Légendes de l'Aède

La signification du Dragon

Il existe au moins deux légendes de dragon dans la région du marais poitevin : la première est situé sur la commune de Nuaillé d’Aunis en Charente-Maritime et l’autre à l’entrée du marais, à l’est, aux portes de Niort en Deux-Sèvres.
Ces deux légendes, malgré des scénarii différents, se ressemblent sur un point : par sa bravoure un homme tue le dragon qui épouvante la région. Nous trouvons dans toutes les régions de France, de nombreuses variantes sur ce thème.
Mais d’ou vient ce dragon ?


Peinture sur bois du Moyen-Age

Et quelle est la signification du Dragon ?


Si nous regardons dans le dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant, nous trouvons des références et des significations issues des contes du monde entier ; à mon sens, cela ne nous donne qu’une idée bien trop vague de la réalité signifiante du dragon.
La relation entre le dragon né en occident et le dragon né en orient ouvre des possibilités d’interprétation différentes.
Dans les mythes, le dragon et le serpent ont bien des points commun, ce qui rend très difficile une classification déterminant un sens précis pour chacune de ces bêtes fabuleuses. Mais, comme point de départ à cette étude nous avons remarqué que le dragon est pratiquement toujours un gardien, dans les formes les plus anciennes en occident, alors que le serpent, peut effectuer bien des actions, positives ou négatives, et son champ symbolique est bien plus vaste. Les représentations mythologiques des Nagas (dieux-serpents) dans les textes les plus anciens du monde Indien, mettent en scène ces êtres divins, avec des attitudes et des comportements plus proches de l’humain que de l’animal. Ainsi les Nagas, ressemblent plus à leurs cousins : les dragons chinois par la variétés des histoires qu’ils inspirent, qu’a notre dragon occidental à la conduite très basique de gardien et mangeur d’hommes.
Au fur et à mesure de cette étude, nous analyserons les pistes des dragons et des serpents qui se recoupent pour mieux nous perdre….

Haut de colonne romane

Dans l’imaginaire des mythes et légendes, le dragon est assimilé à une forme de puissance que l’on peut confondre avec ce que nous nommons : l’inconscient.
Mais que signifie concrètement cette forme imagée des puissances inconnues dans l’homme, pour les peuples anciens qui ont créé ces mythes ?
Je ne vais pas essayer de détaillé ici les différentes théories scientifiques autour de l’inconscient, parce que ma spécialité est et reste les mythes et non la psychologie - et, parce que je n’ai pas le sentiment que ces théories nous donnent les causes exactes déterminant nos actions. Les théories psychanalytiques actuelles nous démontrent parfaitement le mécanisme de nos actions inconscientes, en fonction de notre milieu culturel et familiale, mais le fondement du désir et de son corollaire l’angoisse dans l’homme, touche une zone très profonde qui a interrogé les sages depuis la nuit des temps.


Enluminure d'un manuscrit médiéval

Aussi, essayons de remonter dans le temps, grâce aux mythes, à la recherche du premier dragon, pour étudier ses particularités, qui nous permettront peut-être de nous faire une représentation plus juste de ce que les anciens imaginaient et représentaient ainsi.

Quel sont les plus anciens textes occidentaux qui décrivent un dragon ?
Deux célèbres dragons apparaissent dans les légendes grecques :
celui qui garde la toison d’or dans la quête des Argonautes et
celui qui garde les pommes d’or dans le jardin des Hespérides, objets du onzième travail d’Héraklés.


Illustration de La Toison d'Or

Le premier sera endormi grâce à la magie de Médée, pour l’amour du noble Jason et le suivant sera pris par Héraklès, mais non par sa puissance …!!!
Cet épisode des travaux d’héraklés est très particulier, car selon Appolodore, ce n’est pas grâce à sa propre puissance qu’Héraklés rapporta les pommes d’or, mais c’est le titan Atlas qui alla les chercher pendant qu’Hérakles maintenait la pesante terre. Le texte dit simplement qu’Atlas prit les pommes d’or sans faire mention d’une confrontation avec le dragon, gardien de ce jardin.

Dans les deux cas la bravoure de nos guerriers ne fut pas mise en actions.
Etrange, non ?
La quête de Jason fera de lui un anti-héros, car tous les grecs savent ce que celui-ci doit à Médée et à ses compagnons ; Héraklés est et reste le puissant héros terrassant tous ses ennemis, mis à part ce dragon gardien des pommes d’or…
Dans ces deux histoires, il n’y a pas eu de combat entre les héros et les dragons ; pourtant Héraklés à déjà combattu des monstres comme l’hydre à neuf têtes, alors pourquoi pas le dragon gardien des pommes d’or ?

Le combat avec l’hydre de Lerne est le deuxième travail d’Héraklés et cette bête extraordinaire ne gardait aucun trésor, elle ravageait la contrée comme un prédateur inhabituel !
Ainsi le sens que peut avoir le combat avec l’hydre de Lerne, (deuxième travail) n’est pas le même que la confrontation avec le dragon du jardin des Héspérides, (onzième travail).(1)
La confrontation de l’initié aux mystères, avec les puissances de l’inconscient, ne peut se faire que lorsque celui-ci à déjà une bonne connaissance de sa personnalité, construite sur ses désirs et sur ses peurs. Cette connaissance psychologique de soi-même n’est que le début du chemin et ces épreuves, sans être faciles sont surmontables, alors que pour ce qui concerne le dragon, c’est à dire la puissance incarnant l’inconscient, c’est une tout autre affaire….
Dans les plus ancien mythes ou les vieilles légendes, il ne peut y avoir de combat entre un homme et cette puissance tapie gardant un potentiel incroyable qui ne peut être offert à un simple mortel : seul un initié réalisé ou un éveillé, pour parler plus simplement peut se confronter à ce mystère. Telle était la règle dans les mythes, bien avant notre ère, mais à l’arrivée de nouveau temps et de nouvelles religions, ces règles changeront et nous allons voir arriver des hautains guerriers…..

Mais reprenons : les particularités avérées que nous découvrons dans ces deux quêtes du monde grec, sont que les véritables dragons ont pour essence d’être les gardiens :
soit d’un objet précieux,
soit d’un lieu secret.

Le mot Dragon vient du grec : drakos ou drakosta et deux sens apparaissent dans le dictionnaire Bailly, celui de serpent ou poisson. Allons à la recherche des racines…ainsi la racine dra donne naissance à : dragma : ce que la main peut contenir ou dragmos : saisir, draino : être prêt, disposer à agir, être fort et drama : action.
Cela nous donne ainsi une idée du sens que les anciens grecs ont donné à ce monstre fabuleux : le sens « d’action » et de « prendre », de « saisir »…
un super ego en quelque sorte –

Ce « dragon » nous lie également au poisson et cela nous permet de retrouver cette notion de subconscient particulièrement lié au domaine de l’eau que nous trouvons dans tout les mythes. Le serpent est également un animal très à l’aise dans l’eau.
Quel peut-être la relation entre le dragon occidental, simple gardien de trésor et l’eau ?
et peut-être qu’il y a une relation avec les « nagas » indiens ?
Mais le Dragon ne serait pas né en Grèce….
Madame Christiane Desroches-Noblecourt, dans son ouvrage :  "le fabuleux héritage de l’Egypte" nous a donné une piste avec un autre mythe célèbre, celui de saint Georges, pourfendeur de ladite bête.


Papyrus d'inspiration Éthiopienne

Examinons d’abord la naissance de ce personnage, et de ce mythe. Le texte qui suit est celui du site : wikipédia.
Au XIIIe siècle, la légende de Georges de Lydda est adaptée par l’archevêque dominicain Jacques de Voragine dans La Légende dorée qui raconte ceci :
Georges de Lydda naît en Cappadoce, dans une famille chrétienne. Militaire, il devient officier dans l'armée romaine ; il est élevé par l'empereur Dioclétien aux premiers grades de l'armée. Un jour il traverse la ville de Silène dans la province romaine de Libye, sur son cheval blanc. La cité est terrorisée par un redoutable dragon qui dévore tous les animaux de la contrée et exige des habitants un tribut quotidien de deux jeunes gens tirés au sort. Georges arrive le jour où le sort tombe sur la fille du roi, au moment où celle-ci va être victime du monstre. Georges engage avec le dragon un combat acharné ; avec l'aide du Christ, et après un signe de croix, il le transperce de sa lance. La princesse est délivrée et le dragon la suit comme un chien fidèle jusqu'à la cité. Les habitants de la ville ayant accepté de se convertir au christianisme et de recevoir le baptême, Georges tue le dragon d'un coup de cimeterre car il les effrayait toujours, puis le cadavre de la bête est traîné hors des murs de la ville tiré par quatre bœufs.

Nous retrouvons ici une autre vielle légende grecque mettant en scène Persée délivrant la belle Andromède, ainsi les histoires se suivent et se remodèlent. Dans les aventures de Persée, il s’agit d’un monstre marin envoyé par Poséidon pour punir le roi Cèpheus.

Et ma quête du dragon, pas à pas, continue…
Dans le texte d’Apollonios de Rhodes « Les Argonautiques » le dragon est appelé : Ophys - le serpent, et chez certains auteurs ophys et drakosta sont employés aussi bien l’un que l’autre. Dans les textes grecs anciens, c’est l’image d’un serpent monstrueux qui est donnée, ainsi le Dragon est un serpent prodigieux…
Mais alors, à quelle époque est né le mythe occidental du Dragon ? (2)

Christiane Desroches-Noblecourt nous suggère une origine Egyptienne à cette bête extraordinaire, ce qui est tout à fait normal quant on sait ce que la Grèce doit à la civilisation de l’Egypte antique, mais il semble que cette naissance soit récente…
Nous trouvons plusieurs images et sculptures montrant un pécheur ou le Pharaon, debout sur sa barque harponnant avec une longue lance le crocodile sournois.
Eh oui le serpent-poisson a laissé place au crocodile…….
Madame Christiane Desroches-Noblecourt souligne que par l’intermédiaire du monde romain, et ensuite par l’influence chrétienne, le dieu Horus vainqueur du monstre aquatique s’est transformé en Saint Georges.


Sculpture en pierre

Ainsi nous voilà avec une représentation symbolique imagée, datant de plus de deux milles ans avant notre ère, qui s’est transformé en un monstre terrestre et rampant, digne d’être occis.

C’est cet aspect qui mérite que l’on s’y arrête un moment : les trois demi-dieux grecs ne tuent pas le dragon malgré leur puissance effectives :
1/ Jason réussit à prendre la toison grâce à la magie de Médée qui endort le puissant serpent,
2/ le vaillant Héraklés demande au titan Atlas de lui apportées les pommes, laissant celui-ci s’arrangé du dragon et...
3/ Persée ne peut immobiliser le dragon qu’à l’aide d’une puissance infernale : la tête de méduse. Aucun de ces héros ne tue par ses forces personnelles… le Dragon.
Et, changement de situation dans le monde occidental, un nouveau mythe surgit :
celui de Saint Georges et ce brillant personnage tue sans sourciller le dragon, c’est à dire qu’il tue les puissances et forces animales dans l’homme. La notion d’inconscient, c’est à dire : de forces intérieures générant des actions et pulsions « dérangeantes » est tout simplement supprimée. L’adage des grecs anciens : « connaît toi toi-même » est remplacée par l’orgueil de cette nouvelle église qui peut toute chose par les forces du Christ, et cette conception symbolisée par ce mythe de Saint Georges, est toujours actuelle dans les rites catholique et orthodoxe, où la croyance est plus importante que la connaissance de soi.

Ce changement interviendra dans tous les contes et légendes de chevaleries qui surgiront par la suite.
Les forces animales intérieures seront tuées, sans autres formes de procès. Ici point de compréhension des phénomènes humains. Sans niait la force du message du Christ et l’influx que celui-ci par sa propre réalisation spirituelle a pu apporter dans le monde, la nécessité de la Connaissance de Soi et des forces dominantes intérieures, permet une stabilité de vie seule garante d’une éthique spirituelle profonde.
Pour ce qui concernent le double de St Georges : Saint Michel, je vous renvoie aux études de Henri Dontenville, dans « la France mythologique ».

Maintenant retournons à l’origine : l’Egypte…
Que pouvait bien représenter le crocodile, ce prototype du dragon pour un ancien égyptien ?
A part, bien sûr, la peur que sa puissance et sa vivacité soudaine pouvait engendrer… deux « qualités » qui définissent également le serpent.
Un autre ouvrage : « le monde magique de l’Egypte ancienne » de Christian Jacq, nous donne quelques précisions sur le crocodile…
Mais d’abord replaçons nous dans le contexte humain psychologique du monde Egyptien : le symbole du déroulement de la vie comme du passage de la mort à une autre vie, est une barque sur l’onde du Nil terrestre ou céleste, et par conséquent, une entrave soudaine à la bonne marche du bateau comme l’irruption du crocodile signifie une entrave à la vie et à l’harmonie.
Cette situation vaut dans la vie quotidienne, ou notre inconscient détermine des attitudes parfois bien dérangeantes pour notre équilibre. Mais dans le cas d’un chemin spirituel où le disciple veut à nouveau revenir dans le mouvement divin, les forces de l’inconscient surgissent et font obstacle à la reconnaissance de soi. La maîtrise de l’inconscient sur notre être, - étudiée par les scientifiques et reconnue comme prédominante – ne peut-être relâchée sans confrontation.

Christian Jacq cite certains textes magiques servant à maîtriser le passage de la mort, (ou le passage à la VIE). Ces pratiques magiques sont nécessaires, car la puissance du crocodile pourrait enlever au mort, (ou à l’être s’éveillant) son énergie magique.
Voici ce passage :
Arrière, va-t’en ! que ton visage se tourne vers Maât ! (l’harmonie du monde).
Le magicien doit aider le mort et maîtriser le crocodile, lui prendre sa puissance et non l’anéantir.
Un autre texte précise :
Le marin faisant fonction de magicien se tient à la proue du bateau avec un œuf d’argile dans la main. Il ressemble ainsi au soleil surgissant des eaux dans un œuf et dispersant les ténèbres. Si le crocodile osait quand même jaillir du fleuve, le marin jetterait l’œuf dans les eaux et ferai fuir le démon.
C’est peut-être de là, que viennent nos figures de proue ?

Voici avec cette allégorie de crocodile surgissant férocement à n’importe quel moment, une image plutôt inquiétante de l’inconscient, et la magie à cette époque semble être le seul moyen de retourner ces forces au service d’un équilibre de la vie.
Le dieu crocodile est le dieu Sobek, seigneur des eaux ; c’est aussi un dieu créateur qui génère de nombreux cultes. Sa puissance et la présence de l’animal dans le Nil, est telle qu’il vaut mieux s’attacher sa bienveillance par des offrandes.

Un texte des sarcophages, n°991, permet de se transformer en Sobek. Voyons, avec quelques extraits, si nous y trouvons le sens que notre dragon aura par la suite…
« je suis cet éjaculateur sorti de la bandelette enveloppante je suis le maître de vigueur je suis le maître du mal qui vit du malheur C’est moi qui ai placé la crainte Dont l’énéade aura peur Je suis le maître du Nil qui vit de la mort Je suis Sobek le rebelle qui est parmi vous… Alors que vous n’avez pas été capable d’agir contre moi… Si j’ai pris possession du ciel c’est que j’ai pris possession de la terre Car je suis le maître des adorations…. »
Traduction de Claude Carrier, textes des sarcophages, édition du rocher.

Etonnant texte, non ?
Qui voudrait s’attaquer à un être pareil ?
Si cet être a été assimilé à la force obscure qui mène les hommes et les dirige malgré eux… ce symbole de l’inconscient est plutôt bien choisi. nous comprenons mieux l’existence, à notre époque, de nos psychiatres et psychologues.
Mais voyons ces caractéristiques :
Il est créateur, mais il n’est pas né du centre de l’être, puisqu’il dit qu’il vient des bandelettes, donc de la superficie ou de l’aspect extérieur des choses… ou bien il est souverain sur les choses extérieures…
Il est puissant…
Il vit du malheur, autrement dit des problèmes qu’il engendre lui-même.
Il vit des forces du Nil, c’est à dire du flux continue de la vie, le sens naturel des choses, celui du chemin vers la mort et non dans le sens Divin, celui du chemin de l’éternelle Vie.

Pour une vision spirituelle, qu’elle soit orientale ou provenant d’un enseignement occidental, le centre de l’être est lié au Divin en soi, et les énergies du subconscient proviennent en fait des créations de la psyché humaine, en interaction avec les énergies du monde. Le jeu constant mental et émotionnel, engendre une occupation quotidienne de l’homme, une attention portée constamment sur les problèmes et les préoccupations du monde. Ainsi l’homme à peu de place pour une réelle écoute de soi…
Le chemin spirituel et la méditation, poussent l’être humain à percevoir les forces de l’inconscient et ensuite seulement, découvrir-voir ce qui est réellement lui…


illustration du Moyen-Age

Les contes et légendes reprennent parfaitement cette connaissance de l’inconscient, d’ailleurs celui-ci est représenté souvent par deux images symboliques : en premier un monstre animal, dragon serpent ou autre gardien des portes, et ensuite un être surpuissant, un roi, empereur, le seigneur du pays, ce qui deviendra le diable.
Ces deux images symboliques représentent deux aspects de la puissance de l’inconscient :
l’émotionnel, véritable gardien, suprême obstacle à l’équilibre personnel et
le mental subtil qui lie l’homme à la terre, à la nature des désirs et l’empêche de retrouver sa vrai royauté, sa vraie identité.
Ainsi l’inconscient n’est pas l’ennemi de l’homme - c’est lui donner une trop grande place - il nous occupe simplement, avec notre accord, nous détournant de nous-même…

L"Aède

notes:
(1) Le symbolisme de l’Hydre est celui des différentes ruses et actions intellectuelles lié à la vie consciente dans le monde, alors que le symbolisme du dragon incarne celles des forces inconscientes qui gouvernent l’homme.
(2) il existe bien sur des dragons dans la bible, mais comme la première appellation de dragon que nous trouvons vient du grand Homère, c’est que cette image existait avant l’écriture de l’ancien testament.

Bibliographie :
Christian Jacq – Le monde magique de l’Egypte ancienne – ed du Rocher 1983
Christiane Desroches-Noblecourt – le fabuleux héritage de Egypte – ed SW – Télémaque 2004
La bibliothèque d’Apollodore – Annales littéraires de l’université de Besançon 1991