Le Surfer d'Argent

Comment construit-on un mythe ?
C’est une question qui peut paraître étrange, comme si les hommes avaient l’habitude de fabriquer des mythes, et pour quelle raison, si c’est le cas, élaborer ces mythes ?
Voyons, cette question n’est pas si puérile, lisez la page dans la partie Symbolisme de mon site, sur « Construire un mythe : Saint Georges et le dragon » et vous aurez un aperçu de l’élaboration d’un mythe créé pour asseoir la puissance d’une église montante.
Ainsi, il est possible que certains mythes soient construits de manière délibéré et non comme beaucoup le croient de façon intuitive, à l’aide de perceptions issues des esprits du monde divin ou astral. Dés lors, un mythe peut être une forme de propagande, de manipulation, néanmoins chaque homme peut être inspiré par une idée archétypale, une idée puissante qui résonne d’une même manière en l’être depuis la nuit des temps.

C’est sans doute ce qui est arrivé à Stan Lee qui, en 1966, à créé les aventures du Surfer d’Argent, le héraut de l’extrême puissance cosmique Galactus.
Il paraît que c’est le dessinateur Jack Kirby qui a inventé le Surfer, pour étoffé l’histoire de Stan, mais dans ce cas, Stan Lee a du réécrire la première aventure, car le personnage principal est bien le Surfer d’Argent. Nous laisserons cette question aux spécialistes des Comics, et nous allons nous pencher sur ce super-héros vraiment différent de toutes les créations de Stan Lee et de l’univers Marvel.
J’ai déjà traité de certains mythes contemporains, mais celui-ci me tient particulièrement à cœur, car quand j’était enfant, j’allai chercher au bureau de tabac les tout premiers Strange et Marvel en 1969/70. Le personnage du Surfer d’Argent, a été un de mes héros préférés à cette époque, et il semble que je ne sois pas le seul. Encore de nos jours, il rassemble toujours un groupe de fans, profondément déçus d’ailleurs du film sorti en 2007, qui ne rendait pas hommage à cet être d’exception. 
Pourquoi ce personnage a t-il eu et a encore autant de résonance ?

Voyons donc ce fameux Surfer d’Argent…

Norrin Radd a dû pour sauver sa planète, passer un marché et ainsi, devenir le héraut de la puissante entité cosmique Galactus, le dévoreur de mondes. Il semble que Norrin Radd soit un être complexe dont les désirs d’absolu le taraudent intensément.
Galactus le métamorphose en un être capable d’explorer l’espace intersidéral sur un surf d’argent. Ce super-héros doit sans cesse parcourir l’univers et chercher des planètes vide de races intelligentes, pour que Galactus puisse se nourrir de l’énergie de ces mondes.

Mais quand Galactus arrive, terriblement affamé, en vue de notre terre, le Surfer d’Argent se révolte contre lui, et à la suite de ce conflit, Galactus le prive de sa liberté et l’isole sur notre terre par une barrière magnétique infranchissable. Ainsi le Surfer d’Argent, celui qui sillonné les galaxies, devient un exilé, enfermé dans un petit monde…
Galactus se retire et va vers d’autres systèmes solaires… mais son discours est déjà un avertissement pour la race humaine.
Stan Lee se sert manifestement de ce nouveau super-héros atypique pour faire passer un message aux hommes. Le Surfer d’Argent est haï par les hommes, totalement incompris par la race humaine et il en souffre encore plus.

Mais le Surfer d’Argent a également d’énormes pouvoirs
comme celui de guérir…

Et de celui de se nourrir exclusivement d’énergie….

Ainsi, petit à petit, Stan Lee transforme le Surfer d’Argent en être christique, ayant les mêmes particularités que Jésus Christ, avec un coté moderne et écologique. Il émane également du Surfer d’Argent une certaine bonté ou au moins une indéniable miséricorde…

Cet être, archétypal, ressemble donc de plus en plus à un envoyé sur terre, un prophète comme il y en a eu tant au fil des siècles. La particularité de ces prophètes à toujours été de vouloir réformer l’être humain, d’apaiser tout au moins sa violence, et sa folie.

Le Surfer d’Argent quand il était encore Norrin Radd avait déjà ce désir d’absolu,
de réforme de l’être…
D'amour absolu, aussi...

Avec cette histoire, Stan Lee était en avance sur son époque… le désir actuel d’un autre paradigme n’a jamais été aussi fort, mais la résistance du pouvoir et de l’argent ne le permettra pas de sitôt.

La quête d’absolu du Surfer d’Argent et sa souffrance sont décuplés par l’exil et par la haine ou l’ignorance brutale des hommes. Sa transformation en être cosmique a peut-être exacerbé cette aspiration à un ordre, à un équilibre de paix et d’harmonie, selon bien-sur le scénariste.

Ce personnage possède au plus haut point toutes les caractéristiques d’un Christ, d’un messie :
1/ le désir de liberté, d’absolu, de paix et d’harmonie.
2/ les capacités de guérison, de se nourrir d’énergie.
3/ le désir d’aider les humains, malgré la peur et la violence qui se retournent souvent contre lui.
4/ la transfiguration, c’est à dire le changement d’état – d’homme à être cosmique – changement réalisé par son sacrifice pour les êtres de sa planète.
5/ Il est ainsi devenu un être d’une autre dimension aux pouvoirs fantastiques.

Pour suivre la route d’un envoyé, d’un parfait ou d’un élu, il ne lui restait plus qu’a vivre la tentation comme Jésus, comme le Bouddha ou encore Krishna avec Mara, la tentatrice.
C’est ce que réalisa Stan Lee avec l’épisode de Méphisto. Stan Lee créa donc un diable particulièrement puissant et avide de s’emparer de l’âme du Surfer d’Argent. Sans succès bien sûr, comme il se doit !

Stan Lee a dû avoir du mal à inventer des adversaires à la mesure du Surfer d’Argent. Ce qui était la norme pour des comics faits pour des adolescents : c’est à dire les combats incessants entre méchants et super-héros, ne pouvait tenir longtemps pour un être « cosmique » comme celui-là. Ainsi le caractère christique du Héraut de Galactus se développa et se manifesta pars une considération pour les humains et pour l’avenir de la terre. Stan Lee – en pleine époque de la guerre froide – apporta sa pierre à l’opposition au nucléaire.

Un BD pour enfants et adolescents se fit l’apôtre de la paix,
de l’entente entre les hommes et de la sauvegarde de la terre.

Le sentiment d’exil de ce héros nous touche particulièrement.
Comment cela se fait-il ?

Là est la question…

Seul les poètes (ou votre cœur) ont la réponse ;
ainsi Alphonse de Lamartine dans ses Méditations poétiques, s’exprime ainsi : « -Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, -L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. »

L’autre interrogation porte sur le surf….
Stan Lee devait connaître le monde particulier du surf ou peut-être a t-il vu au cinéma le premier film à faire vraiment connaître le surf : "The endless summer" en 1966. Mais la philosophie du surf : faire corps avec la vague et se sentir vivre totalement dans l’instant, naîtra quelques années après.
Cette philosophie de l’instant vivant qui irrigue maintenant ce sport, et qui dépasse largement le concept de développement de soi, est totalement ancrée dans la dimension spirituelle.

Cette quête du spirituel qui amène chaque être devant l’instant vivant de la méditation, commence toujours par un choc, un manque… une aspiration à l’absolu… ou encore émane du sentiment de ne pas vraiment faire partie de ce monde.
Ainsi Stan Lee a fait naître un prophète moderne, souffrant d’un amour perdu et d’un isolement complet sur notre terre. Pourtant le surfer est porté par un invraisemblable engin qui lui permet de parcourir les galaxies, et aujourd’hui, permet à chacun de se sentir profondément relié au Vivant en équilibre parfait avec l’océan, dans la seule réalité, celle de l’Instant. Un paradoxe…

L'Aède