Le Trikster

le Trikster ou Décepteur en Français,
est très attachant, qu’il soit coyote ou corbeau, son effronterie est proverbiale, cela ne l’empêche pas de donner des leçons aux plus savants, lors de ces aventures.
La stature du Trikster est semblable au dieu Janus : il possède deux faces, celle d’un farceur, d’un railleur de l’humanité toujours en quête d’un mauvais coup et puis, il incarne également la figure d’un créateur, d’un héros civilisateur.

Difficile de cerner ce gaillard, il est, ni noir ni blanc dans ses équipées, il peut rendre service à l’humanité en apportant le feu ou en allant chercher le soleil et il peut être le plus agaçant des farfelus. Rarement mauvais, il est des fois franchement nuisible, et dans tous les cas, profondément caustique à l’égard des humains.
Si le Trikster est figuré par un corbeau chez les Inuit et les peuplades du grand nord, le coyote est sans conteste le symbole le plus couramment représenté. Ces deux animaux sont très intelligents, c’est peut-être pour cela qu’ils ont été pris comme représentation de ce personnage mythique atypique, mais d’autres animaux peuvent également endosser ce rôle, comme le lapin ou l’opossum, alors…

Que représente le Trikster ou Décepteur pour les nombreuses nations ancestrales d’Amérique du Nord ?
Examinons les attitudes du Trikster : il peut être franchement paillard, sans aucune morale, sournois, menteur, voleur, toujours à la recherche du prochain mauvais coup à effectuer. Il peut se transformer pour réaliser ses méfaits et prendre l’apparence d’hommes ou d’animaux, et bien d’autres actions encore. Les indiens se méfient de lui, comme de la peste, car il est la cause de nombreux conflits, et d’histoires d’enlèvement de femmes qu’il épousent, jusqu'à ce que lassé, il les abandonnent pour partir vers d’autres aventures. Très intelligent, il lui arrive parfois de tomber sur un autre personnage qui arrive à le gruger, ou bien, infatué de lui-même glisser de bêtises en bêtises.
Voila un rôle de comique que l’industrie du cinéma connaît bien. C’est sans aucun doute une facette de l’homme que l’occidental n’aime pas montrer, en rire oui, mais seulement quand l’acteur de ces aventures est quelqu’un d’autres.
Si ce personnage était seulement mauvais, il n’aurait pas cette dimension, mais voilà le Trikster peut aussi être bénéfique, enfin presque, car il y a souvent un « retour » à ces actions. Il n’empêche que celui-ci peut apporter le feu à l’humanité, qu’il a volé auparavant à quelque force surnaturelle ou encore créer le monde ou faire surgir la terre du fond des eaux, etc.
Le Trikster a donc également une potentialité divine pour les indiens, car il possède des pouvoirs extraordinaires et n’a pas peur de se mesurer aux dieux ou à des monstres effrayants. C’est sans doute pour cela que dans ses histoires, ce personnage n’est pas tué ou pourchassé par les indiens, et être abattus parce que véritablement malfaisant.
Nous pourrions considérer que ce personnage permet de ne rien prendre vraiment au sérieux. Sur un plan psychologique, à travers ses nombreuses aventures, le concept qu’induit ce personnage permettrait d’avoir le recul nécessaire pour regarder en face les difficultés de l’existence, ainsi que les différentes attitudes de l’homme, les sentiments, les désirs qui peuvent lui jouer tellement de tours.
Dans une société très ritualisée ou repliée sur elle-même, comme cela peut-être le cas dans des situations difficiles, en hiver par exemple, le rôle du Décepteur serait une magnifique soupape de sûreté….

Je pensais que le Trikster si semblable certaines fois au héros civilisateur, était un reflet de celui-ci, permettant de concevoir dans un cheminement initiatique un détachement personnel de sa propre quête spirituelle. La volonté d’action inhérente à l’ego, à l’intérieur d’une voie spirituelle, oblige régulièrement l’initié à se remettre en cause, à condition d’avoir clairement en image le symbole pur de la quête et - à l’opposé - l’idéalité construite par ses propres circonvolutions mentales.
Le rôle du Décepteur peut permettre le décalage nécessaire dans ses conceptions de l’initiation et de ses phases. Ce pourrait être une image éducative enseignée lors des schémas d’initiation, amenant la conscience à une écoute de ses pensées et de ses constructions personnelles qui se superposent toujours à un vécu intérieur quotidien réellement spirituel.
Cela n’est pas forcément en contradiction avec ce qui va suivre…

Il me semble maintenant que le Trikster est pour les peuples d’Amérique du Nord, une forme symbolique de concept d’équilibre : il participe à la création et est également continuellement actif dans notre monde quotidien. La raison qui m’a amené à cette idée, c’est la lecture d’un ouvrage : « le livre des indiens Navajos » écrit par Paul G.Zolbrod, aux Editions du Rocher, 1992.
Contrairement aux nombreux livres de légendes indiennes que j’ai lus auparavant celui ci raconte de manière détailllé la totalité du mythe de création. Le travail de Mr Zolbrod est considérable car il a su rassembler les différents textes de cette peuplade. Cet ouvrage est comparable au livre du hopis, que j’ai lu il y a très longtemps, intéressons nous maintenant à l’originalité du coyote dans la nation Navajo.»

Le livre des Indiens Navajos relate l’ascension des ancêtres des hommes à travers quatre mondes et dans celui naît grâce aux dieux, première femme et premier homme. Le peuple humain, se développa grâce aux être divin, mais c’est première femme qui créa le premier vagin et le premier pénis car elle voulait que les liens des hommes et des femmes soit renforcés. C’est à ce moment là que naît le Trikster, car le ciel voulut voir comment étaient fait ses deux sexes et il se pencha tellement qu’il toucha la terre : ainsi surgit du sol le coyote. Pour sa première manifestation, après avoir vu les organes génitaux d’un garçon et d’une fille, le coyote trouva qu’ils seraient plus jolis avec quelques poils de son museau : ce qui fut fait.
Le Trikster naît donc du désir de voir ces deux aspects de la dualité, et il crée également un état plus complexe du désir…
Plus loin dans le récit un grand conflit surgit entre les femmes et les hommes, et ils se séparèrent, chacun d’un coté d’un fleuve. Le peuple humain expérimenta le manque de rapports sexuels et le désir qu’il peut faire naître, cela aura des conséquences dans la suite de l’évolution du peuple Navajo. Une heureuse réunification des sexes eut bientôt lieu : les femmes traversèrent le fleuve et retrouvèrent leurs maris. Mais le dieu du fleuve avait volé deux vierges au passage et une délégation partit les demander à cette puissance élémentale. C’est là qu’intervient la deuxième action du coyote : quand les humains repartirent avec les deux filles, le Trikster vola les deux enfants du dieu du fleuve. Cet acte eut pour conséquence la colère du dieu qui gonfla ses eaux jusqu’à submerger le quatrième monde. La nation se réfugia donc dans le cinquième monde, mais la colère du dieu fleuve allait ici aussi les suivre, toutefois « premier homme » découvrit le vol du coyote et rendit au fleuve ses enfants.
Ici une phase importante de l’évolution du peuple Navajo fut accomplie par l’acte négatif du Trikster. Le Coyote eut d’autres aventures dans ce cinquième monde qui sera celui de l’épanouissement des hommes, et il continua à côtoyer longtemps les Navajos.

Pour les Indiens le Coyote est donc le fils du ciel et il est semeur de désordre.
Certains spécialistes classent le Trikster dans la partie la plus basse de l’échelle éthique des héros, car ses actes sont souvent malheureux. Mais notre conception du monde à nous autres occidentaux est trop entachée de la notion dualiste du bien et du mal. Notre culture judéo-chrétienne est trop radicale et de ce fait est souvent une source d’incompréhension pour des peuples ayant une éducation basé sur d’autres concepts primordiaux.
Si le Trikster est synonyme de désordre, il est aussi nécessaire au bon équilibre d’une civilisation, sinon l’entropie serait structurellement inévitable et sonnerait la fin de toutes choses.
Dans leurs mythes les Navajos racontent une autre histoire : un héros, fils du soleil se donne pour tâche de détruire les monstres épouvantables qui déciment sa nation. Il y réussit très bien mais devant « la vieille qui donne la vieillesse, » il finit par décider qu’il était plus sage de la laisser vivre, parce qu’il était nécessaire que les hommes finissent par mourir et laissent la place à d’autres. Ensuite selon le même schéma le héros eut une autre rencontre et avec « la femme du gel » prit la même décision, car ce personnage était également utile et nécessaire. Il renouvela son acte avec les « créatures de la pauvreté » et avec « l’homme de la faim » car rien ne doit durer, afin de laisser la place à de nouvelles vies et à de nouvelles expériences.

Cette sagesse est très loin de notre « monde » que nos conceptions occidentales auront bientôt épuisé…
je ne prêche pas pour une « meilleure » culture qui puisse remplacer la nôtre, mais seulement pour un autre regard sur nous même et nos actes.
A la lueur des exploits du fils du soleil, l’aspect « désordre » du Trikster prend un tour moins négatif et ses actions semblent participer à l’ordre naturel des choses. Si le Trikster : désir impulsif pouvant mener aux conflits et aux désordres de toutes sortes, est tellement présent dans notre vie, c’est qu’il est indispensable pour la grande aventure de la conscience humaine.

La vie est mouvement et si ce mouvement s’arrête, nous savons très bien que cela signifie la fin de notre existence, aussi avons nous besoin d’un élément qui permette de relancer l’animation perpétuelle… Notre vie existe dans le courant continu du champ d’énergie exponentiel du cosmos, (peut-être ce que certains nomme « DIEU »). Notre monde matériel (et intime) est menacé par une structuration de plus en plus complexe qui conduit finalement à l’inertie, et pour relancer le processus de la vie, il semble qu’une action impulsive désordonnée soit quelques fois idéal……

L'Aède

Vous pouvez découvrir les aventures du Trikster dans beaucoup de livres de légendes Indiennes, mais un ouvrage lui à été dédié celui de Richard Erdoes et Alfonso Ortiz : « et coyote créa le monde » édition ALBIN MICHEL, 2000.
Quelques photos de mon Chow-chow se sont égarées sur cet article.... ainsi qu'un ami à lui, plus à l'aise dans l'eau.