légende, l’ogre habite un lac. Il surgit comme Bras rouge et capture un noble seigneur ; ensuite pour le libérer, il demande : soit son enfant qui vient de naître, soit la réussite des épreuves imposées, en fonction des variantes de ce conte.
Cette forme de conte russe est rattachable au Conte-Type 313, qui possède des centaines de variantes. Le personnage central incarnant le mal, prend de nombreuses formes, de l’ogre au terrifiant magicien ou au stéréotype du diable de nos contrées chrétiennes.
L’attitude de l’ogre des eaux suit toujours le même schéma relativement simple. Il semble ainsi, que Bras-Rouge ou Vodyanoy soit un simple croquemitaine, né des superstitions et des peurs inhérentes aux régions étranges et inhospitalières que sont les vastes marais. Ce personnage limité dans ses exploits, mais « haut en couleur » a du séduire quelques conteurs et s’est introduit ainsi dans le domaine des contes merveilleux. Cet élément posé, il reste à expliquer la concordance entre Bras-Rouge et Vodyanoy…
Quel est le lien qui explique leur ressemblance malgré une distance de milliers de kilomètres ?
Nous sommes dans l’incapacité de répondre à cette question… Mais, il est étrange de trouver une même croyance dans des lieux aussi éloignés….(1)
Maintenant, examinons « l’exception » citée plus haut.
Le cadre de la légende de "Bras rouge" se situe au sud de la Charente-Maritime, dans le domaine des eaux bleues du parc du château de Beaulon, dans la commune de Saint Dizant du Gua, à plus de 100km du Marais-Poitevin. Ce sont de vastes et larges fontaines naturelles aux couleurs bleues profonds, magnifiques et fascinantes, qui servent de lieu de résidence à l’ogre Bras rouge.
Ce conte écrit par Robert Colle, a été édité dans l’ouvrage : « Légendes et contes d’Aunis et Saintonge » aux éditions Rupella en 1975.
Robert Colle a (sans doute) inventé cette histoire, car – à notre connaissance – il n’en existe pas d’autres versions, et elle n’est pas enregistrée dans le catalogue des contes de Aarne et Thomson. Néanmoins l’histoire est assez intéressante pour que l’on s’y attache. Considérons d’abord cette histoire, avant de nous pencher sur sa signification…
Le Bras rouge des fontaines bleues
A Saint-Dizant-du-Guâ se trouve le magnifique château de Beaulon. Au fond du parc, dans un pittoresque décor, sourdent de profondes résurgences teintées en bleu par une algue microscopique. Ces trous profonds ont toujours impressionné les habitants du village. On prétend qu'une cloche mystérieuse tinte au fond du gouffre et qu'une charrette aurait disparu avec cheval et conducteur. Là se place aussi la légende du Bras-Rouge.
On prétendait que, si on se penchait trop sur la fontaine, un bras rouge en sortait pour vous y entraîner. Bras-Rouge (c'est ainsi que l'on appelait le monstre) attirait les enfants en faisant flotter sur l'onde un jouet quelconque, par exemple une balle que le gamin essayait d'attraper. Bientôt, il perdait l'équilibre et on ne le revoyait jamais plus. Pour les femmes, Bras-Rouge faisait naviguer une écuelle de bois contenant un bijou. Là encore, la malheureuse se laissait tenter et disparaissait à jamais.
Or un jour, une jeune femme qui venait d'avoir un bébé et qui le nourrissait, vint laver son linge aux fontaines-Bleues, Elle était arrivée depuis peu dans la région et n'avait pas encore entendu parler du Bras-Rouge. Au bout d'un moment, elle vit flotter une sébille contenant une très belle bague. Elle se pencha pour l'attraper et le bras rouge, sortant de la fontaine l'y entraîna. Mais il ne la mangea pas comme il faisait de ses autres victimes : en effet, sa femme venait de mettre au monde un fils et il avait besoin d'une nourrice pour l'allaiter.
La jeune femme fut très bien traitée et resta deux ans au service de Bras-Rouge et de sa femme au fond de la source. Elle assista à bien des drames car le monstre continuait à dévorer les imprudents. Avec leur graisse il fabriquait une pommade dont il se frottait les yeux. Cela lui permettait de voir des choses cachées aux humains. Comme il voulait que son fils ait les mêmes pouvoirs magiques, il donna à la nourrice un petit pot contenant du baume de graisse humaine en lui ordonnant de frotter tous les matins la figure de son enfant, mais en lui interdisant de s'en servir elle-même.
La jeune nourrice obéit à Bras-Rouge mais, un jour qu'elle oignait le nourrisson, elle se frotta machinalement les yeux avec ses doigts encore enduits de la pommade magique. Aussitôt, elle reçut le don de double vue, mais se garda bien de le dire à Bras-Rouge.
Quand l'enfant fut sevré, la femme du monstre, qui avait bien meilleur cœur que lui et qui s'était attachée à la nourrice, obtint sa libération. Elle se trouva donc un jour sur le bord de la fontaine avec une bourse pleine de pièces d'or dans la poche de son devantiau. Elle revint chez elle où son mari et sa fillette furent bien surpris et bien heureux de la retrouver.
Cependant, Bras-Rouge sortait de temps en temps des Fontaines-Bleues et, profitant de ce qu'il était invisible, se promenait dans les rues du village, choisissant ses futures victimes ou volant aux étalages. Personne ne s'en doutait, sauf la jeune femme qui, ayant obtenu le don de double vue, l'aperçut et, sans réfléchir, lui adressa la parole pour lui demander des nouvelles de son fils.
- Comment as-tu pu me voir ? s'étonna Bras-Rouge.
La jeune femme dut avouer qu'elle s'était frotté les yeux par inadvertance avec le baume magique.
- Eh bien ! dit Bras-Rouge très en colère, puisque tu y vois trop, tu ne verras plus du tout.
Et, mettant ses doigts en fourchette, il lui creva les yeux, La malheureuse jeune femme resta aveugle mais Bras-Rouge, devenu méfiant, ne sortit plus des Fontaines-bleues et se manifesta de moins en moins si bien que, de nos jours, on peut se promener dans le merveilleux sous-bois qui les entoure et se pencher sur leur clair miroir sans crainte d'être dévoré.
Robert Colle tenait-il cette histoire de sa famille saintongeaise, ou s’est-il appuyé pour l’écrire, sur les superstitions du Marais-Poitevin ?
Car les méthodes de « pêche de Bras-Rouge « le jouet et la bague », sont exactement celles décrites par les « maraichins » des Deux-Sèvres…
Cette belle histoire nous introduit dans le monde mystérieux de l’inconscient : cet espace intérieur dont les frontières sont particulièrement imprécises, aux profondeurs insondables ; ses énergies fantastiques dominent nos sentiments et finalement tout notre être. Cet espace aux dimensions inconnues fait naître en nous une angoisse irraisonnée depuis que les psychologues l’on épinglé sur leur tableau scientifique, et nous l’on fait connaître. Avant cela, cette angoisse fondamentale semblait basée sur le fait que quelque chose d’inhabituel peut arriver à chaque instant et perturber notre vie, notre monde ordinaire. Le malheur et le chaos peuvent surgir et chambouler notre existence, à l’image de ce qui peut sortir brusquement de cette eau sombre des marais.
Dans cette histoire Bras-rouge peut symboliser l’ego, par sa voracité, sa prédation, mais c’est l’espace incertain étranger à l’homme – la mare insondable - qui est ici la forme la plus effrayante. N’est-ce pas ce qui n’est pas visible qui fait le plus peur ! C’est la recette efficace des films d’horreur.
Ainsi, cette mare fatale exprime toutes les peurs ancestrales de nos ancêtres, le miroir de nos croyances, car toutes les formes de superstitions sont issues de la peur du noir ou de l’inconnu.
Quelle est la différence entre l’Ego et l’Inconscient !
L’ego est – selon l’enseignement de l’initiation occidentale – assez simple à reconnaître, c’est ce qui veut ou ne veut pas, ce qui désire ou refuse en nous, et qui, selon ce moteur à deux temps, détermine nos actions. Ces phénomènes de la conscience sont aisément reconnaissable. Ils sont problématiques par ce qu’ils impliquent dans nos vies, mais peuvent être encadrés, voir jugulés dans les cas extrême de dépendance.
L’inconscient est bien plus vaste et les psychologues n’ont pas fini d’en faire le tour, alors que les « spirituels » pratiquant l’initiation ont plus de deux mille ans d’étude de cette dimension.
Dans les légendes initiatiques, l’eau sous quelque forme qu’elle se présente symbolise l’autre monde, soit l’inconscient, soit le monde des morts en fonction du message porté par le conte. Le héros passe une rivière, traverse un lac, et aussitôt c’est la marque du passage vers un autre monde, une autre forme de conscience basée sur un autre mode cognitif, ou une conscience en lien avec les énergies fondamentales.
Ce qui est souligné dans la légende de « Bras rouge » issue des superstitions, c’est la peur d’une puissance inconnue dont l’être humain ne peut se garantir, car provenant d’un monde qu’il ne peut pas véritablement appréhender. Cela peut figurer aussi, la part d’inconnu au plus profond de lui-même, dont tout homme se méfie, car il sait, il sent, qu’il est capable de choses surprenantes, en bien ou en mal, à l’image de la violence de l’ogre ou de ses pouvoirs extraordinaires.
Il est remarquable dans cette histoire, comme dans sa forme originelle superstitieuse, que c’est le Désir qui déclenche l’acte de violence et entraîne la chute au fond de l’onde. Encore une fois, dans notre monde judéo-chrétien, le désir est assimilé au danger et à une chute dans les ténèbres.
Quelle est cette propension au malheur qui arrête l’être humain dans ses désirs et aspirations ?
Si ces désirs sont justes, pourquoi cette entrave ?
L’homme ne peut-il aspirer à la découverte des univers qui l’entourent ou à la découverte de soi ?
Car c’est surtout cette aspiration fondamentale que la religion catholique dans nos cultures populaires, montre du doigt et cloue au pilori… dans les temps anciens en tout cas. Il est fort probable d’ailleurs, que ces superstitions aient été fabriqués par le clergé catholique pour asservir le peuple encore animiste du Moyen-Age. Le désir enclenchant la chute est un modèle judéo-chrétien, sans équivalent par son ampleur dans les autres cultures religieuses.
Reprenons l’étude de « Bras rouge » et voyons ce que nous montre cette peur. Il semble qu’il y a un double concept dans ce conte,,,
1/ La peur inhérente à l’être humain, de ce monde inconnu : l’inconscient, par l’intervention possible de phénomènes perturbateurs, dans notre espace habituel de pensées, de rites, d’habitudes conformistes.
- ce qui est tout a fait compréhensible…
2/ La peur de nos « maîtres » : seigneurs et potentats, moines et religieux, systèmes politiques et idéologiques, qui préfèrent modéliser nos comportements à l’aide de concepts faisant naître la peur, l’angoisse et qui développent finalement notre paralysie physique et sociale.
- ce qui n’est pas acceptable…
La première peur dans le conte vient du désir et entraîne la femme dans un autre monde, mais il existe une autre peur qui aurait dû alarmer la nourrice et la sauvegardée ; mais trop confiante ou trop irréfléchie, celle-ci n’a pas tenue compte du danger et est devenue aveugle. Nous y retrouvons bien les deux peurs : celle d’un danger inconnu et celle d’un danger très évident.
Mais si nous connaissons parfaitement les risques du réel, pourquoi avoir peur de l’inconnu ?
Cet inconnu peut effectivement nous déstabiliser, mais il peut engendrer également une nouvelle connaissance et nous ouvrir ainsi à un autre espace, agrandir notre propre espace étriqué par l’habitude.
L’effort de la découverte d’un univers en soi n’est déjà pas aisé, pour y mettre en plus des entraves sociales, culturelles ou religieuses. Que de peur dans cette exploration de soi qui empêche l’écoute de chaque instant, l’émerveillement à chaque seconde du Vivant…
L'Aède
1/ S’il existe dans d’autres régions – comme semble-t-il en Belgique ! – d’autres histoires d’ogres des eaux ayant la même attitude, dont vous avez connaissance vous qui lisez cela, pouvez vous nous en faire part……