Légendes de l'Aède

La Licorne

La licorne est un animal fabuleux que le moyen-age a célébré. Il lui a donné toutes les vertus : pureté, sagesse, bienveillance, Seule une vierge pouvait l'approcher et la capturer. Mais d'où vient un tel pouvoir de fascination pour un animal imaginaire ???


Dessin d une licorne du moyen-age

Depuis peu les scientifiques pensent avoir trouvé l'animal qui est à l'origine du mythe de la licorne; en effet ils ont déterré un squelette en Sibérie - qui serait l'ancêtre du rhinocéros actuel. Les scientifiques l'ont appelé Elasmothérium sibiricum. Ce nom n'est pas vraiment fascinant, mais l'animal devait l'être, car il était doté d'une corne majestueuse de près de deux mètres de long. La bête devait faire 4m50 de long et 2m de haut pour un poids de 4 à 5 tonnes.
En voici un dessin :


Dessin des archéologues

Ce croquis montre un animal imposant, plus encore que son descendant actuel: le rhinocéros, mais est-il possible d'accoler les termes de pureté, de sagesse et de bonté à une telle bestiole...? Comment passer de cette force brute à ce concept de beauté et de pureté ?
Revenons à l'origine du mythe...
La première mention de l’Unicornis vient d’un Grec, Ctésias de Cnide, au veme siècle avant notre ère, et celui-ci situe cet animal étrange en Inde. Ce médecin Grec semble avoir rencontré un descendant plus gracile de la bête sibérienne puisqu'il décrit un animal qui allait tellement vite que personne ne pouvait l'attraper... Il semble qu'ici l'on aie à faire à une sorte d'antilope, plutôt qu'à un rhinocéros, mais nous n'avons pas encore à l'heure actuelle de découvert de traces de cet animal ni de son squelette.
Plus tard, un ouvrage en langue grecque du début de notre ère décrit des animaux étranges et fabuleux : le physiologos. Cet écrit a eu un grand succès de librairies et de multiples occurrences jusqu'a la fin du moyen-age. Cet ouvrage décrit - entre autres - l'Unicornis et ses qualités, elle pouvait par exemple reconnaître une vierge, qui pouvait donc l'approcher, d'une fille qui ne l'était pas et qui dans cette rencontre mettait sa vie en danger. Ainsi cet animal fabuleux présentait deux facettes: l'une douce et bienveillante et l'autre sauvage et indomptable. C'est cet ouvrage qui fit la renommée de l'Unicornis, jusqu'à nos jours. Mais cela n'explique pas le caractère fabuleux et l'engouement autour de la licorne...


Photo d'un coffret du moyen-age

En fait, nous trouvons mention de la licorne dans l'ancien testament. Ainsi dans les psaumes 92/11 : "Et tu élèvera ma corne comme celle de la licorne et je serai oint d'une huile fraîche."
La corne de la licorne - unique et droite pointant vers le ciel - semble avoir frappé les scribes de l'ancien testament, qui lui attribuent la puissance de Dieu.
C'est ce que suggère Gérard Gambier dans son ouvrage "Symboles sculptés des églises romanes". Le terme "re'em" en hébreu que certains traduisent en "buffle" aurait été traduit en grec par "monoceros" dont est venue notre licorne. Cela évoque ainsi une forme de puissance divine que les anciens dans l'antiquité auraient utilisés comme image, et cela permet de faire le lien avec le sens de pureté que cet animal légendaire aurait symbolisé au Moyen-Age.


Photo détail de la tapisserie de la dame à la licorne

Revenons donc à l'Inde mystérieuse des origines de cette légende.
Il se trouve qu'une grande civilisation dans la vallée de l'Indus produisait des sceaux d'animaux à une corne, ressemblant plus à un taureau qu'à un rhinocéros ou à une gazelle. Nous n'y retrouvons pas l'agilité dont parle Ctésias de Cnide, le médecin Grec, mais ces effigies ont le mérite de l'antériorité.
C'est dans les fouilles de la cité d'Harappa et dans celle de Mohenjo-daro que l'on a trouvé de nombreux sceaux, tablettes et pendentifs à l'effigie de cette "Unicornis".


sceau du site de Harappa

Pourrait-il s'agir de la première licorne...  ?
Les sceaux proviennent de la civilisation dite de l'Indus qui s'est développée de 3000 à 1900 avant notre ère. C'était une civilisation de cités-états comme la Sumérie, avec la même particularité d'être installée entre deux fleuves imposants : l'Indus et la Sarasvati.
Cette civilisation semble avoir été fascinée par cet animal, car les nombreuses représentations le montrent devant un autel, soit pour y être sacrifié, soit pour y être sanctifié....


sceau du site de Harappa

Et voici une autre représentation plus complexe :


sceau du site de Harappa

C’est dans un ouvrage d’art sur l’inde ancienne, que j’ai observé ce sceau de la cité de Mohenjo-daro et une explication simple de cette représentation : Cet animal fabuleux représenterait les trois dimensions du temps : la tête tournée vers l’arrière symbolise le passé, la tête tournée vers le bas symbolise l’avenir et celle qui reste droite représente le présent.
C’est une théorie vraiment intéressante car nous retrouvons le dualisme du temps, représenté par les double cornes et l’unicité du présent avec la tête restée droite, sur laquelle on ne peut apercevoir qu’une seule corne.

Un autre sceau comportait deux motifs: l'un une sorte de yogi et l'autre le sacrifice d'un bœuf qui penche la tête.
Ces deux thèmes symboliseraient ainsi la dualité du temps: le bœuf avec ses deux cornes, par rapport à l'instant présent, exprimé par la position du personnage en méditation.


Dessin du moyen-age

- Selon les archéologues, cette image représenterait une scène de sacrifice dans laquelle le personnage en position de yoga figurerait le grand prêtre.
Le sacrifice exercé dans cette scène symboliserait la période de l'avenir -évoquant toujours l'espoir - suivant le code évoqué plus haut, ou tout simplement le temps mensonger. Le temps est la grande illusion car nous ne sommes vivants que dans l'instant présent… dimension que recherchent tous les yogis dans les pratiques de méditation.
La civilisation de Mohenjo-daro et Harappa est à l’origine, semble t’il, de la civilisation Indienne, et fut le foyer de textes comme les Upanishads et la Bhagavad-gîtâ.
Lisez le chapitre onze de la Bhagavad-gîtâ, celui du temps destructeur, cycle obligatoire de l’existence…


sceau du site de Harappa

Un yogi vieux de 4500 ans, silencieux dans l’instant à l’écoute de l’absolu…..



Pourquoi ne pas envisager que la licorne aurait symbolisé l’instant présent, concept si difficile à approfondir pour un être humain, mais le seul sur lequel il puisse bâtir une spiritualité cohérente. Bien sûr, c’est une hypothèse….

Revenons à la représentation des sceaux, dont celui du bovidé primitif "l'urus" qui semble avoir eu la préférence des archéologues.
Ces sceaux ou tablettes d'argile représentent effectivement un taureau, or l'animal sacré de l'Inde est précisément la vache : la femelle du taureau. Etrange non ?
Car d'un côté la descendance de cet Urus, sous forme d'antilope à l'unique corne a fasciné l'Europe médiévale et de l'autre coté : la vache nourricière est toujours la représentation la plus sacrée bien que commune en Inde.
Mais vous n'avez peut-être pas connaissance des deux aspects de la vache sacrée pour les Hindous...
Examinons ce que dit Sri Aurobindo dans son ouvrage "Le secret du Véda", page 48 : " Mais j'avais découvert déjà que la vache védique, animal essentiellement énigmatique, ne provient d'aucun troupeau terrestre appréciable. Le mot Go, en effet, signifie à la fois vache et lumière. Dans un grand nombre de passages (du Véda) il prenait évidemment le sens de lumière, même lorsque l'image de la vache s'y superposait."
Ainsi la représentation sacrée de la vache peut être nourricière parce qu'elle donne du lait - principe sacré que tous hindous vénèrent - et son autre symbolisme peut se référer à la plus haute spiritualité en tant que lumière génératrice de vie.



Dessin du moyen-age

Ainsi, d'un étrange animal à une corne, peuvent découler deux formes symboliques parmi les plus extraordinaires. Deux formes d'un même animal pouvant représenter l'instant présent, divisé en blanche pureté pour l'occident et en pure lumière pour l'Inde. Quel hasard étrange pour l'Unicornis...


L'Aède

Je remercie le site http://www.harappa.com/indus/ d’ou j’ai tiré les photos de ces sceaux.
A lire : Francesca-yvonne CAROUTCH : Le mystère de la Licorne, Dervy éditeur, 1997