Légendes de l'Aède

cosmogonie védique

Suite à la lecture du livre de Jean Varenne :«Les cosmogonies védiques», je vais essayer d’établir sous une forme simple, deux configurations de création du monde selon les anciens « Aryas » :
1/ Indra et 2/ Le Purusha.

Nous trouvons ces cosmogonies dans le « Rig-veda », qui est une partie importante du « Véda » le livre sacré des anciens Indiens. La compilation de ces légendes transmises oralement c’est étalé du XVe siècle au Ve siècle avant notre ère, mais ils pourraient remonter à une période beaucoup plus ancienne selon les Hindous.
Le « Rig-veda » est un ensemble d’hymnes créé au fil des siècles, sans suite logique, et dont les textes cosmogoniques prennent des développements différents. Le Veda devait à l’origine comporter un autre ensemble de textes, celui des : «Itihasa», une suite de textes légendaires qui retraçaient les épopées des dieux, malheureusement, nous n’avons plus ces aventures. C’est donc grâce à l’étude de ces Hymnes et d’autres textes comme les « Bramanas » que des universitaires, comme Jean Varenne, ont énoncé se qui devait être la/les cosmogonies, selon les anciens Indiens, avec ses différents développements au fil du temps et des auteurs.


Dessin du dieu Indra

Voici la cosmogonie qui place Indra comme principal acteur… bien avant la triade Hindouiste : Vishnou, Shiva, Brahma.


1/A l’origine étaient les Dieux, mais ces Dieux étaient dans les ténèbres. Les ténèbres régnaient …
(Les dieux étaient donc présents, mais à l’état latent… C’est ce que l’on appelle des numens, des puissances, des énergies latentes.)
2/Le démon-serpent Vrtra de toute sa longueur, déployait ses larges anneaux enserrant / recouvrant une vaste montagne, et empêchant ainsi les « Eaux mères » de se répandre.
( A l’origine il n’y avait que les Eaux, l’Onde-originelle. « Satapatha Brahmana ». Ces « Eaux » ne devaient pas être dans la lumière,,, c’est peut-être pour cela que d’autres auteurs parlent de ténèbres seulement. Cela fait tout de même beaucoup d’éléments à l’origine : les Ténèbres, les Eaux et les Dieux. Et n’oublions pas le démon-serpent et cette vaste montagne qui bloque le processus de la marche de l’univers.)
3/Les dieux décident de s’unir. Ainsi Varuna et Mitra ou Agni (selon les auteurs) font naître un être capable d’user de volonté, de puissance et d’action. Ainsi naquit : « Indra » qui devint aussitôt adulte, plein de fougue et d’ardeur.
(Ce prototype de héros prendra une place importante dans les légendes indo-européennes).
4/ Indra prend la coupe de « Soma » que lui tend Varuna, et en boit avidement de grandes quantités ; ainsi, empli de Soma et d’ivresse, le nouveau dieu Indra voit sa propre puissance décuplée. Enfin, le dieu Tvastar forge une arme invincible pour le puissant Indra, une arme à sa mesure : le « Vajra ».
(Nous avons déjà écrit un article sur le Vajra : voir sur le site)
5/ Ivre de la puissance issue du « Soma » et armé du « Vajra », Indra s’attaque au serpent monstrueux auquel les Dieux ancestraux n’avaient pas osés s’attaquer.
(Certains textes citent Vishnou comme un guerrier combattant aux cotés d’Indra.)
6/ Indra se lance dans un combat terrifiant ; lance des éclairs, frappe le serpent monstrueux de son arme foudroyante à cent pointes: le Vajra, finalement, après des heures de combat, il maîtrise Vrtra, et tue le dragon en lui tranchant le tête.


dessin du dieu Indra sur un éléphant

7/ Ensuite Indra brise la montagne, aussitôt les Eaux prisonnières s’échappent et coulent dans toutes les directions, engendrant les sept rivières et le vaste océan. Par le même acte, la lumière naît, le soleil prend place dans le ciel, et le feu sur la terre.
(Les eaux étaient emprisonnées avec la lumière, étrange !!!… Les eaux sont comparées aux vaches célestes et Sri Aurobindo dit dans son ouvrage « Le secret du Véda », que le terme « go » : la vache, désigne également la lumière. Ainsi « go » possède deux sens : « vache nourricière » et  « lumière amenant la vie ». Cela donne plus de sens à cette adoration des vaches par les Indiens )
8/ Indra devient le roi du ciel, car il étend la terre et la sépare du ciel. Puis il place le soleil au milieu du ciel et lui donne son mouvement.
( C’est sans doute Agni qui, libéré par Indra, donna la puissance du feu solaire et terrestre. Agni est le feu et en cela il est autant solaire qu’étincelle donnant aux hommes la possibilité de cuire leurs aliments. N’oublions pas qu’avec les eaux primordiales les dieux latents ont été libérés et l’espace et le temps ont été créés.)
9/ Ainsi, c’est grâce à Indra que le ciel, la terre sont fixes et que les montagnes se tiennent bien droites. « C’est parce que tu naquis pour abattre Vrtra que tu as pu étendre la terre, étayer le ciel et libérer les Eaux pareilles à des vaches, qui contiennent le germe de la vie. »
(Indra deviendra le champion des dieux, habitant sur le mont Meru, jusqu'à ce qu’un autre cycle le remplace par Vishnou.)


Dessin de guerrier hindou

Voyons la deuxième cosmogonie, celle du Purusha.
C'est une cosmogonie du Rig-Véda plus abstraite que la précédente mettant en scène le dieu Indra. D’ailleurs nous allons tout de suite débuter par le début d’un hymne tiré de la Rksamhita : 10.29.


Photo de galaxie

1/ En ce temps là, le Non-Etre n’existait pas, ni l’Etre ; ce monde-ci n’existait pas, ni l’autre qui est au-delà. Qu’est-ce qui enveloppait ? Quoi ? Ou ? Sous la garde de qui ? Y avait-il de l’eau ?
2/ Il n’y avait alors ni la mort, ni la vie ; ni partage entre le jour et la nuit. L’Un respirait le non-vent, par son seul pouvoir, car il n’y avait rien d’autre que Cela en ce temps-là.
3/ La ténèbre, au commencement était couverte par la ténèbre ; il n’y avait que l’eau, indistincte. Et l’Un par le seul pouvoir de son ardeur y prit naissance.

Photo d'un océan de debut du monde

Ensuite l’hymne est soumis aux commentaires des sages, et aux nombreux doutes déclenchés par cette conception.
N’oublions pas que le Rig-Véda est une compilation de textes, de révélations diverses qui s’entrecroisent, avec des questionnements sur la nature des choses primordiales. Ainsi, l’idée du sacrifice d’un dieu suprême et originel : Prajapati, est très présente dans le Rig-Véda, autant, peut-on dire que l’action déterminante du dieu créé Indra. D’ailleurs ces deux conceptions cosmogoniques accueillant deux acteurs principaux: Prajapati/purusha et Indra se superposent certaines fois.
Selon la seconde conception plus abstraite ; Prajapati le « Protecteur-des-Etres » serait semblable à « L’Un » de l’hymne précédente, et le Purusha serait sa substance sacrificielle, ou son « ardeur » donnant naissance à l’univers. 
Mais d’ou vient Prajapati ? se demande Jean Varenne…


Voici ce que dit la Vajasaneyi Samhita :
« Prajapati s’active à l’intérieur du Germe ; bien que ne naissant pas il naît et se diffuse de multiple façons ! Les sages contemplent la matrice où il se trouve : en elle sont tous les mondes ! »
Quel est ce Germe ?
Dans certaines cosmogonies, le Germe d’Or (ou œuf cosmique) surgit des Eaux primordiales libérées soit par Indra, soit par d’autres « Principes Divins »… Ce Germe s’ouvre et se divise en deux, formant le ciel et la terre que sépare Indra ou d’autres divinités.
Ainsi, en tout premier, existent les « Eaux primordiales » ; soit Elles contiennent « l’Un », soit Elles contiennent le « Germe d’Or » qui renferme Prajapati. Prajapati est semble t-il un principe cosmique : noumène dans les Eaux et principe actif après la libération du « Germe ». C’est sans doute là, dans ce changement que se situe son sacrifice (sacrifice qui devient essentiel dans les rites védiques).
Prajapati a donc par « le » Sacrifice, acté le Purusha, ou « victime oblatoire », qui est également le principe de toutes choses, ou la substance universelle.
Et c’est cette substance universelle : le Purusha, qui est à l’origine du monde matériel.


Photo d'une procession de pretres

Le sacrifice est une notion double ; il donne naissance et est Purusha, qui sera également nommé « l’Homme-cosmique »…
Voici ce qui est dit de ce sacrifice dans la « Satapatha Brahmana » :
« Prajapati se donna lui-même aux Dieux ; le sacrifice en effet leur appartenait de droit, puisque le sacrifice sert à nourrir les Dieux. Après qu’il eut décidé de se donner lui-même aux Dieux, Prajapati créa, une contre image de lui-même ; à savoir le sacrifice. »
C’est assez compliqué à comprendre, mais il semble que ce principe de toutes choses, cette substance originelle survenant du sacrifice, soit également, en un sens, le « Sacrifice »… soit : Acte et Principe…


dessin du dieu Brahma

Ensuite, arrive la véritable création de l’univers, avec le démembrement du Purusha ou Homme cosmique.
Les Dieux se saisissent de lui, le consacrent par l’aspersion rituelle, puis le dépècent tirant de son corps le beurre oblatoire, les formules et les chants liturgiques. Du démembrement naissent successivement les différentes catégories sociales. Voici tirée de la RKSamhita :
12/ Sa bouche devint le Brahmane, (le religieux) ses deux bras, le Kshatriya, (le noble guerrier) ses deux cuisses, le Vaishya, (le producteur) et ses deux pieds devint le Shudra, (le serviteur).
13/ La Lune naquit de sa pensée ; le Soleil de ses yeux ; de sa bouche, Indra et Agni ; de son souffle, Vayu.
14/ De son nombril, fut l’Espace intermédiaire ; de sa tête le Ciel se développa ; de ses deux pieds la Terre ; et les Orients de son oreille : ainsi les Dieux disposèrent-ils les mondes.


Par la suite, de nouveaux concepts s’édifièrent dans la civilisation védique et sont devenus prédominant dans l’hindouisme ; ce qui fait qu’aujourd’hui nous connaissons surtout les termes « Brahman » et « Atman ». Mais nous les trouvons tout d’abord dans le Véda, précisément dans l’Atharva-Véda :
8/ Dans le Temps sont déposés aussi l’Ardeur et le Brahman (qui est l’ainé de tous les êtres). Oui, le Temps est le seigneur de l’Univers, lui qui fut au commencement le père de Prajapati.
C’est le Brahman, (concept plus abstrait) qui est à présent la substance de l’univers et qui anime toutes choses…
Et ainsi, dans la Mundaka Upanishad, nous trouvons :
1/ Des Dieux, Brahman apparut le premier. C’est le créateur de tout ce qui existe, c’est le gardien de l’univers.
Et plus loin :
2.10/ Oui, l’Homme-Cosmique est tout cet univers ;
il est acte-rituel, ascèse, Brahman, vie éternelle ! Celui qui connaît ce Brahman déposé dans l’être, tranche le nœud de l’ignorance, ici et maintenant !
Dans la philosophie hindouiste, il est difficile de séparer les termes « Brahman et Atman ». Certains utilisent l’aspect « Universel » pour le Brahman et l’aspect « individuel » ou l’homme pour l’Atman.
Mais si ces concepts sont plus récents dans la pensée Indienne, le lien ancien prajapati / Principe originel et Purusha / sacrifice ou substance universelle, peut aussi se transposer… A vous de voir…

L'Aède


Petite bibliographie : Jean Varenne = Le Véda, éditions Les deux océans = Cosmogonies Védiques, éditions Arché Milano – Mythes et légendes, extraits des Brahmanas, éditions Gallimard.
Alain Daniélou = Le polythéisme Hindou, éditions Buchet/Chastel = Shivaïsme et Tradition primordiale, éditions Kailash.
Shri Aurobindo = La Bhagavad-Gita éditions Albin Michel = Le secret du Véda, éditions Fayard.
Heinrich Zimmer = Le roi et le cadavre = Maya ou le rêve cosmique dans la mythologie Hindoue, les deux aux éditions Fayard.
Colette Poggi = Le Sanskrit, souffle et lumière, éditions Almora.