Castor et Pollux
Je suis souvent déçu par les études d’universitaires français sur la mythologie grecque ou égyptienne,,,
pour quelle raison ?
Eh bien, parce que ces études sont axées essentiellement sur l’aspect structurel d’une croyance jugée immature, ou sur l’aspect socialisant du peuple et n’ouvre pratiquement jamais sur une interrogation de l’idée spirituelle du peuple étudié. Comme si les anciens grecs ou égyptiens avec leurs brillante civilisation, étaient de simples religieux totalement enfermés dans leurs rituels et leurs croyances abêtissantes sans réelle vision spirituelle intérieure et qui auraient, au mieux, réussit à structurer une civilisation ordonnée !
Pour quelle raison ces universitaires sont si « bornés » concernant l’essence spirituelle à l’origine des mythes grecs et Egyptiens ?
C’est une interrogation auquel Walter Friedrich Otto, « mythologue allemand » est attaché également, (je ne suis donc pas le seul à me poser cette question).
- Le premier élément, je l’ai trouvé dans la naissance même de notre science moderne. Celle-ci est née à la Renaissance et a dû s’opposer dés le début, au dogme catholique pour survivre et se développer. Cela n’a pas favorisé l’étude de la spiritualité, et a ancré cette science dans l’attachement au faits, naturellement opposés aux croyances.
- Le second élément surgit de la période émergente de la science : le 19eme siècle.
La période de la révolution avait donné un coup brutal à la domination catholique et le nouveau pouvoir bourgeois s’est trouvé une autre exaltation : celle de la science. Bientôt donc fleurissaient les études sur les autres pays et civilisations. Seulement ces « messieurs » des sociétés savantes étaient fortement attachés à leurs « ego » et à ce qui le constituent : leurs croyances et leurs idées de ce que doit être une civilisation avec sa religion, ce qui a donné de multiples écrits plutôt chauvins, sinon proprement xénophobes. Quel était le socle sur lequel reposait cette infatuation d’eux-mêmes… ? Et bien en grande partie sur le dogme du dieu unique, et forcément sur les préceptes de la religion catholique et protestante. Ainsi, comment voulez vous étudier une spiritualité différente et multiforme que vous jugez déjà infantile ou dérisoire, sinon avec l’idée qu’elle a – au-mieux – permis une structuration de la civilisation, et sauvegardé « une certaine morale !
Ces messieurs des sociétés savantes se sont sortis de la domination de l’église, mais non de ses préjugés. C’est ce qui ressort toujours actuellement des études sur la mythologie, grecque et égyptienne, mais non indienne, car la confrontation des universitaires avec la spiritualité orientale a été radicale pour l’orgueil chrétien, et les a ouvert à une autre réalité.
Bien sur, tout les universitaires ne sont pas à mettre dans le même sac : heureusement il existe des « Vernant »…
Mais ce petit texte est fait pour que ces messieurs prennent un peu conscience du substrat originel, sur lequel ils bâtissent leurs concepts – et qui inconsciemment, les dirigent, et qu’ils méconnaissent totalement.
Maintenant essayons de percevoir les éléments proprement spirituels qui peuvent exister dans la mythologie grecque originelle.
La base sur laquelle repose toute spiritualité est LE principe Divin dans l’homme. Ce principe est recouvert par la personnalité avec ses peurs, ses désirs et le mouvement naturel de l’évolution. C’est le thème de l’oubli inhérent à la matière opposé à l’appel jaillissant de l’intérieur de soi qui amène le thème de l’éternel retour si cher à Mircéa Eliade. C’est la base du christianisme originel, comme du bouddhisme, du taoisme, etc…
Ainsi il existe deux réalités :
celle de l’homme ancré dans le monde de l’espace-temps, soumis à son propre développement nécessaire et… une autre réalité :
celle d’un principe qui donne à l’homme le sens du beau, du sacré et l’aspiration à des idéaux si élevés qu’ils ne font que tourmenter l’être, si celui-ci ne regarde que l’extérieur.
Ces deux éléments existent-ils dans la spiritualité grecque et dans sa forme sacrée qu’est la mythologie ?
On peut les retrouver dans l’idée du dualisme selon Platon, à l’époque classique, mais ces principes sont-ils présents dans la mythologie, dés son origine ?
Il existe un thème mythologique très connu de par le monde, car présent dans nombre de sociétés, c’est le thème des jumeaux divins : deux frères dont l’un apporte des éléments de civilisation ou fait régner l’ordre et l’harmonie, aidé plus ou moins par son frère, beaucoup moins fort ou plus frustre, parfois même carrément sot. Ce thème existe bien sûr dans la Grèce archaïque ou les deux frères sont presque aussi valeureux. Nous le trouvons très concrètement dans les textes mythologiques dans la personne des héros Castor et Pollux. La particularité de ces jumeaux est qu’ils ont un père différent: l’un est fils de Zeus, l’autre de Tyndare, roi de Sparte. Voici le texte qui précise leur nature, tiré des Néméenne de Pindare. Le passage qui suit intervient après un combat dans lequel Castor trouve la mort…
— Bientôt Pollux revient à son valeureux frère; il n'avait pas encore expiré; mais il le trouva haletant d'un râle pénible. Versant alors des larmes brûlantes en gémissant, il dit à haute voix: «Fils de Cronos, ô mon père, quel sera le terme de mes douleurs ? A moi aussi envoie la mort comme à lui, ô Roi. Plus d'honneur pour le mortel privé d'amis. Peu d'hommes sont fidèles au malheur au point d'en partager les peines.»
— C'est ainsi qu'il parla ; Zeus vint à lui et dit: «Tu es mon fils; mais celui-ci est le fils d'un héros qui, plus tard, s'approchant de ta mère, déposa dans son sein une semence mortelle. Hé bien ! je te laisse pourtant le choix ; si, loin de la mort et d'une vieillesse odieuse, tu désires habiter toi-même l'Olympe en compagnie d'Athéna et d'Arés à la sombre lance.
— «Tu es libre de le faire; mais si tu t'armes pour ton frère, si tu veux qu'il ait part égale à toi, tu respireras la moitié du temps sur la terre et l'autre moitié dans les palais d'or du ciel.» Ainsi parla Zeus, et Pollux n'hésita point entre deux pensées. Alors Zeus rendit la lumière et ranima la voix à Castor au baudrier d'airain.
(Xéme Néméenne)
Voici le thème très connu des jumeaux divins dont l’un est véritablement puissant et invincible car issu d’un dieu et l’autre simplement valeureux comme un humain peut l’être. C’est en mythologie comparée un thème récurrent que l’on trouve sur tous les continents. Vous savez, si vous avez déjà lu certains de mes articles, que je ne suis pas partisan de la mythologie comparée, car chaque peuple a ses propres symboles et chaque récit a un développement particulier en fonction du message qu’il apporte à ce peuple. Il est très rare de rencontrer un thème légendaire qui soit réellement universel. Pour que le thème récurrent soit répandu parmi les peuples, il faut qu’il prenne naissance au plus profond de l’homme. Il faut qu’il vienne d’une idée spirituelle commune, bien au-delà des cultures.
Ce thème est donc fondamental pour l’être humain.
Certains, y ont vu la signification de la dualité dans l’homme, mais leur interprétation de la dualité était faussée par le concept du bien et du mal. Cette idée du diable et du saint dans l’homme - avec la notion simple que l’homme est double – amène le concept que l’homme peut se parfaire, qu’il peut et doit évoluer, mais l’essence de la spiritualité est totalement opposé à ce concept. L’homme doit redécouvrir sa nature divine - qui a été recouverte par l’ignorance et l’oubli – par sa nature humaine donc. Redécouvrir ne veut pas dire évoluer, la nature divine en nous Est, simplement.
C’est en comprenant ces deux réalités que la conscience peut laisser tranquille sa part naturelle et laisser vivre sa véritable essence : celle du Divin. La conscience laisse la nature de l’espace-temps pour reconnaître qu’elle vit uniquement de la lumière de l’instant.
Si vous étiez un « spirituel » d’il y a trois mille ans ou plus, qui veut faire prendre conscience de ce Dualisme fondamental à un peuple, la meilleure façon d’amener une compréhension progressive était de le présenter dans un récit ludique. C’est évident, non ?
Ainsi, nous trouvons également ce thème de la Dualité signifié par deux personnes dans les évangiles avec : Jean et Jésus.
Ainsi Jean dit : « Moi je baptise d’eau, mais au milieu de vous il y a quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi ». Jean 1/26 et plus loin : « Avant moi vient un homme qui m’a précédé, car il était avant moi. » Jean 1/30 et ensuite : « J’ai vu l’esprit descendre du ciel comme une colombe et s’arrêter sur lui. Je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau, celui-là m’a dit : Celui sur qui tu verra l’Esprit descendre et s’arrêter, c’est celui qui baptise du Saint-Esprit ». Jean 1/32-33.
Malheureusement, ce thème du dualisme Jean / Jésus est empêtré dans la notion d’évolution et dans le concept : bien / mal. Pourtant le texte précise bien que Jésus était là avant Jean et que celui-ci va simplement lui laisser la place ou plus précisément : qu’il est au milieu de vous.
D’ailleurs le thème des jumeaux est très présent dans les évangiles, car Jésus a également un jumeau : Thomas « didyme » qui signifie « jumeau ». C’est l’apôtre qui doute de la réalité divine de la résurrection de Jésus. Ce qui est tout à fait logique dans l’idée des jumeaux de nature double : monde de l’espace/temps / monde Divin.
Mais revenons à la Grèce archaïque dans laquelle d’ailleurs n’existait pas la notion de bien et de mal, car tout était lié aux éléments Divins. Ces jumeaux ont de multiples aventures, qui comme d’autres récits peuvent êtres considérés comme initiatiques, mais le texte suggère peut-être une autre idée, que celle de la découverte de ce principe Divin en soi et de sa part naturelle. C’est l’idée de la division de l’espace/temps à la mort de Castor ; ainsi les deux frères partagent leur existence entre deux périodes : l’une, six mois sur terre, et l’autre six mois dans les palais d’or du ciel.
Soit c’est une autre façon de souligner cette Dualité, en accord avec deux états de la nature : hiver / été.
soit c’est une autre approche de ce concept du Dieu en soi recouvert par la nature humaine.
Cette « approche » doit venir d’une conception particulière chez les Grecs, mais laquelle ?
Car nous retrouvons cette division de temps avec deux divinités dans l’espace sacré le plus célèbre du monde Grec et Méditerranéen : Delphes. Ainsi le site sacré de Delphes était régi par le dieu Dionysos l’hiver, et par le dieu Apollon l’été.
Dionysos représente selon les mythographes, le dieu de la nature (le dieu du vin est une configuration plus récente). C’est le principe de la génération de la nature, et pourtant c’est lui qui est le représentant de l’hiver à Delphes…
Apollon est le dieu des arts, de la beauté et de la lumière. C’est donc tout à fait normal qu’il soit associé à l’été et au soleil en tant qu’Apollon Phoibos.
Alors ou est le « bins »… ?
Si Dionysos représente la nature jaillissante, à l’époque classique, comment expliquer qu’il est le dieu de l’hiver, à Delphes, lieu le plus ancien et le plus sacré de Grèce ?
Sinon…, sinon que le plus ancien culte était dédié à ce principe nature/Lumière qui est le principe spirituel le plus profond de l’être, et que cette notion était la première, la plus pure réalité spirituelle auquel se vouaient déjà les très anciens Grecs.
L'Aède