L'oiseau de vérité
Dans le corpus des « Milles et Une Nuits », selon la traduction d’Antoine Galland, nous trouvons une très belle légende en toute fin du troisième tomes des éditions Garnier Flammarion :
« l’histoire des deux sœurs jalouses de leur cadette ».
Cette histoire comporte des symboles particulièrement attachants et parle à notre âme d’une belle façon. Nous allons étudier cette légende qui est référencée comme conte-type 707, dans le catalogue des versions similaires de Antti Aarne et Stith Thompson. Antoine Galland à fait paraître en Europe, cette ensemble de contes sous le terme des « Milles et Une Nuits » depuis l’année 1704 jusqu’a l’année 1717, bien après son décès en 1715.
Passons tout de suite à la lecture de cette légende, non dans la traduction de Galland, mais dans celle de Joseph-Charles Mardrus, qu’il fit paraître de 1898 à 1904.
Ce nouveau traducteur se servit d’un ensemble de textes dont l’édition de Bûlâq, parue en Egypte en 1835, et d’autres manuscrits antérieurs à l’édition de Galland.
Pour faciliter la lecture de cette page, nous avons abrégé cette histoire, que vous pouvez retrouver en intégralité aux éditions Robert Laffont, dans la collection « Bouquins » 1990, sous le titre :
« Farizade au sourire de rose »
Un roi de Perse nommé Khosrou Schah, avait coutume de se promener la nuit, déguisé en marchand étranger, en compagnie de son vizir. Or, une nuit, il entendit, de jeunes voix et il s'approcha. Et il aperçut, autour d'une lumière, trois jeunes filles qui étaient parfaitement belles. Et la première disait : « Moi, mes sœurs, mon souhait, serait de devenir l'épouse du pâtissier du sultan. Et la seconde disait : « Moi, mes sœurs, Je me contenterais, simplement, de devenir l'épouse du cuisinier du sultan. Et la troisième, confuse et rougissante, répondit, sans lever les yeux, : « O mes sœurs, je souhaiterais devenir l'épouse de notre maître le sultan ! Et les fils qu'Allah feraient naître de notre union seraient dignes de leur père. Et la fille, que j'aimerais avoir devant mes yeux, serait un sourire du ciel; ses cheveux seraient d'or d'un côté et d'argent de l'autre ; ses larmes, seraient autant de perles qui tomberaient ; ses rires, seraient des dinars d'or qui tinteraient ; et ses sourires seraient autant de boutons de rose qui sur ses lèvres écloraient ! »
Khosrou Schah, amusé à l'extrême, sentit naître en son âme le désir de satisfaire les trois souhaits ; et, effectivement les noces des trois sœurs eurent lieu. La jalousie et le dépit pénétrèrent dans le cœur des deux aînées ; dès ce moment, elles complotèrent la perte de leur sœur cadette. Neuf mois passèrent de la sorte, au bout desquels, la sultane donna naissance, à un enfant princier, beau comme le croissant de la nouvelle lune. Les deux sœurs aînées qui, à la demande de la sultane, l'assistaient dans ses couches trouvèrent enfin l'occasion qu'elles cherchaient de broyer le cœur de la jeune mère. Elles prirent donc l'enfant, pendant que la mère était encore dans les douleurs, le mirent dans une petite corbeille en osier, qu'elles cachèrent pour le moment, et le remplacèrent par un petit chien mort, qu'elles produisirent devant toutes les femmes du palais, en le donnant comme le résultat des couches de la sultane. Et le sultan Khosrou Schah, à cette nouvelle, vit le monde noircir devant son visage ; et, la sultane fut plongée dans l'affliction, et son cœur fut broyé. Quant au nouveau-né, il fut abandonné par ses tantes dans la corbeille, au courant du canal qui passait au pied du palais. Le sort voulut que l'intendant des jardins du sultan, aperçût la corbeille qui flottait, il attira la corbeille, l'examina, découvrit le bel enfant, et décida de l’élever. Et l'épouse de l'intendant des jardins prit l'enfant et l'aima.
Or, l'année suivante, la pauvre mère, accoucha, d'un autre fils, plus beau que le précédent. Mais les deux sœurs veillaient elles prirent en cachette l'enfant et l'exposèrent, dans une corbeille sur le canal. Et elles produisirent un chat devant tout le palais. Et, comme la première fois, l'intendant le sauva des eaux, le porta à son épouse qui l'aima comme son propre enfant.
Or, la sultane, accoucha pour la troisième fois, d'une princesse. Et les deux
sœurs, dont la haine, loin de s'assouvir, firent subir à la fillette le même traitement. Mais elle fut recueillie par l'intendant, comme les deux princes ses frères, avec lesquels elle fut soignée, nourrie et bien aimée. Mais, cette fois, lorsque les deux sœurs, leur acte accompli, eurent produit, à la place de l'enfant nouveau-né, une souris aveugle, le sultan, ne put se contenir plus longtemps, et s'écria : « Allah maudit ma race, à cause de la femme que j'ai épousée. C'est un monstre que j'ai pris pour mère de ma postérité ! » Et il ordonna de l'éloigner et de l'enfermer, pour le reste de ses jours, dans un réduit, tout au fond du palais.
Or, lorsque les trois enfants adoptifs de l'intendant des jardins eurent atteint l'adolescence, ils devinrent un éblouissement pour les yeux. Et ils s'appelaient : l'aîné Farid, le second Farouz, et la fille Farizade. Et Farizade était un sourire du ciel même. C'est pourquoi tous ceux qui l'approchaient, ainsi que son père, sa mère et ses frères, ne pouvaient s'empêcher, quand ils l'appelaient d'ajouter : « au sourire de rose ! » Et tous s'émerveillaient de sa beauté, de sa sagesse, de sa douceur, de l'élégance de ses manières.
Le sultan avait fait don d'un magnifique domaine à l'intendant, avec un jardin parfait et avec un parc d'une vaste étendue enclos de hautes murailles et peuplé d'oiseaux de toutes couleurs et d'animaux sauvages ou apprivoisés. Et ce fut là que cet homme de bien alla vivre avec ses enfants adoptifs.
Farid et Farouz allaient souvent à la chasse dans les bois et les prairies qui entouraient leurs domaines. Et Farizade au sourire de rose aimait surtout à parcourir ses jardins.
Un jour, une vieille, au visage marqué par la bénédiction, sollicitait la faveur de se reposer à l'ombre de ces beaux jardins. Et Farizade, dont le cœur était secourable autant que belle était son âme, lui offrit à manger et à boire. Elles se promenèrent ensemble dans les jardins. Et Farizade finit par demander à la vieille ce qu'elle pensait du lieu, et si elle le trouvait à son gré. Alors la vieille répondit : « Certes, ô ma maîtresse, jamais je ne me suis reposée en un lieu plus délicieux. Mais, ô ma maîtresse, de même que tu es unique sur la terre, de même je voudrais que tu eusses dans ce beau jardin, les trois choses incomparables qui lui manquent ! » Farizade fut extrêmement étonnée : « De grâce, ma bonne mère, hàte-toi de me dire, quelles sont ces trois choses que je ne connais pas ? » La vieille répondit : « Sache donc que la première de ces trois choses incomparables, ô ma maîtresse, est Bulbul el-Hazar, l’Oiseau- Parleur ! La seconde c'est l'Arbre-Chanteur ! Car ni la brise dans les arbres, ô ma maîtresse, ni les luths, ni les harpes, ni les guitares ne rendent une harmonie comparable au concert des mille feuilles de l'Arbre-Chanteur. Et la troisième de ces choses incomparables, ô ma
maîtresse, c'est l'Eau Couleur-d'Or ! Car, une goutte seulement de cette eau, si elle est versée dans un bassin vide, se gonfle et s'élève en foisonnant en gerbes d'or, et ne cesse de jaillir et de retomber, sans que le bassin déborde jamais. Et c'est à cette eau toute d'or, et transparente, qu'aime à se désaltérer Bulbul el-Hazar, l’Oiseau-Parleur ; Ayant ainsi parlé, la vieille ajouta: «ô princesse, ces trois merveilles, dignes de tes yeux, se trouvent dans un endroit situé vers les frontières de l'Inde. Si tu veux y envoyer quelqu'un te les chercher, tu n'auras qu'à lui dire de suivre la route qui passe devant chez toi, pendant vingt jours, et, le vingtième jour, de demander au premier passant qu'il rencontrera : « Où sont l'Oiseau-Parleur, l'Arbre-Chanteur et l'Eau Couleur-d'Or ? » Et ce passant ne manquera pas de le renseigner à ce sujet. Farizade au sourire de rose sentait ainsi grandir en son âme l'irrésistible désir de posséder de telles merveilles, et devint toute triste.
Sur ces entrefaites, Farid et Farouz, ses frères, revinrent de la chasse, et ils lui dirent : « Farizade, petite sœur, où sont les roses de ta joie et l'or de ta gaieté? » Et Farizade n'osa, toute honteuse de son désir, en dire davantage. Ils lui dirent: « Farizade, quels émois inconnus troublent ainsi ton àme? » Farizade, se décidant enfin à parler, leur dit : « O mes frères, je n'aime plus mes jardins ! » elle fondit en larmes, Il y manque l'Oiseau-Parleur, l’Arbre-Chanteur et l'Eau Couleur-d'Or! »
Farizade se laissant soudain aller à l'intensité de son désir, raconta tout d'un trait, à ses frères. Et ses frères, lui dirent : « O notre sœur bien-aimée, calme ton âme, car ces choses, nous irions te les conquérir. Mais, peux-tu seulement nous dire en quel lieu on peut les trouver? »
Bientôt l’aîné, partit à la recherche de l'Oiseau-Parleur, l'Arbre-Chanteur et l'Eau Couleur-d'Or ! » Farid dit: « O petite sœur, laisse là tes craintes, il ne m'arrivera aucun accident ni rien de fâcheux pendant ce voyage. Et d'ailleurs, afin que l'inquiétude ne te tourmente pas durant mon absence, voici un couteau que je te confie ! » Et il tira de sa ceinture un couteau, et le lui remit en disant : « Ce couteau, ô Farizade, te renseignera sur mon état. De temps en temps tu le tireras de sa gaine, et tu en examineras la lame. Si tu la vois aussi nette et brillante qu'elle l'est en ce moment, ce sera une marque que je suis toujours en vie ; mais si tu la vois terne ou rouillée, tu sauras qu'un grave accident m'est arrivé ; et si tu vois qu'il en dégoutte du sang, tu auras la certitude que je ne suis plus au nombre des vivants !
Et, il partit au galop de son cheval sur la route qui conduisait vers l’lnde. Il voyagea pendant vingt jours et vingt nuits, et le vingtième jour de son voyage, il arriva à une prairie, au pied d'une montagne. Et dans cette prairie, sous un arbre était assis un très vieux cheikh, d'une maigreur extrême. Le prince Farid Lui donna les quelques soins dont le vieux cheikh avait besoin. Et le cheikh lui indiqua où se trouvent ces trois choses que le prince cherchait, et le chemin qui y conduit. Mais dit-il : « hâte-toi plutôt de revenir sur tes pas et de t'en retourner vers ton pays !
Lorsque le Vieillard vit qu'il ne pouvait réussir à détourner le jeune voyageur de son entreprise, il mit la main dans un sac et en tira une boule de granit rouge... Il tendit cette boule-là au voyageur, en lui disant : « Elle te conduira, monte à cheval et jette-la devant toi. Elle roulera et tu la suivras jusqu'à l'endroit où elle s'arrêtera. Alors tu mettras pied à terre et tu graviras la montagne devant toi. Et, de tous côtés, tu verras de grosses pierres noires, et tu entendras des voix qui ne seront ni les voix des torrents ni celles des vents dans les abîmes ; mais ce seront les voix de ceux de l'Invisible. Et elles te hurleront des paroles qui glacent le sang des hommes. Mais tu ne les écouteras. Car si, effrayé, tu détournais la tête pour regarder derrière toi, tandis qu'elles t'appellent, tu serais changé, à l'instant même, en une pierre noire semblable ; mais si, résistant à cet appel, tu arrives au sommet, tu y trouveras une cage et, dans la cage, l'Oiseau-Parleur. Et tu lui diras : « Le salam sur toi, ô Bulbul el-Hazar ! Où est l'Arbre- Chanteur? Où est l'Eau Couleur-d'Or ? » Et l’Oiseau- Parleur te répondra ! »
Alors Farid se hâta de sauter à cheval ; et, il jeta la boule devant lui. La boule de granit rouge roula, roula, et elle continua de rouler ainsi, jusqu'à ce qu'elle eût heurté les premiers rochers de la montagne. Le prince Farid descendit de cheval, et commença à gravir la montagne. Et il n'entendit d'abord rien. Mais à mesure qu'il montait, il voyait le sol se couvrir de blocs de basalte noir, qui figuraient des humains pétrifiés. Et il ne savait pas que c'étaient les corps des jeunes seigneurs qui l'avaient précédé en ces lieux de désolation. Et soudain, d'entre les rochers, un cri se fit entendre, et qui fut bientôt suivi, par d'autres cris qui n'avaient rien d'humain, car c'étaient les voix de Ceux de l’lnvisible. Et les unes disaient : « Que veux-tu ? Que veux-tu ? » Et d'autres disaient : « Arrêtez-le ! Tuez-le ! » Mais le prince Farid, sans se laisser détourner par ces voix, continua à monter avec constance et fermeté. Et les voix se firent bientôt si nombreuses et si terribles, et si pressant se faisait leur appel, que le prince Farid fut saisi malgré lui de tremblement et, oubliant l'avis du Vieillard, il tourna la tète sous un souffle plus fort de l'une des voix. Au même moment, un épouvantable hurlement poussé par des milliers de voix fut suivi par un grand silence. Et le prince Farid fut changé en une pierre de basalte noir.
Or, ce jour-là, la princesse Farizade tira le couteau de la gaine qu'elle tenait constamment à sa ceinture. Pâle et tremblante elle fut, en voyant la lame, encore si nette la veille et si brillante, devenue maintenant toute ternie et rouillée. Et, affaissée dans les bras du prince Farouz, accouru à son appel, elle s'écria : « Malheureuse que je suis ! coupable Farizade ! » Le prince Farouz, non moins affligé que sa sœur, se mit à la consoler ; puis il lui dit : « Ce qui est arrivé est arrivé, ô Farizade, mais c'est maintenant à moi d'aller à la recherche de notre frère et, en même temps, de rapporter les trois choses qui ont causé sa captivité ».
Il monta à cheval et, il tendit à sa sœur, un chapelet de perles, et lui dit : « Si ces perles, ô ma sœur, cessaient de couler sous tes doigts les unes après les autres, comme si elles étaient collées, ce serait un signe que j'aurais subi le môme sort que notre frère ! »
Le vingtième jour de son voyage, il trouva le Vieillard qui était assis sous l’arbre, et vécu les même aventures que son frère, et fut changé en un bloc de basalte noir.
Farizade qui ne quittait le chapelet de perles ni le jour ni la nuit, et en faisait sans cesse couler les grains sous ses doigts, s'aperçut aussitôt qu'ils s'étaient collés les uns aux autres. Et elle s'écria : « mes pauvres dévoués frères, je vous rejoindrai ! » Et elle se déguisa en cavalier, et partit à cheval, en prenant le même chemin que ses frères.
Le vingtième jour, elle rencontra le vieux cheikh, assis sous l'arbre, au bord du chemin. Elle le salua avec respect, et lui dit : « saint vieillard, n'as-tu pas vu passer, deux jeunes seigneurs qui cherchaient l'Oiseau-Parleur, l'Arbre-Chanteur et l'Eau Couleur-d'Or ? » Et le vieillard répondit : « Je les ai vus et je les ai renseignés. Et ils ont été, hélas, comme tant d'autres avant eux, arrêtés dans leur entreprise par Ceux de l'Invisible ! » Et il fit connaître à Farizade tout ce à quoi elle s'exposait en allant à la recherche de ses frères et des trois merveilles. Farizade lui dit : « saint homme, comment reculerais-je quand il s'agit de retrouver mes frères? saint homme, écoute la prière d'une sœur aimante, et indique-moi les moyens de les délivrer de l'enchantement ! » Et le vieux cheikh répondit : « Farizade, voici la boule de granit qui te conduira sur leurs traces. Mais tu ne pourras les délivrer qu'après t'être rendue maîtresse des trois merveilles. Sache donc que nul parmi les fils des hommes ne peut résister à l'appel des voix de l'Invisible. »
Ayant ainsi parlé, le Vieillard de l'Arbre remit la boule de granit rouge à Farizade ; puis il tira de sa ceinture un flocon de laine, et dit : « Avec ce léger flocon de laine, ô Farizade, tu vaincras tous Ceux de l'Invisible ! » Et, divisant le flocon en deux parts, il en mit à Farizade chaque morceau dans une oreille, et, de la main, lui fit signe de partir.
Farizade lança hardiment la boule dans la direction de la montagne. Et lorsqu'elle fut parvenue aux premières roches, les voix s'élevèrent sous ses pas, avec un tintamarre épouvantable. Mais elle n'entendait qu'à peine un vague bourdonnement, ne saisissait aucune parole, et n'éprouvait aucune crainte. Elle monta sans arrêt, et parvint sans faiblir sur le sommet de la montagne. Elle aperçut, une cage d'or, devant elle, sur un socle d'or, et dans la cage elle vit l'Oiseau-Parleur. Farizade s'élança, et mit la main sur la cage, en s'écriant : « Oiseau ! je te tiens ! ». Elle arracha les flocons de laine, désormais inutiles, qui l'avaient rendue sourde aux appels et aux menaces de l'Invisible. Et, dans le silence, s'éleva la voix de l'Oiseau-Parleur. « Comment, Farizade, au sourire de rose, Comment pourrais- je avoir l'envie de t' échapper ? Je sais mieux que toi, qui tu es, Farizade » .
Farizade, ravie en oublia sa fatigue ; et, se hâta de lui dire : « Buibul el-Hazar, ô merveille de l'air, si tu es mon esclave, où se trouve l'Arbre-Chanteur ? » Buibul, lui dit de se tourner vers l'autre versant de la montagne. Farizade vit un immense arbre. Elle s'étonna, et Buibul, qui voyait sa perplexité, lui exprima, qu'il n'était guère besoin de déraciner le vieil arbre, mais qu'il suffisait d'en casser la moindre branche, et de la planter pour la voir aussitôt prendre racine et devenir un aussi bel arbre que celui qu'elle voyait. Et Farizade se dirigea vers l'Arbre, et entendit le chant d’une harmonie incomparable qui s'en exhalait. Et ensuite, l’Oiseau-Parleur lui dit d'aller regarder derrière le rocher bleu vers l'occident. Et elle se dirigea de ce côté, et, derrière le rocher de turquoise, elle vit sourdre un mince ruisselet, semblable à de l'or en fusion. Et sur la roche, dans un creux, était posée une urne de cristal. Farizade prit l'urne et la remplit de l'eau splendide. C'est ainsi que Farizade au sourire de rose posséda les trois choses incomparables.
Elle dit à Bulbul : « il me reste encore une prière à t'adresser. Mes frères ! ô Bulbul, sauve mes frères ». Bulbul chanta: « Avec des gouttes, de l’eau de cristal, O Farizade, arrose les pierres de la montagne ».
Farizade redescendit le sentier, et elle aspergeait de quelques gouttes de l'Eau Couleur-d’or, les pierres de basalte noir. Et Farid et Farouz, ainsi délivrés, coururent embrasser leur sœur. Et tous les seigneurs, qu'elle avait tirés de leur sommeil de pierre, vinrent lui baiser la main. Et ils se déclarèrent ses esclaves.
Le soir du vingtième jour la princesse Farizade et les princes Farid et Farouz, arrivèrent, dans leur demeure. Dès qu'elle eut mis pied à terre, Farizade se hâta de suspendre la cage dans son jardin. Aussitôt que Bulbul eut jeté la première note, tous les oiseaux accoururent et, le saluèrent en chœur. Farizade s'approcha du grand bassin d'albâtre, où elle avait coutume de mirer ses cheveux, et y versa une goutte de l'eau contenue dans l'urne de cristal. Et la goutte d'or se gonfla et s'éleva et foisonna en étincelantes gerbes, et ne cessa de jaillir. Farizade planta, de ses propres mains, la branche de l'Arbre-Chanteur. Et la branche prit aussitôt racine et devint, en quelques instants, un aussi bel arbre que celui dont elle était issue. Et un chant s'en exhala si beau ! que ni la brise dans les jardins de Perse, ni les luths indiens, ni les harpes de Syrie, n'auraient pu en rendre la céleste harmonie.
Or un jour, dans un sentier de la forêt, les deux frères rencontrèrent le sultan qui chassait... Ils descendirent de cheval, et se prosternèrent le front contre terre. Le sultan fut frappé de leur beauté, et leur demanda qui ils étaient et où ils demeuraient. ils répondirent : « roi du temps, nous sommes les fils de ton ancien intendant des jardins. Et nous demeurons, non loin d'ici, dans la maison que nous devons à ta générosité ! » Le sultan se réjouit fort de connaître les fils de son fidèle serviteur ; et de les visiter dans leur demeure.
Farizade, qui n'était guère accoutumée à recevoir ne trouva rien de mieux que d'aller consulter son ami Bulbul, l’Oiseau-Chanteur. Il lui dit : « il est inutile de faire préparer des plateaux et des plateaux de mets. Car il n'y a qu'un seul plat qui convienne au sultan, c'est un plat de concombres farcis de perles ! » Farizade fut étonnée, et, se récria, disant :
« Oiseau ! tu n'y penses pas ! Des concombres farcis de perles ! Mais c'est un ragoût inouï. »
Mais Farizade, qui avait toute confiance dans l’Oiseau, se hâta d'aller donner l’ordre à la vieille cuisinière de préparer le plat .
Sur ces entrefaites, le sultan, accompagné du prince Farouz, fit son entrée dans le jardin. Et Farizade au sourire de rose, voilée pour la première fois (car Bulbul le lui avait recommandé), vint lui baiser la main. Et le sultan fut touché à l'extrême de sa grâce et de la pureté de jasmin qui s'exhalait d'elle, Ensuite la gerbe d'eau couleur d'or frappa les yeux du sultan Khosrou Schah. Et il s'arrêta un moment à la regarder avec admiration. Soudain il perçut le concert de l'Arbre-Chanteur, et il prêta une oreille ravie à cette musique qui tombait du ciel. Lorsqu'elle cessa et qu'un grand silence se fit s'éleva la voix de l'Oiseau-Parleur, en un chant éclatant.
Et le sultan Khosrou Schah fut émerveillé de tout cela, et son âme, déjà si émue par tout ce qu'elle avait senti en si peu de temps, fut dans un extrême attendrissement. Puis, comme il s'apprêtait à interroger Farizade et ses frères sur la provenance de ces merveilles…
Farizade lui dit : « Pour ce qui est de la source de ces merveilles, c'est une histoire que je raconterai à notre maître, quand il se sera reposé ! »
Et le sultan s'assit, à la place d'honneur. Et on lui offrit les concombres aux perles, sur un plat d'or. Le sultan qui aimait, en effet, les concombres farcis, quand il en vit sur le plat que Farizade lui offrait, fut sensible à cette attention qu'il ne s'expliquait pas. Mais il fut bientôt à la limite de l'étonnement de voir qu'au lieu d'être farcis, comme à l'ordinaire, les concombres étaient accommodés aux perles. Et il dit à Farizade et à ses frères : « Par ma vie ! depuis quand les perles remplacent-elles le riz et les pistaches ? »
Farizade était déjà sur le point de lâcher le plat et de s'enfuir de confusion, quand l'Oiseau-Parleur, élevant la voix, appela le sultan par son nom, disant : «Et depuis quand les enfants d'une sultane de Perse peuvent-ils être changés en animaux, à leur naissance ? Si donc, ô roi, tu as cru jadis à une chose si incroyable, tu n'as pas le droit de t'étonner devant une chose aussi simple que celle d'aujourd'hui ! » Puis il ajouta: « Souviens-toi, ô notre maître, des paroles qu'il y a vingt ans tu entendis un soir dans une humble demeure ! Si tu les a oubliées, ô notre maître, permets moi de te les répéter ! » Et l’Oiseau, dit : « O mes sœurs ! quand je serai l'épouse du sultan, je lui donnerai une postérité bénie ! Car naîtra de notre union une fille, qui sera un sourire du ciel! Ses cheveux seront d'or d'un côté et d'argent de l'autre ; et ses sourires des boutons de rose »
Le sultan, à ces paroles, se cacha la tête dans les mains, et sanglota.
Mais bientôt la voix de Bulbul s'éleva à nouveau : « Lève tes voiles, ô Farizade, devant ton père ! »
Et Farizade, qui ne pouvait désobéir à la voix de son ami, leva ses voiles. Et, avec eux, tomba le bandeau qui retenait sa chevelure. Et le sultan vit cela et, se leva en poussant un grand cri. Le roi, regarda les deux frères, qui étaient beaux, et il se reconnut en eux.
Grâces soient rendues à Allah dont la bonté est infinie et dont la justice n'est jamais en défaut, qui fit. mourir de rage les deux sœurs jalouses, et qui octroya les longues délices et la vie la plus pleine de bonheur au roi Khosrou Schah, à la sultane, son épouse, au beau prince Farid, au beau prince Farouz et à la belle princesse Farizade.
Avant d’étudier le contenu de cette légende, et de découvrir son message intime, son sens profond, nous allons essayer de percevoir dans quel milieu cette histoire à pu être inventée. Quelques études de folkloristes, dont celle d’Emmanuel Cosquin au 19eme siècle, et des études plus récentes sur les « milles et Une Nuits », comme celle d’Aboubakr Chraïbi, vont faciliter cette reconnaissance.
Un premier élément surprenant apparaît : cette légende dont nous avons plusieurs variantes ne fait pas partie du corpus ancien des « Milles et Une Nuits ». Antoine Galland lors de ses séjours au Moyen-Orient, à pris connaissance des manuscrits qui circulaient et qui étaient déjà célèbres, et il aurait, en plus recueillit, peut-être de la bouche d’un moine d’Alep, des légendes Syriennes qu’il aurait intégré dans son ouvrage.
Deuxième surprise : une version plus ancienne à été éditée par Giovan Francesco Straparola en 1550 à Venise, ouvrage intitulé : « Le Piacevoli Notti » et édité en français par la suite en 1573 et 1576 par Jean Louveau et Pierre de Larivey, sous le titre : « Facécieuses Nuictz ». Nous constatons que la légende qui nous intéresse, est placée dans un ensemble de contes, selon le thème qui a fait le succès des « Milles » : la récitation de contes chaque soir dans un vaste scénario, ici, cela se passe lors d’une soirée « mondaine ».
Plusieurs question se posent :
Straparola a t-il eu connaissance du corpus des « Milles et Une Nuits » ?
Cela semble certain, puisqu’il en a reproduit l’esprit à sa manière avec des contes plutôt « légers », à quelques exception dont le conte-type 707. Straparola habitait le plus grand port de commerce de cet époque : Venise, où les échanges culturels étaient nombreux.
Si Galland à bien ajouté des légendes Syriennes dont celle qui nous importe dans le corpus des « Milles », comment se fait il que Straparola à édité cette légende précisément dans son ouvrage qui est totalement dans le style des « Milles » ?
(Un manuscrit, perdu sans doute depuis lors, et édité entre les corpus anciens et 1500, celui-ci augmentés de nouvelles légendes, répondrait à ces interrogations…)
Mme d’Aulnoy puise dans l’ouvrage de Straparola et y reprend quelques histoires dont celle de notre étude, sous le titre :
« La princesse Belle-Etoile et le prince Chéri »
Cela dans son ouvrage : « Contes Nouveaux ou les Fées à la Mode », édité en 1668.
Cette légende a pu se diffuser par la suite avec les livrets bleus, dans la partie occidentale de l’Europe, où nous trouvons un nombre conséquent de variantes de ce conte-type 707, plus ou moins complètes. Il semble, selon l’étude de Cosquin que ces versions existent en plus grand nombre dans le sud de l’Europe et en particulier en Sicile, ce qui nous rapproche de l’Orient et donc de l’influence du corpus des « Milles ».
Ainsi ce conte-type ne faisait pas partie des histoires du monde Perse et du continent Indien, comme les premiers manuscrits des « Milles et Une Nuits ». il viendrait donc du monde méditerranéen, des rives de l’orient où le brassage des peuples et des civilisations à été extraordinaire.
Une légende avec des symboles aussi élaborés, que ceux de « l’oiseau de vérité » ne peut provenir que d’un groupe de personnes éclairées.
Quel est le contenu initiatique de cette légende, classée comme conte-type 707 ?
Conformément à l’examen habituel de ces légendes, nous allons d’abord déterminer les différentes formes de conscience auxquelles fait référence le déroulement de l’histoire. Cette opération est facilitée par le découpage des lieux dans l’histoire en plusieurs territoires différents. Nous trouvons, dans les deux versions attachées au « Mille et Une Nuits », quatre territoires :
1/ Celui des rues de la ville où se promènent le roi et le vizir, et où ils écoutent les souhaits des trois filles.
2/ Celui du palais du roi et de la reine.
3/ Celui du domaine de l’intendant.
4/ Le territoire traversé par les jeunes gens lors de leurs quête des trois éléments magiques.
1- Le premier territoire est une introduction à l’histoire, mais le motif à retenir, est l’aspiration à : Les deux premiers souhaits sont raisonnables, les deux filles ne rêvent pas au dessus de leur condition, nous pouvons dire qu’ils sont conformes au développement naturel des choses. Mais le troisième vœu émis par la cadette est surprenant pour une personne timide. Sa beauté exceptionnelle lui donne peut-être cette audace, ou bien cet élan vient du plus profond d’elle-même.
2- Le deuxième territoire est le palais : que se passe t-il dans cet univers clos ? La reine est en bute à la haine et aux manigances de ses sœurs, le roi est à la chasse et les enfants aussitôt nés sont évacués par le canal dans une corbeille. Si l’on considère cet espace comme « conscience », on pourrait dire en étant aimable, que le motif dominant est le désordre. Cette situation se passe dans la demeure d’un roi, qui, représente traditionnellement le divin sur terre. Cependant dans ce scénario, nous trouvons plutôt le signe que cet aspect royal n’est plus en relation avec le divin et ses qualités de clarté d’esprit et d’omniscience.
3- Le troisième territoire est encore un espace clos, mais avec un jardin en son centre. C’est d’abord une stase qui permet le développement des trois jeunes gens ou de trois aspects de conscience, ou de trois aspects de connaissance de soi. Ensuite, ce lieu permet la reconnaissance par le roi des jeunes gens, après que des éléments extraordinaires soient apportés. On pourrait voir dans cet espace, un possible champ d’éclairage de consciences, un espace de potentiels d’énergies qui se développent et attendent d’être activées pour arriver à un accomplissement.
4- Le quatrième territoire est celui de la quête, du mouvement, ou de l’expérience nécessaire à la compréhension de soi. C’est un espace ouvert où tout est possible. L’entrée dans ce territoire est déclenché par des désirs absolument extraordinaires, et permet ensuite la confrontation de la conscience, avec des éléments de l’inconscient. Les actes sont toujours bénéfiques dans les légendes, mais aussi sur le chemin intérieur, car chaque action déclenche une forme de compréhension, quelque soit le jugement porté sur cette expérience.
Suivons maintenant le cours de l’histoire et soyons attentif à son sens profond…
Les premiers épisodes sont les mariages ; il est normal que le roi ou le sultan soit associé avec la beauté, puisque le dirigeant d’une nation est le lien entre Dieu et les hommes. Dans un sens initiatique le roi est la représentation de l’Esprit divin et la féminité représente souvent l’âme, quand cette féminité est belle et sage. Mais dans ce conte, il y a trois éléments féminins qui représentes : l’envie, le désir et l’aspiration. Ces éléments seront exaucées et bientôt l’envie et le désir se changent en jalousie et haine, tout simplement parce que ces « sentiments » ne peuvent jamais être réellement comblés. L’aspiration au divin est le seul désir « total », qui investit complètement l’être, et qui permette l’union parfaite avec l’univers. Les deux autres « aspirations » sont tournées vers la terre, et comme le monde change sans cesse, que rien n’est stable, ces désirs ne peuvent être véritablement comblées et ne peuvent satisfaire entièrement une personne. La sagesse en ce monde est d’accepter cette situation où rien ne dure vraiment, de vivre sans illusion et sans désir d’absolu, irréalisable sur cette terre. Quand ce désir d’absolu en l’être est tourné vers la nature et se transforme alors en désir d’accomplissement de soi, alors l’insatisfaction arrive vite, et se change plus vite encore en jalousie et haine. Voila le message délivré par le début de notre conte.
Nous étudions maintenant la vie dans le palais : que se passe t-il dans cet espace clos ?
la sagesse, l’aspiration ou la jeune âme est en but aux malversations de ses deux sœurs.
(Straparola insère dans l’histoire la mère du roi et celle-ci se ligue avec les sœurs jalouses pour nuire à la cadette. Cela ne change rien à l’histoire puisque c’est l’action malveillante des sœurs qui est essentielle y compris dans cette variante. L’ajout de la mère est l’apport occidental dans ce conte).
Issus des accouchements de la reine, viennent au jour trois enfants dans le palais, pendant que leur père est « occupé ailleurs ». Dans certaines versions le roi est occupé à la chasse, ici, il est simplement absent, ce qui facilite les exactions des deux sœurs.
Sur le chemin intérieur avec ses symboles, les trois enfants sont des éléments élevés en l’être, qui ne peuvent pas de toute manière se développer en toute quiétude dans un espace trop enclin aux désirs des choses de la nature et à leurs emprise sur l’élévation spirituelle. Il faut une certaine distance vis à vis des sentiments et des émotions, il faut développer un certain recul pour mieux percevoir ce qui est l’ego en soi, et ce qui est de l’ordre de l’Esprit.
L’esprit, le roi doit rester neutre et laisser l’expérience se produire.
Dans l’histoire l’esprit peut paraître lâche ou inconscient. Si le sultan était parti à la chasse comme dans nombre de légendes, nous pourrions dire qu’il est occupé à ses passions et ainsi cela signifierait que l’Esprit est oublieux de sa nature véritable, au mieux qu’il n’est pas attentif.
Le microcosme humain est un champ d’énergies ou des forces en conflit créent un mouvement continu ; ces formes de conscience interagissent entre elles et déterminent nos actions. le but premier du chemin spirituel est de reconnaître l’ensemble des forces qui gouvernent notre vie, c’est la première phase. Le but de la deuxième phase est de réunir et d’unifier ces forces et la troisième phase est la fusion avec…..(chacun ayant mis un concept sur ce « avec »).
Voyons quelle sont les forces en mouvement illustrées par notre conte:
- ce qui est de l’esprit encore actif en l’être, et qui donne des aspirations au Bien, au Bon, à la Justice, aspirations d’un autre domaine d’existence. Cette aspiration est déclenchée dans la jeune âme, la cadette.
- cette âme en devenir qui doit justement grandir, se développer complètement pour s’unir véritablement à l’esprit.
- l’ego et ses désirs de dominations, les sœurs…
Puis le processus étant enclenché apparaissent en l’être de nouvelles possibilités d’élévation, de libération et de détachement des sentiments et des désirs irrépressible des choses de la nature. Ainsi naissent les trois enfants avec des particularités exceptionnelles comme des cheveux d’or et d’argent ou une étoile sur le front, ou encore une beauté irréelle. Ce sont trois forces potentielles en l’être sur une voie spirituelle, trois concepts de haute éthique comme l’altruisme, le don de soi et la compassion. Ces facteurs se développeront lors de la quête, chemin d’expérience et d’accomplissement. Le conte-type 707 ne décrit pas vraiment les attitudes des jeunes gens et ne nous renseigne pas véritablement sur leurs caractères, ce que nous savons c’est qu’ils sont serviables, prêts au sacrifice et aimables.
Ces aspects bénéfiques et hautement altruistes se sont développés dans un espace respectueux de la vie : le domaine de l’intendant qui abrite également un merveilleux jardin. La beauté naturelle de la compassion – la jeune fille - s’épanouit dans le calme de ce milieu, jusqu'à ce que se déclenche le processus de croissance finale. Un appel ou un stimulus se fait entendre – la vieille - et pousse au développement et à l’expérimentation de ses possibilités. Dans l’histoire cela se traduit par la quête des trois éléments fabuleux, quête justifié parce qu’il manque quelque chose au jardin intérieur afin qu’il soit parfait.
L’espace de l’accomplissement s’ouvre et le chemin se réalise.
Les deux garçons se mettent au service du désir de leur sœur, partent en quête…et trouvent au pied d’une montagne un sage qui leur indique l’endroit ou se trouvent les éléments précieux, mais qui les informe également des dangers de leur aventure.
Quel est ce danger ?
celui d’être pétrifiés… d’être transformés en pierres noires : c’est ce qui arrive au deux garçons. Le symbolisme de la pétrification est assez évidente, surtout si on se rappelle d’ou la quête est partie : rappelez vous, Farizade était dans son jardin et la vieille dame lui a dit qu’il manquait quelque chose pour qu’il soit parfait. Le jardin représente la vie intérieure riche et paisible, mais cette vie doit s’épanouir grâce à la parole de vérité : l’oiseau, à une puissance de développement harmonieux : l’arbre, et à l’essence de la vie : l’eau.
Le courage et le don de soi est inestimable sur le chemin, mais seule la puissance de la compassion, de l’amour, peut vaincre toutes les entraves. Ainsi, seule la jeune fille réussit cette quête…
Les voix de la montagne représentent les inévitables mouvements de l’inconscient, les « doutes, peurs, concepts figés, règles erronées, habitudes stéréotypées » toutes choses qui entravent notre vie quotidienne, l’élan de notre vie quotidienne. La vie est un libre mouvement que l’élément eau représente bien, et notre structure mentale a l’irrépressible besoin de confiner cette vie, trop « libre » à son goût. Ces éléments de l’inconscient peuvent être exprimés par un seul terme : « l’Ignorance », et seule la voie de la Vérité peut éclairer cette confusion, c’est pourquoi c’est l’élément découvert en premier, et c’est cet élément qui enclenchera la libération des princes.
La quête est accomplie, le jardin rayonne de vie et la rencontre avec le roi – l’Esprit, peut avoir lieu.
Examinons un passage de l’histoire qui est dans la traduction de Galland, mais ne figure pas dans celle de Mardrus :
« Par deux fois, les princes rencontrent le roi mais oublient cette rencontre avant la visite de celui-ci au domaine de l’intendant. Le roi, alors, leurs donne trois petites boules d’or qui leur rappellera leur promesse d’inviter le monarque. »
Cet épisode met en scène la perte de mémoire des princes à propos du roi, et ceci à deux reprises, se qui surprend le sultan et le fait intervenir.
Cet épisode est intéressant et nous ramène à un autre conte celui du « mythe de la perle » ou celui de « la belle au bois dormant ». dans ces contes, intervient un élément central « l’oubli » ou le « sommeil d’oubli ». Cette force d’attraction de la nature est toujours méconnue, les nombreux désirs de l’être naturel, de l’existence, cachent la plupart du temps cet aspect de notre vie. Mais cet aspect est prédominant dans notre vie quotidienne : il est neutre, car d’un coté il permet que nous vivions en renouvelant nos expériences, et de l’autre, il efface également la connaissance effective de ses expériences, nous faisant renouveler sans cesse les mêmes fautes. L’oubli sur un chemin spirituel est une confrontation inévitable et constante, car c’est cet élément qui est la cause de notre errance sur la terre, cette méconnaissance de nous-même.
Les forces de l’inconscient nous maintiennent dans « l’Ignorance », mais l’attraction de la nature comporte comme support, ce dynamisme « d’oubli », (voir le mythe de Narcisse).
Notre conte implique des le début une forme de perte de conscience : celle de l’esprit ensommeillé en l’être, le roi, qui n’est pas attentif aux phénomènes qui se passent en son palais, et qui déclenche cette aventure. L’âme assujettie au pouvoir de l’ego, (la reine emprisonnée) lance le développement de trois éléments élevés de conscience qui auront pour tâche finale de réveiller l’Esprit. Le passage de la perte de mémoire des jeunes garçons dans la traduction de Galland illustre encore une fois cette difficulté de garder en conscience le but qui est l’Eveil au Divin.
C’est le sujet principal de notre conte, retrouver la mémoire, reprendre conscience de soi-même ; et pour cela, réunir les forces d’intelligence et d’action (les trois jeunes gens), avec l’Esprit réveillé, « réinitialisé » (le roi) et l’âme épanouie (la reine finalement libérée) et libre de percevoir la vie dans tous ces phénomènes.
L'Aède