Légendes de l'Aède

Les 2 frères

Le conte des deux Egyptiens


Le conte des deux frères date du règne de Séthi II, pharaon de la XIXe dynastie au XIIe siècle avant notre ère, l’époque du Nouvel Empire. Cette histoire a donc plus de trois mille ans, et c’est le premier "roman" de l’Egypte ancienne qui fut édité en Europe en 1860 et ainsi connu du grand public. Le manuscrit de ce conte, acheté par madame Élisabeth d’Orbiney, fut vendu au British Museum en 1857, et il est maintenant appelé : le papyrus d'Orbiney.
Ce conte a été très étudié, en particulier par François Schuler dans son ouvrage "Le conte des deux frères", suivi de "Le mari trompé" aux éditions José Corti. Nous allons – après le conte – en souligné les éléments les plus frappants et tenter de percevoir en dehors des aspects psychologiques la pensée des anciens égyptiens, car, comme le souligne Mr Schuler la similitude avec la confrontation d’Osiris et Seth est intéressante.
Il existe deux versions sur Internet : nous avons choisis celle de Wikipédia que nous allons légèrement retouchée avec la version de F Schuler et celle d’un site très intéressant: La balance des 2 terres ou vous trouverez d’autres informations.


photo des champs en Egypte

Voici ce conte…
Il était une fois deux frères nés du même père et de la même mère : Anubis et Bata. L'aîné Anubis (Anoupou est son vrai nom égyptien) héberge son frère cadet Bata (Baîti serait la graphie égyptienne) et est marié avec une femme qui n’est pas nommée dans le texte. Le couple vit avec Bata dans une ferme. Le frère cadet est un jeune homme vigoureux et travailleur. Il n’a pas son pareil dans la terre entière car le germe de tout dieux est en lui. Serviteur efficace de son aîné, il s'occupe de tous les travaux de la ferme. Il tisse les vêtements, garde les bovins dans les prés, laboure les champs et bat les récoltes. Chaque jour Bata dépose devant Anubis et sa femme les produits agricoles. En échange, Bata reçoit un peu de nourriture, qu'il mange dans l'étable avec les vaches. Proche de ses bêtes, Bata dort avec elles.
Il est aussi capable de leur parler. Sur les conseils de ses vaches, Bata trouve les meilleurs prés. Ses vaches deviennent belles et grasses, et mettent bas de nombreux veaux ; ainsi l'abondance règne dans la ferme.


Fresque antique du travail aux champs

La saison des labours arrive, et les deux frères travaillent aux champs. Mais bientôt, il n’ont plus assez de semences, alors Anubis ordonne à Bata de courir au village chercher de nouvelles graines. Bata court vers la ferme et demande à l'épouse d'Anubis de lui donner les semences. L'épouse occupée à sa coiffure dit à Bata de se servir dans le grenier et de prendre autant de grains qu'il lui plaira. Bata prend alors une grande jarre car il veut emporter une grande quantité de semence. En sortant du grenier, Bata croise l'épouse d'Anubis.
Cette dernière est émerveillée par sa force car il porte une lourde charge sur ses épaules, l'équivalent de trois sacs d'orge et de deux sacs de froment. Devant la grande vigueur de Bata, l'épouse ressent du désir amoureux et lui propose de passer une heure ensemble. Mais Bata se met en colère et rejette ses avances. Il veut rester fidèle à son frère Anubis, qu'il respecte comme un père.
Bata retourne à ses travaux d'ensemencement et ne dit rien à son frère de cette mésaventure.


photo des champs en Egypte

Le soir venu Bata mène le bétail à l'étable et Anubis rentre chez lui auprès de sa femme. Mais la maison est plongée dans le noir. La lumière est éteinte et le repas du soir n'est pas préparé. Dans la crainte d'une dénonciation, l'épouse qui a été prise de désir, dans sa panique, s'est enduite de graisse et de suif pour faire croire qu'elle a été battue. La femme dit à Anubis que Bata a voulu la séduire mais que devant son refus, il l'a battue. Elle ajoute que si Anubis permet à Bata de ggcontinuer à vivre, elle se tuera avant que ce dernier ne s'en prenne à elle.
Croyant les dires mensongers de son épouse, Anubis se met en colère et devient cruel comme un guépard. Il aiguise la lame de son arme et se rend vers l'étable pour tuer son frère. Bata sur le chemin du retour au coucher du soleil, est prévenu par sa vache de tête que son frère l’attend avec un couteau pour le tuer. Sa deuxième vache le met en garde également. Bata s'enfuit avec Anubis à ses trousses. Bata prend à témoin Rê-Horakhty, le juge qui sait voir le vrai et le faux.
- Oh Maître. tu est celui qui sépare le coupable de l’innocent.
Le dieu entend les plaintes de Bata, et pour le sauver d'Anubis, il crée une grande étendue d'eau infestée de crocodiles. Chaque frère se trouvant maintenant séparés chacun sur l'une des deux rives. Anubis ne peut traverser. Bata de son côté crie à son frère son innocence.
- Reste là jusqu’à ce que la terre blanchisse. Quand le disque du soleil se lèvera, je serait jugé avec toi en face de lui, et il décidera qui est coupable et qui est innocent. Je ne serai plus jamais avec toi, je ne serai plus dans les lieux où tu seras. J’irai dans la Vallée de l’Acacia !  Au lever du jour, sous le regard de Rê, Bata se justifie auprès de son frère. Il rappelle à Anubis les liens qu’ils ont ensemble.
- tu est comme un père pour moi, et ta femme est comme une mère. Comment aurais-je pu fauter avec elle… C’est elle qui m’a dit « viens, passons une heure ensemble ». Ta femme t’a menti, et toi, le poignard en main, tu es venu derrière moi pour me tuer.
Et pour souligner sa sincérité, il se trancha le membre et le jeta dans l'eau, où un silure le dévora. Éprouvant une grande faiblesse, il s’évanouit.
Le grand frère en maudit son cœur, et il resta là à pleurer sur lui. Il s’élança, mais il ne put passer sur la rive où était son frère cadet, à cause des crocodiles. Son frère cadet le héla à nouveau.
- Ainsi, tandis que tu pensait à une action mauvaise de ma part, tu ne t’es pas souvenu des bonnes actions que j’ai faites pour toi ! Ah ! va-t’en à ta maison, et prend soins toi-même de tes bêtes, car je ne demeurerai plus à l’endroit où tu es, j’irai au Val de l’Acacia. Or, voici ce que tu feras pour moi, si des malheurs doivent m’arriver. Je vais arracher mon cœur et le placer sur la fleur de l’Acacia, tout à son sommet; et, lorsqu’on coupera l’Acacia et que mon cœur sera tombé à terre, tu viendras le chercher. Quand tu passerais sept années à le chercher, que cela ne te repousse pas, et une fois que tu l’auras trouvé, mets-le dans un vase d’eau fraîche. Ainsi je vivrai de nouveau et je pourrai me venger de celui qui m’aura fait du mal. Tu sauras qu’il m’est arrivé quelque chose lorsqu’on te mettra une cruche de bière dans la main et qu’elle fera de l’écume et débordera, ensuite on te donnera une cruche de vin et le vin se troublera.
Après ce discours, Bata s’en alla loin, très loin, au Val de l’Acacia.
Anubis, maintenant persuadé de l'innocence de Bata, adopte une attitude de deuil. De retour chez lui, il tue son épouse et jette le corps aux chiens.


Fresque antique du travail aux champs

En attendant ce jour funeste, Bata se construit une maison dans la vallée de l'Acacia, tout en vivant des produits de la chasse.
Un jour l'Ennéade vient à sa rencontre. Face à la solitude de Bata, les dieux ordonnent à Khnoum de lui façonner une épouse. D'une beauté merveilleuse, cette femme porte ainsi en elle une parcelle de chaque dieu. Cependant, les sept Hathor lui prédisent une destinée funeste avec une vie abrégée par la violence. Devant la beauté de la femme, Bata tombe amoureux d'elle et lui confie le secret de la fleur.
Avant de partir à la chasse, il lui dit :
- Ne sors pas dehors, car la mer(2) pourrait te prendre…
Le dieu de la mer s'est épris lui aussi de la femme de Bata créée par les dieux de l’Ennéade. Il ordonne à l'acacia de s'emparer d'elle. Mais il ne réussit qu'à lui arracher une mèche de ses cheveux. L'eau emporte cette tresse jusqu'à la rive qui borde la blanchisserie du palais de Pharaon.
L'odeur divine de la tresse imprègne l'eau et les vêtements de Pharaon s'en trouvent couverts. Cette odeur délicate cause un grand trouble dans le palais ; le blanchisseur est accablé de reproches car il n'en connaît pas l'origine. Il se rend au bord de l'eau. Là, il trouve la tresse de cheveux parfumée puis l'apporte à Pharaon. Les mages royaux sont appelés et ils annoncent à Pharaon que cette tresse appartient à une fille de Rê-Horakhty et qu’elle est actuellement la femme de Bata. Aussitôt, Pharaon envoie ses hommes vers la vallée des acacias et la femme née de l’Ennéade. Mais Bata les tue. Pour le vaincre, Pharaon décide alors d'envoyer toute une armée. Finalement, on amène la femme de Bata au souverain qui, sous le charme, accepte toutes les volontés de cette nouvelle reine. Trahissant Bata, elle révèle à Pharaon le secret de la vie de son mari. Celui-ci fait alors couper l'acacia, la fleur renfermant le cœur tombe à terre et Bata succombe, mort.


Bas relief de l'Egypte antique

Le jour suivant, alors que le grand frère de Bata, entre dans sa maison et s’assoie, on lui donne une cruche de bière et elle déborde ; on lui en donne une autre de vin et elle se trouble. Il saisit son bâton avec ses sandales et ses armes, et se met à marcher vers la vallée de l’Acacia, il entre dans le domaine de son frère cadet, et il trouve son frère, mort. Il pleure, mais ensuite il va chercher le cœur de son frère cadet sous l’Acacia comme son frère lui avait dit. Il passe trois années à le chercher sans le trouver. Et il entamait la quatrième année, lorsque, son cœur désirant revenir en Égypte, il dit : « Je partirai demain ».
Et le lendemain, alors qu’il regarde autour de lui pour chercher de nouveau, il trouve une graine : c’était le cœur de son frère cadet. Il apporte une tasse d’eau fraîche, il l’y jette. Lorsque vint la nuit, le cœur ayant absorbé l’eau, le corps de Bata tressaillit de tous ses membres, et il se met à regarder fixement son grand frère, tandis que son cœur était dans la tasse. Anubis saisit la tasse d’eau fraîche où le cœur se trouve et le fait boire à son frère et Bata redevient comme autrefois. Les deux frères tombent dans les bras l’un de l’autre, et bientôt Bata dit à son frère : -  Voici, je vais devenir un grand taureau comme il n’y en a jamais eu sur la terre. Toi, assieds-toi sur mon dos quand le soleil se lèvera, et nous irons au lieu où est ma femme. Toi donc, conduis-moi, et on te chargera d’argent et d’or pour m’avoir amené à Pharaon.
Bata prend alors la forme d'un magnifique taureau et après de nombreux jours, arrive devant sa femme et le pharaon.


Bas relief de l'Egypte antique

Bata transformé en taureau, s’approche de la favorite du pharaon et se met à lui parler : - - Vois, je vis toujours ».
Elle lui dit :   - Toi, qui es-tu donc ? 
Il lui répond : - Moi, je suis Bata. Tu savais bien, quand tu a fait abattre l’Acacia par Pharaon, que je mourrais ; mais pourtant, vois, je suis devenu un puissant taureau.
La femme prend peur et, consciente de la présence de Bata transformé en taureau, elle implore Pharaon de manger son foie.
Le taureau est sacrifié, mais deux gouttes de son sang tombent sur le sol, de chaque coté de la grande porte de pharaon. De ces gouttes de sang, poussent deux grands perséas de toute beauté. La cour de pharaon se réjouit de ce prodige, et on leur fait des offrandes. On dresse deux fauteuils royaux sous les deux arbres et pharaon et sa favorite s’assoient chacun sous un arbre.
Bata, sous la forme d'un perséa, s'adresse à nouveau à sa femme. - Ah ! perfide ! Je suis Bata et je vis, malgré que je soie maltraité par toi. Tu savais bien que faire couper l’Acacia par Pharaon, c’était me mettre à mort.
Alors quelques jours plus tard, elle fait de nouveau appel à Pharaon. Elle lui dit :   - Fais qu’on abatte ces deux perséas, pour m’en fabriquer deux beaux coffres !  Bientôt, la favorite de pharaon se tient devant les charpentiers, mais un copeau s’envole, et entre dans la bouche de la perfide.
Après de nombreux jours, elle met au monde un enfant mâle. On l’apporte à pharaon qui le désigne comme prince héritier, puis lui donne des nourrices. On se réjouit dans la Terre-Entière, et se sont des jours de fête qui commencent.
Le prince héritier est bien sûr une réincarnation de Bata. Après plusieurs années en tant que prince héritier de la Terre d’Egypte, le pharaon son père, s’envole vers le Ciel.
Bata règne maintenant en maître et dit :
- Qu’on m’amène les grands officiers, que je leur fasse connaître tout ce qui s’est passé à mon sujet. Après avoir décrit ses tribulations, Bata demande qu’on lui amène sa femme. Il la juge devant les grands officiers, et ils ratifient son jugement. On lui amene son grand frère, et il le fait prince héritier de sa Terre-Entière. Il fut vingt ans roi d’Égypte, puis il passa de vie à trépas, et Anubis le remplaça le jour des funérailles.


Fresque de l'Egypte antique

Nous n’allons pas faire d’analyse psychologique de ce conte, car il en existe déjà beaucoup, mais ce qui nous intéresse, c’est d’appréhender l’Esprit de l’Egypte antique. Examinons les principaux éléments du conte.
Nous trouvons d’abord sans équivoque les thèmes suivants :
1/ Le Désir et la Jalousie. Ces deux sentiments construisent la trame des évènements.
Mais l’autre point central est le lien entre les deux frères, qui se déclare comme :
2/ Une dualité. Mr Schuler a bien noté les ressemblances avec le conflit entre Osiris et Seth. Il semble que ce thème soit intrinsèque à l’Egypte ancienne, et c’est justement cet aspect qui nous intéresse.
Le troisième point est :
3/ La vengeance. Qui vient tout naturellement après le conflit issu de la jalousie et du désir. Nous trouvons ici un thème très humain…
Ensuite vient le moyen pour parvenir à retourner une situation et dans le conte, ce sont:
4/ Les différentes transformations. Ces transformations successives auront beaucoup de succès par la suite, dans les contes et légendes d’Europe et d’Asie.


Les dieux de l’Egypte interviennent dans le conte, mais ils ne sont pas les personnages principaux dans le récit.
Le conte porte bien son titre puisque le thème principal est le conflit ou la différence entre les frères, car le conte le dit dès le début, le frère cadet « n’a pas son pareil dans la terre entière, car le germe de tous les dieux est en lui ». Ce n’est donc pas le cas d’Anubis. Et c’est cette exception qui produit le désir d’adultère chez sa belle-sœur. Une simple analyse psychologique aurait pris le thème du désir et de la jalousie, comme allant de soi, comme le moteur du conte. Mais ce sont là simplement – selon nous - des « astuces » narratives pour glorifier, par le conte, la splendeur de quelqu’un qui porte en lui « le germe de tout dieu ».
Cette « particularité » inclue les pouvoirs magiques de transformation, et de résurrection. Ce conte n’a donc pas pour but un banal conflit familial, comme cela sera le cas dans les nombreuses variantes qui suivront ensuite dans de nombreux pays.


Photo du Nil

Quel est le message effectif de ce récit ?
1/ Le fait que le désir est fort chez la femme ?
Un être faible, selon les anciens égyptiens ?
Cela ne semble pas réaliste pour cette époque, car la femme dès le début de l’Egypte pharaonique était au même niveau que l’homme, avait la commande du foyer au même titre que le mari. L’équilibre des sexes en Egypte antique était plus grand qu’aujourd’hui. Mais les désirs, la jalousie et la colère sont partagés par tous, dans toutes les civilisations. Ce qui aboutit à des histoires excentriques aux multiples variations hier comme aujourd’hui. Ou…
2/ Le fait que l’homme portant un germe des dieux en lui, arrive malgré tout et même à travers la mort, à retrouver sa place auprès des dieux comme pharaon ?
Reposons la question autrement :
Qu’est-ce qui émerveillaient les anciens égyptiens dans ce conte ?
C’est certainement le fait d’accéder à la condition royale pour un paysan, qui pouvait émouvoir les gens du commun.
Mais en fait, il était naturel que le porteur de germe divin, devienne un être divin resplendissant sur terre, même s’il est né, travailleur dans le limon du Nil.
L’autre élément essentiel à ce conte est le conflit entre deux frères, décrits comme de nature différente. Et ici, nous touchons à un concept primordial pour l’Egypte ancienne et que nous trouvons dans le mythe de Seth et d’Osiris, mais également dans toute la structure du pays : c’est cet équilibre qui existe entre l’ombre et la lumière, entre l’ordre et le chaos, entre le don du Nil débordant annuellement et apportant la vie, et les périodes de sécheresse. Entre la vie qui est un don du fleuve et le désert, entre l’occident et l’orient, etc…
Cet élément est différent de notre concept du bien et du mal, issu de la religion Judéo-Chrétienne.
Il s’agit ici d’un concept d’équilibre.
Et nous allons l’explorer avec d’autres symboles, comme le Sema-Taouy, dans un autre article….


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