Légendes de l'Aède

Le joueur de flûte de Hamelin

Toutes les légendes ne sont pas « initiatiques », comme ce que pourrait faire envisager ce site, au premier abord.
Le sujet de ce site est de replacer les mythes et légendes dans la dimension du sacré, si c'est là leurs origines, et non simplement de souligner leur aspect psychologique ou éducatif. Les nombreuses pages sur les légendes merveilleuses dévoilent ainsi le contenu originel de ces contes qui est souvent fait pour aider à une compréhension intérieure, à un cheminement attentif dans un processus de connaissance de soi, avec pour but final la « révélation » de l’être véritable : la Lumière Consciente que nous sommes.
Bien sûr la majorité des légendes relatent des anecdotes, des histoires amusantes, des superstitions tirées de la vie quotidienne que l’on appelle « folklore » depuis le 19eme siècle.
Il existe également dans ces légendes un intérêt pour les mystères de la Nature et des animaux à travers les contes étiologiques qui tentent d’expliquer l’origine de certaines particularités physiques.
Il existe également un registre de contes éducatifs, comme les "Miroirs des princes" parus en Inde puis en Perse, et qui ont eut un grand succès. Ces fables qui nous amusent, mettent aussi en exergue certaines fâcheuses manies, ou pire, certains défauts égocentrique qui sont poussés jusqu’au sommet de leur « art » par certains personnages.
Après cette « entrée en matière » la légende que nous allons étudier ne semble pas être « initiatique », mais elle a néanmoins amplement de qualités pour nous conduire à une remise en question…


Peinture ancienne sur bois

"Le joueur de flûte de Hamelin" vient probablement d’un épisode historique qui s’est passé dans la cité de Hamelin, en Allemagne vers 1300. Un vitrail dans l’église de cette cité serait l’élément le plus probant pour situer cet événement, à cette époque, mais sans plus de précision sur cet épisode.
Une inscription trouvée dans la cité datant de 1602/1603, nous donne ces vers :
« En l’an 1284, le jour de Saints Jean et Paul
soit le 26 juin
Par un flûtiste tout de couleurs vêtu,
130 enfants nés à Hamelin furent séduits
Et perdus au lieu du calvaire près de Koppen »
« Koppen » signifie « collines » en français et cela pourrait signifier que ces enfants sont partis par derrière les collines entourant la ville.


Illustration tirée d'un livre pour enfant

Nous nous perdons en conjectures au sujet de cette histoire et les explications données ne nous éclairent pas vraiment.
Au sujet de la formation de cette légende !!!
Elle s’est sans doute créée autour des récits qui ont circulé au cours des siècles, depuis la même époque, puisque la première mention est datée de 1440. Un antiquaire anglais d’ascendance flamande relate cet épisode dans un ouvrage en 1605.
Les frères Grimm parlent de onze sources dans lesquelles ils ont puisé cette histoire, et l’ont relaté dans leurs recueil de « Légendes Allemandes » en 1816.


Illustration tirée d'un livre pour enfant

Mais voici le récit - légèrement écourté - de cette histoire sous la plume de Prosper Mérimée, écrit en 1829, dans son ouvrage : "Chronique du temps de Charles IX"  :
« Il y a bien des années, les gens de Hamelin furent tourmentés par une multitude innombrable de rats qui venaient du Nord, par troupes si épaisses que la terre en était toute noire, et qu’un charretier n’aurait pas osé faire traverser à ses chevaux un chemin où ces animaux défilaient. Tout était dévoré en moins de rien. Souricières, ratières, pièges, poison étaient inutiles. On avait fait venir de Bremen un bateau chargé de onze cents chats ; mais rien n’y faisait. Pour mille qu’on en tuait, il en revenait dix mille, et plus affamés que les premiers. Bref, s’il n’était venu remède à ce fléau, pas un grain de blé ne fût resté dans Hamelin, et tous les habitants seraient morts de faim.
Voilà qu’un certain vendredi se présente devant le bourgmestre de la ville un grand homme, basané, sec, grands yeux, bouche fendue jusqu’aux oreilles, habillé d’un pourpoint rouge, avec un chapeau pointu, de grandes culottes garnies de rubans, des bas gris et des souliers avec des rosettes couleur de feu. Il avait un petit sac de peau au côté. Il offrit au bourgmestre, moyennant cent ducats, de délivrer la ville du fléau qui la désolait. Vous pensez bien que le bourgmestre et les bourgeois y topèrent d’abord.
Aussitôt l’étranger tira de son sac une flûte de bronze ; et, s’étant planté sur la place du marché, devant l’église, mais en lui tournant le dos, notez bien, il commença à jouer un air étrange, et tel que jamais flûteur allemand n’en a joué. Voilà qu’en entendant cet air, de tous les greniers, de tous les trous de murs, de dessous les chevrons et les tuiles des toits, rats et souris, par centaines, par milliers, accoururent à lui. L’étranger, toujours flûtant, s’achemina vers le Weser ; et là, ayant tiré ses chausses, il entra dans l’eau suivi de tous les rats de Hamelin, qui furent aussitôt noyés. Ainsi la ville en fut purgée.


Illustration tirée d'un livre pour enfant

Mais, quand l’étranger se présenta à l’hôtel de ville pour toucher la récompense promise, le bourgmestre et les bourgeois, réfléchissant qu’ils n’avaient plus rien à craindre des rats, et s’imaginant qu’ils auraient bon marché d’un homme sans protecteurs, n’eurent pas honte de lui offrir dix ducats, au lieu des cent qu’ils avaient promis. L’étranger réclama : on le renvoya bien loin. Il menaça alors de se faire payer plus cher s’ils ne maintenaient leur marché au pied de la lettre.
Les bourgeois firent de grands éclats de rire à cette menace, et le mirent à la porte de l’hôtel de ville.
Le vendredi suivant, à l’heure de midi, l’étranger reparut sur la place du marché, mais cette fois avec un chapeau de couleur pourpre, retroussé d’une façon toute bizarre. Il tira de son sac une flûte bien différente de la première et, dès qu’il eut commencé d’en jouer, tous les garçons de la ville, depuis six jusqu’à quinze ans, le suivirent et sortirent de la ville avec lui. Ils le suivirent jusqu’à la montagne de Koppenberg, auprès d’une caverne qui est maintenant bouchée. Le joueur de flûte entra dans la caverne et tous les enfants avec lui. On entendit quelque temps le son de la flûte ; il diminua peu à peu. Enfin on n’entendit plus rien. Les enfants avaient disparu, et depuis lors on n’en eut jamais de nouvelles. »


Illustration tirée d'un livre pour enfant

Maintenant quel est le sens de ce conte ?
Nous n’allons pas aller dans le sens psychanalytique d’une interprétation des rats comme celle de : « pulsions anales » subjuguées par la musique du joueur de flûte. Personnellement les « théories » freudiennes me semblent être une belle ânerie sortie d’un mental agité.
Je préfère les « archétypes » de C G Jung, que je trouve plus en accord avec les « idéaux » de Socrate.
Mais pour ce qui est du "Joueur de flûte", il semble bien que nous ayons affaire à un récit anecdotique – en admettant qu’il y ait un réel fait historique – qui s’est transformé en fable.
Dans ce cas, les rats se trouvent en accord avec l’avidité, la rapacité, la concupiscence, la gloutonnerie, la noirceur égocentrique des bourgeois décrits dans ce récit. Il est d’ailleurs étrange qu’une espèce de rat : le rats brun soit arrivée en Europe à la fin du Moyen-Age, ce qui concorde avec l’origine de notre épisode. Ce rat nous est très semblable : il est très curieux, omnivore et adore notre compagnie, car il peut profiter de tous nos déchets et accessoirement de nos vivres. Il a aussi un comportement très hiérarchisé avec certains codes de conduite : la parfaite image d’une société semblable à la nôtre.


Illustration tirée d'un livre pour enfant

Il est plus vraisemblable que les « idéaux » élevés de l’homme poussent celui-ci à regarder comme inacceptable à quelque époque que ce soit, ce qui expliquerait ce récit, les comportements outranciers de nos dirigeants politiques ou religieux.
Cette Fable est bien de toute les époques : ainsi à notre époque contemporaine les « lobbies » ont amplement remplacé le pouvoir des religieux et emploient exactement les mêmes méthodes d’influences.
Ces rats sont donc bien à l’image de nos « bourgeois » : au service d’une société asservissant l’homme, en lui faisant miroiter des « nourritures » toujours plus belles, en accentuant ses désirs les plus matériels et en l’enchaînant à l’idéologie illusoire d’un bonheur de consommateur.
Que représente les enfants dans cette fable ? Il n’est pas besoin encore une fois de « théories psychanalytiques » pour comprendre cela.
Nos enfants sont « Notre avenir », le fruit que nous laissons derrière nous ; et par conséquent, l’assurance d’une société pérenne qui fait que les hommes peuvent vivre libre et en accord les uns avec les autres.
La rapacité et l’avidité mis en exergue par un célèbre économiste américain, nous envahissent comme les rats du conte et comme la morale de ce récit, détruisent notre avenir. Est-il besoin d’être devin pour voir cela ?


Illustration tirée d'un livre pour enfant

Vous voyez que cette fable est toujours actuelle…
Le joueur de flûte venant dune autre contrée est-il la solution ?
Certains attendent bien les extraterrestres, espérant qu’ils mettrons un peu d’ordre dans notre « bazar ».
Quelques uns ont vu « le diable » dans cette figure, mais il semble que le contrat convenu a été plutôt rompu par les avaricieux bourgeois… Le personnage du flûtiste est en fait très droit, respectueux de l’accord. Un oriental dirait qu’il illustre bien le « karma » la rétribution des actes commis…
Les anciens grecs avaient mis l’Homme au milieu de la cité, avec l’idée d’une société de citoyens libres et autonomes ayant des valeurs morales communes.
Ou sont ces valeurs dans notre société ?
Ou est la droiture de l’homme ?
Selon Socrate, l’homme doit surtout devenir conscient de lui-même, c’est la seule garantie de sa liberté, au milieu de ses frères humain.
Sans respect de l’être humain, sans respect de notre Etre intérieur, notre « avenir » s’évanouira bien loin par dessus les monts et vallées.

L'Aède