Légendes de l'Aède

La femme tombée du ciel

Ce texte est tiré de mon livre "Hiawatha et la Femme tombée du ciel"


L’essence spirituelle à la base des croyances des Amérindiens du Nord de l’Amérique, est-elle si différente de celle des européens ?
Retrouve-t-on dans les mythes des indiens d’Amérique une structure comparable à celle des principaux systèmes sacrés répandus sur cette terre ?
Et la vision holistique si naturelle chez les Amérindiens, ne cache-t-elle pas une pensée bien plus subtile qu’un simple rapport à la nature, même sublimée ?


peinture de Catlin 1832

Le thème de "La femme tombée du ciel" se retrouve sur une large portion de l’Amérique du nord .
Ce thème représente selon nous, le début d’une fresque cultuelle, et nous allons essayer de déterminer d’une part, s’il s’agit d’un mythe d’origine, propre à ces peuples et, d’autre part, dans quelles ethnies ce thème a pu prendre naissance.
Les légendes ayant pour thème « La femme tombée du ciel » sont nombreuses chez les nations iroquoises, et le nom de cet ancêtre mythique que leurs légendes nous ont laissé est Aataentsic. Il est possible que ce mythe trouve là son origine, mais rien n’est sûr dans le domaine de l’oralité. Les légendes de « La femme tombée du ciel » sont également présentes chez les nations de langue Algonquine et parmi les nations de langue Siouan, entre autres...


peinture de Catlin 1838

Voici le tout petit texte que la nation iroquoises lui dédie sur internet :.(1)
- Aataentsic –
« Au début des temps la terre était recouverte d'eau. Mais dans le ciel vivait une jeune femme nommé Aataentsic.
Un jour son mari était malade donc elle voulut descendre sur la terre pour aller chercher des plantes afin d'en tirer un remède pour guérir son mari.
  Pour aller sur la terre elle glissa sans faire exprès dans un trou du ciel.
Dans sa chute elle fut attrapée par des oies qui, ne savaient pas quoi faire d'elle, car le monde était entièrement recouvert par les eaux. Les oies demandèrent à la tortue car elle était très sage. La tortue convoqua tous les animaux pour demander que faire de la jeune femme.
Ainsi, les animaux demandèrent au plus courageux de plonger dans le fond de l'océan pour aller chercher une partie de terre fertile. Le castor et la loutre : les plus courageux plongèrent l’un après l'autre, mais ils ne revinrent pas. Aussi le crapaud tenta l’aventure, mais il ne revint qu'avec une petite partie de terre.
Finalement la tortue essaya et mit de la terre sur son dos et remonta pour pouvoir former une île. La jeune femme tombée du ciel put s’y reposer et mit un monde un fils et ce fils fut la génération des Iroquois. »


peinture de Catlin 1830

Puisque cette histoire est axée sur l’origine mythique d’un peuple (dans la langue iroquoise, Aataentsic signifie l’Ancienne), elle ne permet pas de percevoir, comme les légendes qui suivront, son aspect plus intérieur, plus sacré.

Passons à la légende suivante également d'origine Iroquoises, ( en version résumée):
- La Grande Tortue -


« Chez les Indiens qui habitaient les régions boisées de l’Est et la bordure des grands lacs, on regardait la tortue comme le maître et le chef de tous les animaux. Plusieurs mythes relatent comment elle parvint à ce rang élevé.
Certains, par exemple, lui attribuent un rôle important dans la création du monde. Il y est dit qu’à l’origine, les premiers hommes vivaient dans une région au-delà du ciel, car la terre était entièrement recouverte par les eaux et habitée seulement par des animaux et des oiseaux aquati­ques.
Un jour, une habitante du ciel, une jeune femme, tomba malade, si gravement malade qu’on crut qu’elle allait mourir. On appela le shaman, mais toute sa science et sa sagesse ne parvinrent pas à lui rendre la santé. Toutefois, il déclara…
« Il reste encore un remède. J’ai ouï dire que les racines du pommier sauvage contiennent une médecine puissante. Si l’on arrive à la trouver, peut-être aidera-t-elle cette jeune fille à guérir ». Le père et les frères de la fille la transportèrent à l’endroit où poussait le pommier sauvage et la couchèrent tout près de l’arbre : au cas où l’on trouverait le remède, on pourrait ainsi le lui administrer rapidement.
Ils se mirent à creuser la terre au pied du pommier et travaillèrent jusqu’à ne plus sentir la fatigue de leurs bras. A présent, un grand trou entourait l’arbre, mais le remède demeurait introuvable. Ils creusèrent encore, toujours plus profond, et dégagèrent toutes les racines ou pres­que, sans rien découvrir. Épuisés et découragés, ils remontèrent de la fosse et s’assirent sur ses bords pour se reposer un moment.
Soudain, avec un fracas de tonnerre, le sol autour de l’arbre commença à s’effondrer. Les hommes bondirent en arrière et, au même moment, l’arbre s’enfonça dans le sol. Trop faible pour se sauver, la jeune fille tomba dans le trou et disparut avec le pommier.
À des milliers de lieues au-dessous, sur l’eau qui recouvrait la terre, un couple de cygnes allait nageant. Stupéfiés par ce coup de tonnerre, le premier qui ait jamais retenti en ce monde, les oiseaux regardèrent au ciel et virent l’arbre et la femme qui tombaient.
« Qu’arrive-t-il ? s’écria l’un des cygnes. Quelle est cette étrange créature qui vient de là-haut ? Serait-ce un oiseau ?
- Je ne lui vois pas d’ailes, répondit l’autre, hésitant. Nageons côte à côte, nous la recueillerons sur notre dos.
Les cygnes nagèrent ensemble et la jeune femme se posa légèrement sur leur dos, dans la blancheur moelleuse de leurs plumes. Le pommier sauvage plongea dans l’eau en soulevant une grande gerbe de gouttelettes et sombra sans laisser de trace.
Recourbant leurs longs cous flexibles, les cygnes regardèrent leur fardeau avec émerveillement.
« Quelle belle créature ! dit l’un. Nous avons bien fait de la sauver, sinon elle se serait noyée.
- Mais qu’allons-nous faire maintenant ? demanda son compagnon. Nous ne pouvons conti­nuer à nager de cette façon. De plus, elle se fait lourde. Nous ferions mieux de réunir un conseil afin de voir ce que suggèrent les autres animaux. »
Tous les oiseaux et toutes les bêtes qui vivaient dans l’eau se rassemblèrent pour tenir conseil. La Grande Tortue présidait les débats. On discutait depuis longtemps sans avoir abouti à une conclu­sion quand, impatientée, la Tortue intervint…
« Nous devons trouver une solution. Il est clair que cette créature nous a été envoyée pour notre propre bien. Les cygnes ne peuvent la porter éternellement sur leur dos, et il est impensable que nous la laissions mourir dans l’eau. Il faut trouver un endroit où la déposer. »
Tous les animaux se sentaient émus du sort de cette créature et réfléchissaient intensément. À la fin, la Loutre dit
« Et l’arbre qui est tombé avec la créature ? Peut-être a-t-il gardé un peu de terre collée à ses racines. Si nous pouvions en récupérer suffisamment, il serait peut-être possible de bâtir une île où elle séjournerait ?
- Excellente idée ! s’écria la Grande Tortue. Si nous arrivons à construire une île, je serai prête à la porter sur mon dos. »
Toujours chargés de leur fardeau, les cygnes conduisirent les animaux à l’endroit où le pommier avait disparu. La Loutre qui avait la réputation d’être la meilleure plongeuse offrit d’aller à sa recherche et disparut vers les profondeurs.
Le temps s’écoulait, l’attente se prolongeait, déjà les animaux se sentaient gagner par l’inquiétude quand enfin ils aperçurent la Loutre qui remontait vers les eaux claires.
Elle émergea brusquement à la surface, toussant et soufflant bruyamment. Elle était épuisée et n’avait pu retrouver le pommier.
Ce fut ensuite au Castor, puis au Rat musqué et au tour de tous ceux qui savaient plonger. Chacun s’aventura aussi loin que la Loutre, parfois davantage, mais tous revinrent hors d’haleine, à moitié morts d’épuisement, et tous leurs efforts demeurèrent infructueux.
On eût dit que le plan était voué à l’échec. La Grande Tortue regarda autour d’elle, à bout d’espoir : il ne restait plus personne à envoyer.
Pourtant une voix se fit entendre… « Laissez-moi y aller et trouver un peu de terre ! »
C’était Toskwaye le Crapaud, si petit et si insignifiant que nul ne lui avait prêté jusque-là attention. On le regarda avec étonnement. Certains même rirent sottement, amusés des prétentions d’une si petite créature. Mais la Grande Tortue ordonna…
« Vas-y si tu penses mieux faire que la Loutre et le Castor. »
Le Crapaud aspira une grosse bouffée d’air et plongea. Les animaux se pressèrent l’un contre l’autre pour scruter l’endroit où il avait disparu. Ils ne s’attendaient guère à le revoir, mais regardaient quand même. Au bout d’un long moment, on commença à chuchoter que c’en était fini de lui. Pourtant, une lueur d’espoir brillait encore et ils continuèrent à regarder.
Soudain une bulle d’air monta des profondeurs et vint crever à la surface, suivie d’une autre bulle, puis d’une autre encore, enfin surgit la vilaine petite figure du Crapaud. Il ouvrit la bouche et, dans un effort suprême, cracha quelques grains de terre qui se déposèrent au bord de la carapace de la Grande Tortue. Alors il rendit son dernier soupir et tomba, mort.
Aussitôt les animaux étalèrent la terre autour de la carapace de la Grande Tortue. Tandis qu’ils se livraient à cette tâche, la terre se mit à croître et à croître jusqu’à ce qu’elle fût devenue une île assez grande pour qu’une femme puisse y demeurer.
Les cygnes nagèrent jusqu’à son rivage et la femme y posa le pied. La terre continua à grandir et à s’étendre,et finit par former le monde tel que nous le connaissons. »


Photo ancienne

C'est la genèse de notre monde décrit ici, une genèse amérindienne, expliquant l'origine du monde, mais, cette extraordinaire chute de la femme, permet également une exploration du monde intérieur. C’est la découverte de son propre monde avec tous ses composants, c’est l’édification d’un plan de connaissance de soi, éclaircissant la réalité de son propre être. Ce processus spirituel est décrit ici, à la manière Amérindienne.

On peut dire qu’un chemin spirituel démarre grâce à deux puissants moteurs : le Désir ou la Nostalgie, qui ne sont pas toujours aisément discernables l’un de l’autre. Ce sont également les deux éléments déterminants de « La femme tombée du ciel ».
Examinons la structure du chemin spirituel plus en détail : après l’impulsion de départ – désir ou nostalgie - le parcours initiatique se change en rencontre avec soi, en connaissance de soi, puis vient l’ouverture au monde de l’âme ou de l’Esprit, et enfin l’Éveil spirituel.


peinture de Catlin 1838

Le thème de « La femme tombée du ciel » est comme un prélude, un message indiquant les éléments à l’origine de la psyché humaine : ce sont les éléments de base qu’il faut reconnaître pour aller à la recherche de soi. La connaissance de soi exige de reconnaître dès le début de la quête, les moteurs qui actionnent l’être, même si au début les éléments sont abstraits. Il n’y a pas de véritable départ sans compréhension de la motivation, sans perception du but en soi. Dans ce thème, il s’agit de la pulsion du désir, le désir de percevoir, de reconnaître un monde originel, un monde idéal très ancien. Cet acte se transforme en besoin d’absolu, ou dans notre récit, en puissante Nostalgie.
Ensuite vient le chemin spirituel proprement dit – l’action - comportant également trois phases… puis l’ouverture, l’émergence à l’Éveil.


Pour clore cet article, examinons la légende qui fournira le lien avec la prochaine étude : celle du « Héros civilisateur ; Hiawatha».


photo ancienne

Cette légende vient des indiens Arikara, apparentés aux Pawnees, et qui vivaient sur la moyenne vallée du Missouri dans le sud du Dakota, non loin de la nation Sioux et des Anishinabé.


- L’enfant et la grotte des serpents -
« Deux jeunes filles étaient allées chercher de l’eau dans la forêt. Sur leur chemin, elles virent un porc-épic et le suivirent pour le capturer. Elles étaient attirées par ses superbes piquants dont elles voulaient broder des ornements pour leurs vêtements, mais le porc-épic grimpa à un arbre. L’une des jeunes filles retourna au village chercher une hache pour abattre l’arbre et la deuxième grimpa sur l’arbre à la poursuite de l’animal. Mais, tandis qu’elle grimpait, l’arbre croissait de plus en plus.
Soudain, la jeune fille se trouva dans un autre monde, le porc-épic se transforma en homme, la jeune fille devint sa femme et vécut avec lui.
Un jour qu’elle se promenait seule, elle découvrit une grotte où elle entra, puis, en rampant, elle parvint à une ouverture au travers de laquelle elle aperçut la terre. Alors elle ressentit le mal du pays.
Chaque soir, elle demandait à son mari de lui apporter les tendons des bisons qu’il tuerait, car elle avait besoin de beaucoup de tendons pour faire quelque chose qu’elle projetait.
Elle tressa une longue corde qu’elle emporta dans la grotte. Elle fixa une des extrémités à un rocher et se laissa glisser par l’ouverture le long de la corde après avoir assujetti sur son dos son petit garçon. Arrivée à l’extrémité de la corde, elle vit qu’elle n’atteignait que la cime des grands arbres. Elle fit une boucle avec la corde, passa son pied dedans et resta ainsi suspendue en l’air.
Le mari s’aperçut de l’absence de sa femme, entendit pleurer l’enfant et se rendit dans la grotte d’où il aperçut sa femme suspendue dans le vide. Il prit une grosse pierre, et la laissa glisser le long de la corde ; la pierre tomba avec un bruit de tonnerre sur la tête de la femme qui fut tuée sur le coup et fut précipitée sur la terre entraînant son enfant ; celui-ci, tombant sur le corps de sa mère, ne se fit aucun mal.
Une vieille femme trouva le petit garçon et l’emporta dans sa hutte. Elle le soigna d’abord si bien qu’il grandit rapidement. Mais bientôt, prise de soupçons sur le secret de son origine, elle voulut s’en défaire.
A chaque repas, l’enfant remarquait que la vieille remplissait une troisième écuelle avec de la bouillie de maïs et la portait derrière un rideau. Quand elle retournait chercher l’écuelle, celle-ci était toujours vide. Un jour que la vieille était allée aux champs, l’enfant se glissa vers le rideau et l’écarta pour voir ce qui était derrière. Il aperçut un énorme serpent. L’enfant s’écria : « C’est donc toi qui manges la bouillie de ma grand-­mère. Il prit un gourdin et tua le serpent. Puis il l’emporta dehors et le jeta dans un étang. L’eau siffla comme s’il avait été brûlant, l’étang entra en ébullition et déborda.
Quand la vieille revint à la maison, l’enfant lui raconta ce qu’il avait fait. Elle lui répondit : « C’est bien, mon petit, ce que tu as fait là. Je suis contente que tu nous aies débarrassés du serpent. » Bien loin d’être contente, elle était très fâchée, car elle était mariée avec le grand serpent. Elle décida alors de faire disparaître l’enfant.


peinture de Catlin 1832

Le jour suivant, avant de sortir, elle le fit venir et lui dit : « Là en face, derrière l’étang, il y a une montagne rocheuse. N’y va pas, car c’est très dangereux. » Elle savait que l’enfant enfrein­drait sa défense, précisément parce qu’elle avait dit que c’était très dangereux.
L’enfant alla dans la montagne ; la marche était pénible au milieu des rochers amoncelés. II arriva devant une grotte immense pleine de serpents. « Eh ! bien, Serpents, cria-t-il, quand un étranger arrive, il convient de lui souhaiter la bienvenue. Mais il me semble que ma visite ne vous est pas très agréable. » Il chercha une pierre plate et s’assit dessus au milieu des serpents. « En effet, dirent les serpents, nous allons te donner à manger. »
Ils lui apportèrent une rate. « Voilà une friandise, dit l’enfant, mais je l’aime mieux rôtie. » Lorsqu’il eut mis la rate sur le feu, elle crépita et éclata dans toutes les directions. C’est qu’elle n’était faite que de dents de serpents.
« Il est temps que nous racontions des histoires », dit le chef des serpents. « Commence, lui répliqua l’enfant ; le chef des serpents commença : « Deux jeunes filles étaient allées dans la forêt où elles rencontrèrent un porc-épic qui grimpa à un arbre. L’une des jeunes filles le poursuivit dans l’arbre », et il raconta toute la vie du jeune garçon, jusqu’au moment où celui-ci était entré dans la grotte des serpents.
Alors l’enfant raconta à son tour : « Puis les serpents cherchèrent à tuer l’enfant. Ils pensaient avoir lié l’enfant par le récit de sa vie, et l’avoir rendu impuissant ; et ils n’attendaient plus que le moment de le tuer. Mais, pendant que l’enfant racontait son histoire, le vent du sud-est s’éleva et endormit les serpents qui se trouvaient de ce côté de la grotte. »
Et tandis qu’il parlait, il se produisit ce qu’il avait annoncé ; un léger vent venait du sud-est ; les serpents qui se trouvaient de ce côté de la grotte s’allongèrent et s’endormirent. L’enfant continua son histoire et tout ce qu’il racontait se réalisait à mesure qu’il le disait : « Puis, il s’éleva un vent venant du sud-ouest, qui endormit les serpents placés le long de la face sud-ouest ; ensuite un vent du nord-est et un vent du nord-ouest s’élevèrent et tous les serpents se trouvèrent endormis. »
Alors l’enfant prit son couteau de silex, parcourut le cercle des serpents endormis et se mit en devoir de leur couper la tête. Lorsqu’il fut arrivé au dernier, celui-ci ouvrit les yeux, vit ce qui s’était passé et se glissa rapidement dans un trou.
« Prends garde : dit-il, à partir de maintenant, je suis ton ennemi ».
Et, à dater de ce jour, l’enfant dut constamment être sur ses gardes. Partout, le petit serpent le poursuivait et épiait un moment d’inattention. Quand il buvait de l’eau, il devait la prendre avec sa main, car, dès qu’il essayait de boire à la fontaine, le serpent s’enroulait, prêt à bondir dans sa bouche. Avant de s’endormir, il plaçait ses flèches à portée de sa main, une près de chaque genou, et une près de chaque épaule. Lorsque le serpent s’approchait, les flèches tombaient, ce qui réveillait le dormeur.
Ainsi, inexorablement, le serpent poursuivait le jeune garçon qui, à peine endormi, était réveillé par la chute de ses flèches. A ce régime, il devint bientôt très fatigué. II voulut encore une fois essayer de dormir, et, après avoir placé ses flèches, il tomba dans un profond sommeil. Le serpent arriva et fit tomber la première flèche, ce qui ne réveilla pas l’enfant. Le serpent rampa sur la jambe de l’enfant, ce qui fit tomber la deuxième flèche. L’enfant fit un mouvement comme pour tirer son couteau, mais il ne se réveilla pas. Le serpent continua d’avancer sur le ventre, sur la poitrine et sur le cou, faisant tomber les deux dernières flèches, sans que l’enfant sortit de son sommeil. Enfin, le serpent rampa dans sa bouche et s’enroula dans son crâne.
L’enfant gisait comme s’il eût été mort. Cependant, le serpent enroulé dans son crâne savait qu’il n’était pas tout à fait mort. Le corps de l’enfant se dessécha jusqu’à ne plus être qu’un squelette, et le squelette resta sur la pente de la montagne exposé au vent et à la pluie.
Mais le père de l’enfant avait tout vu. II se mit à l’œuvre pour arracher le serpent du crâne de son enfant. Tout d’abord, il envoya du Nord une grande tempête qui roula le crâne jusqu’à ce que le trou de la moelle épinière fût dirigé vers le haut. Puis, la pluie se mit à tomber et remplit d’eau le crâne jusqu’au bord. Le serpent sortit sa tête hors de l’eau, mais resta où il était. Alors le père rapprocha le soleil de la terre, la température s’éleva considérablement et l’eau du crâne se mit à bouillir.
Le serpent ne put supporter cela. Il rampa en dehors du crâne et aussitôt l’enfant se mit sur ses pieds. Il saisit le serpent par le cou, et, à l’aide d’une pierre, lui frappa la tête jusqu’à ce qu’elle fût tout aplatie, puis il lui arracha les dents.
« Et maintenant, tu vas promettre de laisser les hommes tranquilles. » Le serpent promit et, quand l’enfant l’eût lâché, il dit « Je mordrai encore quelquefois, mais pas souvent. » Voilà pourquoi les hommes sont rarement mordus par les serpents.
L’enfant revint à la hutte de sa grand-mère ; mais la vieille avait disparu et ne revint pas. Il voyagea encore pendant quelque temps, jusqu’à ce que son père le reprît avec lui... tout là-haut... »


peinture de Catlin 1832

Reprenons une dernière fois les éléments retenus dans ces variantes :
- il existe deux mondes différents : le monde parfait des dieux - créateurs ou non - et celui de la terre, ou selon d’autres variantes soumises à une vision différente : un monde ancestral idéal et le monde actuel.
- Le désir (ou la nostalgie) déclenche à chaque fois la montée ou la chute de la jeune femme. Et enfin, ce qui peut constituer l’objectif de l’histoire :
- La chute permet la naissance d’un futur héros qui hérite forcément de la puissance du monde céleste. 

Il est certain que la forme de ce premier volet d’un texte sacré peut surprendre, mais est-ce si loin de notre genèse, avec son créateur omnipotent, son jardin d’éden, son serpent tentateur qui murmure à l’oreille d’Eve, et à qui, elle ne peut résister ?
Le désir entraîne cette chute, qui ne pouvait être véritablement évitée, tant la nature profonde de l’homme et de la femme sont liés à la soif d’exister. La suite est l'aventure du guide spirituel, tel l'histoire décrite dans notre bible avec le personnage de Moise. Pour les peuples amérindiens le « guide » envoyé par le créateur est figuré par « Le héros civilisateur »…


L'Aède

Notes
1/ les références de livres pour les légendes citées : « Aataentsic », cette légende est tirée d’un site Iroquois, dont j’ai perdu la trace. J’espère que ses auteurs ne m’en tiendront pas rigueur.
« La grande tortue » est extraite du livre « Les plus belles légendes des Indiens Peaux-Rouges » par M Wood.
« L’enfant et la grotte des serpents » provient du livre « Le Folklore des peaux-rouges » par H R Rieder