La connaissance de soi
Y a t-il un élément déclencheur à une quête spirituelle ?
Examinons cela à l'aide des légendes.
1 - L'appel
Une légende merveilleuse avec toutes ses péripéties, est comme un voyage, où il nous arrive de nombreuses rencontres, plaisantes ou désagréables, et où nous sommes obligés de vivre des situations que nous rencontrons rarement dans notre vie bien ordonnée. Ce sont ces rencontres peu communes, dérangeantes et intrigantes, qui interpellent notre intelligence. Laissons ces interrogations ouvrir notre conscience et avec un regard plus vif sur ces événements fortuits, que cela puisse nous permettre de sonder notre structure interne profonde.
Les contes initiatiques sont une image de ces « voyages intérieurs » que chaque personne en quête de sa véritable essence, mène à un moment clé de son existence. Mais ce voyage intérieur présente plusieurs phases distinctes comme les différentes étapes que le pèlerin vit au fur et à mesure de son périple. Ce sont ces séquences imagées par les contes et les légendes que nous allons présenter dans les pages qui vont suivre.
La soif de connaissance de soi est déclenchée par un phénomène particulier : l’interpellation profonde qui fait suite à un choc causé par une injustice, un "manque" de quelque chose, un "vide" dirions nous maintenant, ou bien par un désir irrésistible d’absolu ou d’appel à la complétude.
Dans les contes, ces éléments déclencheurs sont illustrés par la pulsion incitant à partir à la recherche d’un trésor, d’un remède, d’une jeune fille emportée par un monstre épouvantable, ou par le désir de recouvrer sa royauté, comme le jeune Jason qui part finalement en quête de la toison d’or.
Cet élément déclencheur est essentiel à toutes les aventures et à toutes les quêtes de connaissance de soi. En fait, il est fondamental pour la personne en recherche de soi, de reconnaître, de « voir » véritablement cette pulsion intérieure souvent inconsciente, et vite oubliée, recouverte par les multiples expériences du chemin. La coloration du personnage central qui part en quête – sa posture humble, serviable ou guerrière déterminant sa personnalité - et l’élément déclencheur – manque ou désir (distinction subtile) - déterminent le sens du récit fantaisiste qui suivra. Ces deux composantes sont les deux clés qui ouvriront un chemin particulier ; ce sont les bases d’une initiation (propre à un état donné) selon une trame personnelle, dans un milieu aux lois particulières qu’il faudra conscientiser.
Dans le conte : "La bête à sept têtes" de Claude Seignolle nous trouvons cette entrée en matière :
Il était une fois, en Charente, très loin au bord de l’Atlantique, une pauvre famille de pécheurs. La mère toujours malade, ne quittait guère son lit. Et chaque matin, elle disait au père : « Je crois que je guérirais si tu me rapportais le roi des poissons. » Traînant ses filets, l’homme partit pour la mer et pêcha inlassablement.
Si nous considérons que les personnages dans un conte initiatique, sont des éléments de la psyché à reconnaître, l’homme et la femme dans cette histoire, illustrent la pauvreté et la maladie. C’est la prise en compte de ces deux éléments conjoints qui déclenche l’aventure. Le désir de sortir de cet état est le produit de cette compréhension et c’est l’élément déclencheur, pour cette forme narrative.
Ces deux éléments : la pauvreté et la maladie font écho à la situation des personnages que le prince Gautama rencontre lors de sa sortie du palais, et qui illustraient : la vieillesse, la maladie et la mort. Ces rencontres bouleversantes ont déclenché la quête de celui qui deviendra le Bouddha.
Le motif de la perle, du trésor, de l’oiseau extraordinaire rappellent le symbole de la rose mystique des Hermétistes de la Renaissance, ou du précieux grain de sénevé dans la littérature chrétienne. Cette quête d’un objet fantastique, aussi mythique que le Graal, rattache l’être à ce qui est de plus profond en lui, et qu’il doit chercher inlassablement. Les contes du « cycle de la table ronde » qui traduisent la philosophie de cette quête initiatique, sont la forme intermédiaire entre les simples légendes folkloriques et les textes sacrés.
Le motif précieux, magique, représente la perception ténue de notre état originel ; c’est le « vide » laissé par cette perception qui est l’élément déclencheur de cette forme spécifique signifiant exactement une quête. Le grain de sénevé, la fleur en bouton, le lotus surgissant de la vase sont d’autres formes symboliques, synonyme de l’étincelle du Divin en soi qui à fait surgir ce besoin, cet élan intérieur. Cette découverte du « manque » entraîne un processus de « désir », qui se développera en fonction de la personnalité du sujet. La recherche du symbole devra se maintenir dans les méandres des événements qui suivront, l’effort de se souvenir du sens de la quête devra être garder tout au long du chemin. La connaissance de soi surgira tout naturellement au fur et à mesure des aventures, grâce à l’attention très vive du sujet/héros. La conscience de soi, but ultime, s’ouvrira au bout du chemin quand le personnage pourra boire au calice de jouvence, car le Graal est un hanap dans lequel le flux divin éveille l’être.
Le désir de complétude illustré par la quête de l’autre, qui peut aussi être perçu comme la sensation désagréable d’être isolé des autres, est également un élément déclencheur que l’on retrouve dans les contes. Le thème peut-être très simple : un jeune garçon – ou des frères - en quête d’une épouse, ou bien commencer comme dans le conte-type 401, par une princesse à délivrée d’un monstre quelconque.
Voici le début du conte de Jacob et Wilhlem Grimm : La corneille
Il était une fois une reine qui avait une petite fille qui n’était pas toujours très sage. Un jour la mère perdit patience et, comme des corneilles volaient autour du château, elle dit « Je voudrais que tu soit une corneille et que tu t’envoles : ainsi j’aurais la paix. » A peine avait-elle prononcé ses paroles que l’enfant fut changer en corneille, et s’envola vers une sombre forêt.
Dans ce conte-type (401), seul un prince qui consentira à épouser la jeune princesse et qui pourra résister à trois épreuves successives, la délivrera de cet enchantement.
L’élément déclencheur dans cette forme, peut être le sentiment de ne pas être ce que l’on est réellement. Une métamorphose ou la perte de mémoire, peut signifier l’oubli de sa véritable dimension et cet aspect est souvent illustré par l’aspect féminin dans les légendes. Ce type de conte à ainsi un élément déclencheur particulier générant la quête de sa véritable identité. Cet aspect féminin se développera à un moment du parcours initiatique que nous étudierons dans la page sur l’âme.
Le conte-type 400, à travers toutes ses variantes, met en scène un époux à la recherche de son épouse, thème qui est peut-être plus explicite pour illustrer la douleur de la séparativité, autre élément déclencheur. Cette impression d’incomplétude, peut également se décliner comme le sentiment de séparation du Divin en soi, car dans cette trame spécifique au C-T 400, il s’agit toujours de personnages mariés. Cette rupture de deux conjoint vivant sur un même plan d’existence illustre métaphoriquement cette séparation d’une réalité profonde que certains peuvent ressentir et qui finalement les amènent à la spiritualité.
Parfois c’est le sentiment de séparativité d’avec le Vivant, de décalage avec la nature qui s’exprime, dans les contes qui comporte des animaux comme personnages secondaires. Cette sensation d’être seul dans l’univers alors même que la foule nous entoure, ce sentiment de malaise est l’élément déclencheur de mainte quête spirituelle.
Les éléments déclencheurs changent également au fil du temps, car le passage des siècles et l’évolution du milieu influent sur la conscience des hommes. Ainsi, la quête d’un objet, d’un trésor ou de la royauté, sont certainement les motifs les plus anciens dans les légendes.
Au Moyen-Age, un thème est très fréquent : celui de "l’interdit".
C’est le motif de départ à l’aventure intérieure de l’époque, c'est l’élément déclencheur qui est le moteur principal de cette époque et qui a un grand succès.
Mélusine, par la plume de Jean d’Arras, en est l’exemple le plus célèbre avec deux interdits successif :
celui de la mère de Mélusine, qui maudira finalement sa fille, et
celui de la fée envers son époux.
Mélusine sera ainsi femme-serpente, mais uniquement le samedi : jour de l’interdit que transgressera son époux. Mais c’est le roman de « L’âne d’or » d’Apulée qui donne le véritable départ à cette aventure initiatique. Cette histoire fabuleuse est écrite sciemment pour suivre le déroulement d’une initiation par la connaissance de soi, pour les adeptes de la déesse Isis.
Voici donc le tout début du processus de connaissance de soi. L’aventure est enclenchée et ses péripéties vont permettre la découverte, petit à petit, des phénomènes de la psyché et des causes des malaises des hommes.
2 - Les premières rencontres
La deuxième clé pour reconnaître le sens spécifique d’un texte initiatique, pour percevoir la forme particulière que va prendre un processus particulier de connaissance de soi dans un conte ou une épopée, est la coloration du personnage central. La singularité du héros donnera au conte, et donc au développement initiatique, une psychologie, une tournure particulière qui ouvrira tels ou tels domaines de réflexions pour le myste.
Prenons un exemple dans les textes ou les légendes les plus anciennes dont les notions conçues pour orienté la psychologie était moins nombreuses qu’a notre époque.
Dans l’antiquité grecque, les héros des épopées comme Thésée, Persée, Héraklés, et Jason se divisent en deux groupes. Les trois premiers, démontrant une puissance digne de leurs pères divins ; Zeus et Poséidon, composent le groupe des guerriers valeureux. Et Jason, très jeune homme, simple fils de roi, doté de peut de force est l’autre type particulier, qui sera bientôt : le prototype de l’anti-héros et la forme première du Conte-Type 313. Ce nouveau type n’a pas la puissance des premiers, mais démontre une noblesse de cœur et une fermeté de caractère toujours axé sur son but. Cette disposition lui apportera de l’aide de maintes provenances et fera qu’il surmontera toutes les épreuves.
Ce deuxième modèle va avoir un succès phénoménal dans les légendes ultérieures aux mythologies et ainsi devenir cet aspect psychologique du jeune garçon frêle, mais rusé et généreux comme référence. Ce type formera au fil des siècles une grande quantité de légendes, mettant en scène des personnages au service d’une quête, d’un remède, ou d’un objet magique, bref : au service du plus faible.
Le premier groupe de légendes – car certainement le plus ancien - actées par des guerriers valeureux fera fortune dans des pays à la nature vigoureuse et farouche ou les hommes doivent démontrer leur valeur par la force et la résistance aux événements. Ce type est très courant dans les vastes plaines d’Asie centrale.
Ces deux types psychologique donnent deux formes d’orientation spécifique au chemin spirituel pour les temps anciens, deux approches différentes pour la voie initiatique. Ces deux types – d’autres suivront - donnent plus de facettes et donc plus de richesses aux possibilités de la découverte de soi.
Par la suite, d’autres modèles surgiront avec une jeune fille comme personnage central dans « L’âne d’or » d’Apulée, au début de notre ère, avec toutes les variantes et les nouveaux contes-types qui naîtront sur cette coloration plus féminine du chemin. Cette approche psychologique débouchera sur une initiation plus intuitive et plus complexe et les légendes merveilleuses vont ainsi s’étoffer en de nouveaux scénarii.
La psychologie du personnage central dans les légendes indique donc une attitude particulière pour percevoir ce qui Est, pour découvrir en soi les diverses manifestations de la psyché. Cette attitude, cette caractéristique d’attention, quelque soit le thème : valeureux/male, serviteur/aide neutre ou espoir/féminin, etc… avec tous les scénarii possible, rencontre au tout début du conte des éléments lui permettant de faire le tri dans les affects, les émotions, les désirs, les possibilités.
Dans les contes, les premières rencontres avec des personnes ou animaux, nous donnent la spécificité du personnage, - dont le principe à déjà été déterminé dés le départ– et en fonction de sa valeur, de sa force, de sa ruse ou de son humilité, les situations prennent une tournure spécifiques. Dans certains cas, se sera l’affrontement et dans d’autres cas, des personnages aideront le héros dans sa quête.
L’épopée de Jason, dans "Les Argonautiques" d’Apollonios de Rhodes, nous présente les premières éléments de la connaissance psychologique de soi avec les épisodes ou les héros abordent les îles au début de la quête de la toison d’or. Ainsi la première île importante : l’île des femmes de Lemnos, illustre le puissant Désir – moteur principal des actions humaines – pulsion fondamentale qu’il faut reconnaître en soi. Cette pulsion première – la plupart du temps inconsciente - qui déclenche toutes actions et émotions doit être reconnue, portée à la surface du conscient. Ainsi, la personne devient plus à l’écoute d’elle-même quand elle prend conscience de la racine de ses pulsions incontrôlables, car si elles prennent naissance au plus profond de soi, portées à la conscience elles peuvent à ce stade, êtres sinon contrôlées, du moins apaisées.
Les particularités de la personne qui s’exprimeront ensuite comme les émotions, les humeurs, les dispositions négatives ou positives seront ensuite mises en scène tout au long de l’histoire. Les confrontations fantastiques ou farfelues n’en seront que plus « frappantes » pour le personnage (et le lecteur), lui permettant ainsi de mieux appréhender ses affects. Cette disposition à reconnaître sa « réalité présente », dans l’instant, devient plus profonde au fur et à mesure de l’histoire. Au début, il s’agit surtout de percevoir les phénomènes qui surgissent de soi, comme les émotions ou les actes personnels quels qu’ils soient, répondant aux situations. C’est « l’empathie » avec les scènes et les actes surprenants du scénario qui déclenche en nous certaines réactions, l’écoute nous permet également de percevoir cette relation. La connaissance de soi survient tout doucement et elle débute par la prise de conscience des pulsions qui déclenchent les émotions et ses dispositions envers les autres.
Un thème récurrent dans les légendes est celui d’un roi qui envoie ses trois fils en quête d’un objet, d’un remède ou d’un oiseau merveilleux (CT 550 ou 551). L’objet de cette quête et sa réussite décidera de l’héritier du trône. Les trois frères n’ont pas la même attitude, ainsi devant trois personnes rencontrées au début de la quête et qui leurs demandent aide, les deux frères les plus âgés présentent au mieux un refus dédaigneux. C’est le plus jeune qui faisant preuve de compassion, assiste ces personnes dans le besoin et obtient leur aide par la suite, ce qui décidera de la réussite de la quête.
Nous trouvons à peu près le même thème dans la mythologie Hindoue, dans les jatakas (les contes bouddhistes). Dans ces contes, un dieu ou le Bouddha transformé en vieillard ou mendiant demande l’aide du personnage central afin de tester son égoïsme ou sa serviabilité.
Ces rencontres au tout début d’une légende démasquent l’égocentrisme ou à la capacité d’écoute envers les autres. Tous ceux qui ont fait un long voyage savent qu’ils devront à un moment, demander d’une manière ou d’une autre l’aide de quelqu’un. Aussi l’égocentrisme n’est pas le meilleur outil pour vivre un long chemin, ce que beaucoup de riches oublient croyant tout obtenir par l’argent.
Cette disposition d’esprit envers les autres est également figurée dans certaines légendes par l’aide que peuvent apporter des d’animaux, soit ce sont les propres chiens du personnage central, comme le CT 300, soit par l’aide d’animaux que le jeune garçon à rencontrer et aidés au début de l’aventure, comme le CT 554.
Par pur plaisir voici un petit conte illustrant ce thème ou des d’animaux aident le héros.
La fille du roi et les trois ouvrages
Monsieur le roi veut marier sa fille. Mais il y a trois ouvrages à faire pour la marier.
Il y a un garçon qui s'appelle Jean. Il dit
- Ma mère, je veux aller vers le roi.
- Pourquoi?
- On dit qu'il veut marier sa fille. Il y a trois ouvrages à faire. Je veux les faire.
- Tu peux aller le voir mais tu ne sauras pas les faire, mon Jean.
- Ah! je veux toujours y aller et le Jean est parti.
Il est parti pour aller faire ces trois ouvrages. Sur son chemin, il rencontre la mère cane et ses canetons. Elle lui demande :
- Où vas-tu, Jean?
- Je m'en vais vers le roi, on dit qu'il veut marier sa fille, il y a trois ouvrages à faire, je m'en vais voir si je pourrai les faire.
- Tu les feras bien, va, Jean. Prends garde, Jean de ne pas tuer mes petites canes. Il en est passé un autre qui m'en a tué plus de la moitié.
- N'ayez pas peur, répondit Jean, je ne leur ferai point de mal, et il passa et ne fit pas de mal aux canes.
Quand il fut un peu plus loin, il rencontra la grosse belette avec ses petits qui lui demanda :
- Ou vas-tu, Jean?
- Je m'en vais vers le roi, le roi veut marier sa fille, on dit qu'ils y a trois ouvrages à faire, et à qui lui fera ces trois ouvrages il donnera sa fille.
- Tu les feras bien, mon Jean. Prends garde à ne pas faire de mal à mes petites belettes. Il en est passé un autre qui m'en à tué plus de la moitié.
- Je n'en tuerai pas même une, répondit-il. Il ne fit point de mal aux belettes.
Arrivé tant soit peu plus loin dans le chemin, il trouva la mère abeille avec ses petits.
- Ou vas-tu, Jean? lui dit la mère abeille.
- Je m'en vais vers le roi, on dit qu'il veut marier sa fille, on dit qu'ils y a trois ouvrages à faire, et à qui lui fera ces trois ouvrages il donnera sa fille.
- Tu les feras bien, mon Jean. Prends garde de ne pas tuer mes petites abeilles. Il en est passé un autre qui m'en a tué plus de la moitié.
- Oh ! non, n'aie point peur, mère abeille, je passerai sans leur faire de mal.
Et Jean passa sans faire de mal aux petites abeilles. Quand il fut arrivé devant le roi, le roi lui dit :
- Bonjour, que vient-tu faire ici, mon garçon?
Et Jean lui dit :
- Bonjour Monsieur le roi, ils m'ont dit que vous aviez trois ouvrage à faire et que si on pouvait les faire, vous donneriez votre fille.
- Oh, oui je te la donnerai de bon cœur, mais tu ne pourra pas faire mes trois ouvrages.
- Il faut essayer tout de même, répondit Jean.
Le roi prit la clef de la garde-robe de sa fille et la Jeta au fond d'un gouffre plein d'eau.
- Tiens Jean, si tu peux aller chercher cette clef. Tu auras ma fille en mariage.
Jean regarde le gouffre, et est bien ennuyé, mais voilà qu'il voit venir la cane avec ses petits.
- Tu ne peux pas faire ton ouvrage, Jean attends, que je te le fasse, tu ne m'as pas tué mes petits, je te rendrai service en retour.
La cane entra dans le gouffre, plongea au fin fond, en retira la clef et la remit à Jean en lui disant de la porter au roi. Jean porte la clé et la donne au roi.
- Oh, lui dit le roi, ce n'est pas possible que ce soit ma clé. Oui, cependant, c'est bien la même, reprit-il. Allons, mon ami tu as bien fait cet ouvrage, je suis content de toi, je m'en vais t'en donner une autre.
Monsieur le roi prit un plein sac de riz, le feta dans un groseillier touffu, plein d'épines.
- Tiens, Jean, va-t-en ramasser ce riz dans ce groseillier, remplis-en le sac, et tu auras ma fille.
Jean se baissa pour ramasser ce riz. Il en ramassa à peine quelques grains, que déjà sa main était tout ensanglantée. Il ne pouvait pas en ramasser davantage ; il se désespérait.
Mais voilà qu'en se retournant, il vit venir les belettes.
- Tu ne peux pas faire ton ouvrage, Jean dit la mère belette.
- Non, je ne peux pas le faire, avoua Jean,
Toutes les belettes entrèrent alors dans le groseillier, la mère et les petites. Elles ramassèrent tous les grains jusqu'au dernier et en remplirent le sac. Il n'en manquait pas un.
- Tiens, dit la mère belette, porte ceci à Monsieur le roi et tu auras la fille en mariage. Adieu, Jean, je m'en vais.
- Tu as ramassé tout ce riz, Jean, s’étonna le roi.
- Oui, Monsieur le roi, je l'ai tout ramassé.
- Ah! mon Dieu, que tu es habile ! Tu es bien prés d'avoir gagné ma fille.
- Oh! si je pouvais la gagner, cela me ferait bien plaisir dit Jean.
- Allons, Jean, viens-t-en à ma basse cour descend devant ma porte. Il y aura trois filles, deux de mes voisines et la mienne. Elles auront les mêmes vêtements, la même coiffure, les même bijoux. Si tu peux trouver ma fille, elle sera tienne.
La fille du roi était au milieu des autres. Jean se promenait, virait, regardait par devant et par derrière. Il ne pouvait reconnaître quelle était la fille du roi tant elles se ressemblaient. Aussi était-il fort inquiet quand il entendit tout à coup un bourdonnement : bouzz ! bouzz ! bouzz ! C'était la mère abeille ; Elle alla se poser sur l'épaule droite de la fille du roi. Jean pensa qu'elle voulait lui révéler ainsi celle qu'il devait choisir. Il la prit aussitôt par la main et lui dit:
- Allons, venez avec moi, vous serez ma femme.
Le roi lui dit :
- Tu as gagné ma fille, elle est à toi.
Et Jean emmena la fille du roi.
Ce thème qui a été considéré comme un Conte-Type à part entière figure au début de nombreuses légendes de quêtes. Il doit ainsi son succès au défaut d’orgueil et d’égocentrisme du jeune héros, comme de l’aspirant à la connaissance de soi. Bien sûr, dans la réalité, nul n’est sans orgueil et égocentrisme, mais l’attitude parfaite dans cette quête de soi, est de savoir le reconnaître.
C’est cet Ego et ses particularités dévoilées dans les contes que nous analyserons prochainement…
L'Aède.