Légendes de l'Aède

Les mythes Orphiques

Série : Les cosmogonies des mondes de cultures Grecques ou méditerranéennes.

L’orphisme, selon les spécialistes de l’antiquité grecque, a débuté au VIe siècle avant notre ère et disparaît vers le Ve siècle de notre ère. Nous trouvons plusieurs cosmogonies orphiques, avec des significations très différentes et parfois très obscures.
Quelle en est la raison ? Pourquoi une telle diversité ?
Plusieurs causes ont été évoquées :
1/ Différents courants de pensées ont pu naître et changer au fil des siècles.
2/ Il est possible aussi que, dés le début, cette doctrine ne soit pas complètement structurée, ce qui aurait laissé le champ libre pour de nombreuses interprétations ultérieures.
3/ Il est possible que ce soit un courant profondément spirituel, axé sur l’obtention de l’éveil. Un groupe d’authentique « Mystes » (1) semblables à des moines en méditation, dans le silence de l’Attention, seul chemin véritable vers le Divin en soi.


Céramique romaine

Quelle que soit les chemins prit par l’Orphisme, toute spiritualité finit par devenir ritualiste et finalement simplement religieuse, emplit de croyances mais ne vivant plus de l’Esprit. Ainsi, l’essence de l’Origine Divine de l’homme, vécu par un petit groupe, peut vite tomber dans l’oublie, surtout si ce mouvement est en décalage avec les croyances d’une antiquité grecque devenu totalement religieuse et ritualiste. Cela explique l’opposition de l’Orphisme aux systèmes mythiques comme la « Théogonie » d’Hésiode et la nécessité pour ce courant spirituel de revivifiée une cosmogonie plus vivante.
Mais ce courant de pensées à du également au fil du temps tomber dans les rites et croyances adaptées à une vie sociale. Nous trouvons ce « ritualisme Orphique » dans le fait de déposer des tablettes votives dans les tombes Grecques, dés le IVe siècle avant notre ère. Malgré cela, les textes de ces « Lamelles d’Or » expriment une belle poésie.
Voici le texte d’une tablette :
« Tu trouveras à gauche de la demeure d’Hadès une source
Et près d’elle, un cyprès blanc dressé ;
De cette source ne t’approche absolument pas.
Tu en trouveras une seconde, qui fait couler son eau fraîche
A partir du marais de Mnémosyne ;
Devant elle, il y a des gardiens.
Dis : je suis l’enfant de Gaia et d’Ouranos, (la terre et le ciel étoilé).
Et ma race est céleste ; cela, vous le savez aussi.
Je suis desséchée de soif et je meurs ;
Donnez moi vite l’eau fraîche qui coule du marais de Mnémosyne (la mémoire).
Et ils te donneront à boire de cette source divine
Et dés lors tu régneras parmi les autres héros. »


sarcophage Grec

Mais laissons les « mystères » de l’orphisme, pour nous pencher sur le premier texte cosmogonique de ce courant « spirituel ».
C’est un texte d’Aristophane : « Les Oiseaux », que celui-ci à présenté lors de fêtes en l’honneur de Dionysos en 414 av notre ère, et que l’on « croit être une forme de « pastiche » des croyances Orphiques. C’est un passage de ce texte que l’on trouve dans la parabase du chœur, 676 –800.

« Le Chaos, la Nuit, le noir Érèbe et le vaste Tartare existaient au commencement: il n'y avait ni terre, ni air, ni ciel. Dans le sein infini de l'Érèbe, la Nuit aux ailes noires enfante d'abord un œuf sans germe, d'où, après des révolutions d'années, naquit le gracieux Éros au dos brillant de deux ailes d'or, semblable aux tourbillons roulés par le vent. Eros, uni au Chaos ailé et ténébreux, dans le vaste Tartare, engendra notre race, et la produisit tout d'abord à la lumière. Ainsi, à l'origine, la race des immortels n'existait pas encore, avant qu'Éros eût tout uni. Les éléments une fois unis les uns aux autres, parut le Ciel, l'Océan, la Terre et les dieux bienheureux, race éternelle.
Voilà comment nous sommes les plus anciens de tous les bienheureux: que nous sommes fils d'Éros, mille preuves l'attestent. Nous avons des ailes et nous sommes avec ceux qui aiment. »
Voici exprimé entre autres, le concept de l’œuf cosmique.
Mais est-ce une invention d’Aristophane pour illustrer son utopie satirique avec des oiseaux pour acteurs ?
Ou est-ce que cette notion d’œuf cosmique est bien relié à l’Orphisme ?

Voici une explication de la cosmogonie orphique que l’on trouve sur ce site : mythologica.fr
« Le premier principe fut Kronos, le Temps, d'où sortirent le Kaos, qui symbolisait l'Infini, et l'Ether, qui symbolisait le Fini.
Le Chaos était environné de Nuit, qui formait ainsi l'enveloppe sous laquelle s'organisait lentement, par l'action créatrice de l'Ether, la matière cosmique. Celle-ci prenait finalement la forme d'un oeuf, dont Nuit constituait la coquille. Au sein de cet oeuf gigantesque, dont la partie supérieure forma la voûte du ciel et la partie inférieure, la terre, prit naissance le premier être, Phanés, la Lumière.
C'est Phanès qui, par son union avec Nuit, créa Ouranos et Gaia. C'est lui également qui engendra Zeus. L'univers était constitué. Restait à le peupler. Gaia s'unit à son fils Ouranos et la première race issue de leur union fut celle des Titans.
La suite de ce système mythique est très semblable à la « Théogonie d’Hésiode ». peut-être trop semblable pour être véritablement Orphique. Ce texte est une compilation de divers auteurs classiques, qui, pour certains connaissaient peut-être l’Orphisme, mais cela n’en fait pas un texte authentiquement Orphique.

Nous allons analyser maintenant la cosmogonie issue du « Papyrus de Derveni » datant sans doute du IVe siècle AV notre ère, et découvert en 1962. Ce texte, malheureusement incomplet, est un essai d’explication de la mythologie Orphique. Son contenu est très abstrait, plus proche d’une étude scientifique, que d’un récit religieux.
Nous allons essayer de transcrire certains éléments en restant le plus proche du texte, sans autres références 

« Il y a d’abord ZEUS (dans sa forme Divine Primordiale, Incréé).
Puis « viennent !» Les Particules qui prennent deux aspects dans l’Ether, selon ou par rapport au Feu Solaire ou à la Nuit Ténébreuse.
( Ces Particules peuvent sans doute êtres assimilées à Khaos. Le texte dit que ces Particules existent de tout temps, et que c’est d’elles que viennent les « énergies » actuelles. Mais il n’est pas possible que ces Particules donnent naissance aux éléments actuels ou énergies, sans CONSCIENCE, sans une puissance de conception, ce qu’exprimerait ou serait ZEUS)
Les Particules chauffées se scindent en deux, alors que les Particules refroidies se combinent entre elles. »
(chaque Particule apporte ainsi la potentialité de création pour deux sortes d’entités ou d’énergies, auxquelles il ne manque que l’élément déclencheur….ou la Conscience)
« ZEUS L’Incréé suit les conseils de NYX, la nuit.
( Zeus prit le chemin de la combinaison des éléments). » (La Conscience ZEUS fut active et l’univers s’ouvrit en de nombreux Eléments)…
« Ensuite le Soleil ou Feu Solaire et Gaia ( née sans doute des éléments) donnent naissance à Kronos. »
Kronos est donc issu du Soleil qui lui est issu de la séparation des Particules.
(c’est la signification du temps : une perception distincte et irréelle de la réalité du présent) « NYX fait naître Ouranos. (Certainement dans l’Ether, mais est-ce des éléments ? ).
Kronos sépare le soleil d’Ouranos.
(Kronos : Pensée active selon un développement, selon un plan évolutif, frappe les Particules et force cette séparation des Particules et des éléments, créant l’espace –temps).
Puis Kronos donne naissance à Zeus à la foudre éblouissante.
(Zeus est le maître du présent et de l’existant, Maître de l’Energie vivante).
Il est Zeus à la Métis ; Zeus en tant que Conscience active, s’unit ou se transforme en l’intelligence active et attentive dans le présent.
Zeus prend Protogonos, le glorieux daimôn et l’avale. Puis Zeus le régurgite, de sorte qu’il devint véritablement Protogonos : le premier né. »
(Ainsi, Zeus créée incontestablement un Univers selon ses propres lois de combinaison des éléments et les lois de séparations des éléments crées par son père Kronos.) (le premier né sera donc soumit à la matière et à la nécessité de la reproduction, selon la combinaison des éléments, et à la mort, selon la dissolution des éléments.)
« Zeus exerçe ensuite son ascendant sur les choses qui sont, qui ont été et qui seront, en décidant de la manière dont elles doivent avoir été, être et cesser d’être, » dit le texte.
« Zeus par sa vitalité donne naissance à trois déesses : Peithô , (persuasion) Armonie, (harmonie) et Aphrodite l’Ouranienne (la céleste).
A ce moment là, toutes les Particules dans l’Univers créé s’unissent par « ressemblance » selon les lois nouvelles : d’évidence, d’harmonie et de désir d’union. »

Le texte essaie ensuite d’expliquer que les déesses sont une facette de Gaia selon un sens différents, ainsi :
« Gaia, Méter (mère), Rhéa, et Héra sont une seule et même divinité. »
« Ainsi, Zeus ne fit pas naître véritablement Océanos par la suite. Tout simplement parce qu’Océanos est une facette de Zeus, une simple transposition de lui-même en tant que Force en mouvement et que Pensée profonde. »
« Tous les êtres suivirent…
Ainsi ZEUS fut le premier et Zeus à la foudre éclatante et à la métis fut le dernier. Zeus est toute chose. »


Bas relief

Le texte du « Papyrus de Derveni » est très complexe. Les ou l’auteur ont voulu expliquer ce qu’est une véritable cosmogonie, mais malheureusement ce texte nous est parvenu très incomplet. J’ai essayé de traduire la partie consacrée à la succession des divinités, en fonction de ma connaissance de la spiritualité et des cosmogonies. Je n’ai presque pas repris la traduction de l’universitaire, qui comme tous ses confrères n’a qu’une faible connaissance de la spiritualité.
  Il est regrettable que les scientifiques prennent ses textes mythologiques au premier degré, comme une évolution religieuse naturelle, et non comme des textes sacrés s’adressant au cœur de l’être.

Examinons maintenant, une autre version de cette vision cosmique Orphique, selon un des pères de l’église chrétienne.
Le texte suivant est tiré des « Stromates » de saint Clément d'Alexandrie, qui est mort en l’an 220 de notre ère. Ces « Stromates » sont des réfutations des hérésies comme les doctrines gnostiques et orphiques. Ont peut se demander, avec toutes ces philosophies, laquelle a influencé l’autre. Nous verrons dans le texte soi-disant Orphique les influences suggérés.

« II n'y a qu'un seul pouvoir, qu'une seule divinité, le vaste ciel qui nous entoure de ses feux ! Lui seul a loin créé. En lui roule la création, le feu, l'eau et la terre.
Dieu fait toujours naître une douleur des félicités humaines. Ce sont les horreurs de la guerre et les larmes qu'elles font couler. De sa main droite, il (Dieu) touche de toutes parts aux extrémités de l'Océan, et la terre roule sous ses pieds.

A DIEU.
Roi de l'air et des enfers, roi de la terre et des ondes, toi dont le tonnerre ébranle l'Olympe, toi que redoutent les Génies et que craignent les dieux, toi à qui obéissent les Parques inflexibles pour tout autre ; père immortel de la mère (ou toi qui es à la fois le père et la mère), toi dont la colère secoue le monde entier, toi qui déchaînes les vents, enveloppes la terre de nuages et sillonnes de tourbillons de feu la vaste étendue des airs ; la loi qui régit les astres et qui marque le temps de leurs révolutions émane de toi ; auprès de ton trône étincelant se tiennent les anges infatigables, dont la tache est de veiller aux besoins des mortels et à l'accomplissement de leurs devoirs. Le printemps qui se couronne de fleurs nouvelles et qui se pare de ses brillantes couleurs, est une création de ta volonté comme également l'hiver avec les nuages glacés qui l'environnent : et les fruits de l'automne, les raisins de Bacchus, c'est encore à toi que nous les devons .....
Inaccessible aux coups de la mort, ton nom ne peut se révéler qu'à des immortels. Viens, ô le plus grand des dieux ! accompagné de l'inflexible nécessité ; viens, dieu terrible, invincible, grand immortel, toi que l'air couronne. 
  Tout ce qu'il cachait dans le sanctuaire de son cœur, il le fit éclater à la brillante lumière du soleil sous la forme des grandes actions. 
Aie toujours les yeux fixés sur les préceptes divins et ne les en détache pas : scrute toujours d'un regard sévère les profondeurs intellectuelles de ton âme, marche d'un pas ferme dans la voie droite et ne contemple que le roi immortel de l'univers. 
Il (Dieu) ne s'est révélé qu'à un descendant d'une famille chaldéenne. Cet homme connaissait le cours du soleil et la révolution circulaire que cet astre, toujours à la même distance de son axe, accomplit autour du globe terrestre. Il savait aussi comment le même astre guide autour des flots ses coursiers rapides comme les vents .
Inébranlable, il est assis au plus haut du ciel sur un trône d'or et la terre roule sous ses pieds. De la main droite, il touche aux extrémités de l'océan : sa colère ébranle les montagnes jusque dans leurs fondements ; elles ne peuvent supporter le poids de son courroux. Il est partout quoique le ciel soit sa demeure, et c'est lui qui accomplit toutes choses sur la terre, car il est le commencement, le milieu et la fin de toutes choses. Que dis-je ? il n'est pas même permis de le nommer. Rien que de penser à lui, tout mon corps frissonne ; car c'est lui qui d'en haut dirige tout ici-bas. »


Mosaïque romaine

Pour finir, voici la dernière forme de cosmogonie, tirée des « Argonautiques Orphiques ». Texte très tardif qui daterait probablement du Ve siècle de notre ère.
« O Seigneur, qui règnes sur Pythô, archer qui lances au loin tes traits, toi qui habites les sommets élevés du Parnasse, je chante ta vertu. Inspire à mon cœur une voix véridique, et donne-moi la gloire de répéter aux hommes dispersés de toutes parts un chant conforme aux préceptes de la Muse, un chant digne de la lyre. Car il est dans ma pensée, ô dieu qui portes le luth, de dire des choses que je n'ai pas encore dites, lorsque, animé du zèle de Dionysos et du Seigneur Apollon, je chantai les remèdes favorables aux mortels et ensuite les droits mystiques des initiés.
D’abord l’implacable nécessité de l’antique Khaos, et Kronos – comment celui-ci enfanta - l'Éther, et Eros à la double nature, père de Nyx l’éternelle que les hommes ont nommée Phanès, parce qu’il apparut le premier. Et vint la descendance de la puissant Brimô et les ouvrages funestes des Géants, race dangereuse fruit des gouttes tombées du ciel, race d’antan d'où sont sortis les hommes mortels répandus aujourd'hui sur la surface de la terre.
Et Zeus, et le culte de la Mèter sur les montagnes, qui sur les monts de Cybèle avait accompagné la jeune Perséphone à cause de Kronos son père toujours implacable.
Et les mystères sacrés des génies de l’Ida, et la force prodigieuse des Corybantes, et l'errance de Déméter et de son deuil de Perséphone.
Et les dons splendides des Cabires, et les oracles ineffables de Nyx au sujet du dieu Dionysos. Je t'ai raconté d'autres merveilles encore, que j'ai vues moi-même et que j'ai recueillies dans mon esprit, lorsque j'ai parcouru la route ténébreuse du Ténare et que j'ai pénétré dans le royaume d’Hadès, poussé par mon amour pour mon épouse et me confiant à la puissance de ma cithare. »


Peinture à l'huile 1814

Voici donc la voix d’Orphée, très tardive, qui met en valeur l’aspect mythique de ce personnage.
Le dieu Dionysos est également indissociable du culte Orphique. Examinons cela :
Dans certaines versions Dionysos est le fils de Perséphone et de Zeus. Héra, par jalousie, charge les Titans de se débarrasser du nouveau-né. Ceux-ci coupent donc Dionysos en morceaux et le font cuire dans une marmite. Athéna recueille son cœur et le donne à Zeus qui en féconde ensuite Sémélé.
Dionysos connaît deux naissances, (ce qui est explicite pour un initié) et cela explique son surnom : «le deux fois né». Pour le soustraire à la vengeance d'Héra, il est confié à sa tante Ino, la sœur de Sémélé, et à son époux, Athamas. Mais ensuite le stratagème est découvert par Héra, Dionysos est alors confié aux nymphes, sous la direction de Silène, sur les monts de Thrace.
Pour échapper à Héra, il est transformé en chevreau. A l’age adulte, Dionysos redevenu humain, part pour de nombreux voyages.
Après de nombreuses errances et péripéties, Dionysos décide d’aller visiter sa mère Perséphone dans le royaume d’Hadès. Prosymnos accepte de lui montrer le chemin ; Dionysos doit plonger derrière lui dans le lac de Lerne, qui est l’entrée du royaume d’Hadès. Dionysos sort vivant des enfers avec Sémélé, et accompagne sa mère jusque sur le mont Olympe.
Ainsi des personnages divins comme Dionysos, Perséphone et Orphée lui-même, liés aux cultes Orphiques, ont pour point commun de revenir du territoire des ombres. C’est une « marque » qui laissera une profonde empreinte dans les rites initiatiques qui suivront.


Vase Grec Céramique

Que dire de ces différentes cosmogonies ?
Les disciples de l’Orphisme nous ont laissé très peu de textes. Nous ne sommes même pas sur que « les lamelles » sont issues de ce courant de pensées, mais nous allons terminée cette page avec un message extrait de ces textes mortuaire.
« Je brûle de soif et je défaille.
Donnez- moi donc à boire de l’eau de la source qui coule pérenne.
Je suis fils de Gaia et d’Ouranos. »

L’Aède

Biblio : Le papyrus de Derveni – éd Les belles lettres, 2003. Les lamelles d’or Orphiques par G P Carratelli - éd Les belles lettres, 2003. Les chants Orphiques – éd Paléo , 2008. Les Argonautiques Orphiques par F Vian - éd Les belles lettres, 1987.
Note : 1/ le Myste est bien un spirituel, la racine de ce nom est « myo » qui signifie : se taire. Cela ne veut pas dire que les mystes doivent absolument vivre dans le secret de leur pratique, mais plutôt qu’il doivent être dans le silence. Vivre dans le silence, c’est vivre dans l’écoute de ses pensées, de ses concepts, de ses émotions et les regarder sans jugement, sans attachement, c’est l’état d’un véritable spirituel.