Légendes de l'Aède

Essai sur le Mvet

Les épopées Fang.

Les épopées Fang, épopées essentiellement orales, ont pour principal sujet, l’antagonisme de deux peuples : le peuple d’Engong qui a conquis l’immortalité et le peuple d’Okü, nation de mortels, qui par l’entremise de ses héros aux pouvoirs extraordinaires veut lui aussi posséder le secret de l’immortalité.
Il existe quatre ouvrages en francais sur le Mvet (article rédigé en 2010):
--Un Mvet par Zwè Nguéma, collection Classiques Africains au éditions Armand Colin, réed 1972 . ce livre à été recueilli et enregistré lors d’une soirée par Herbert Pepper
Le disciple de Zwè Nguéma : Tsira Ndong Ndoutoume a par la suite édité trois ouvrages :
Le Mvet, épopées Fang, édition Présence Africaine réed 1983
Le Mvet, tome deux édition Présence Africaine 1975 non réed
Le Mvet, l’Homme la Mort et l’Immortalité, aux éditions l’Harmattan 1993


Carte postale ancienne

Après une cosmogonie juste esquissée, aussitôt suivie d’une théogonie, ces ouvrages nous entraînent au centre du Mvet : le conflit humain entre un peuple immortel et un peuple qui ne l’est pas.
Ces conflits exprimés dans les épopées Fang, opposent des héros aux possibilités fabuleuses : ils rappellent fortement les « super-héros » américains d’aujourd’hui.
Ils ont des armes extraordinaires qu’ils sortent au fûr et à mesure de leurs torse, et peuvent voyager dans le ciel aussi bien que sous la terre. Les héros mortels vont prendre conseil auprès de leurs ancêtre au royaume des morts, les ancêtres toujours mus semble t-il, par le regret d’être morts, prennent partie pour le royaume d’Okü. Les guerriers d’un bord ou de l’autre sont en général très orgueilleux, imbus de leurs pouvoirs, de leur ascendant sur les autres hommes.
En fait, ces héros - qu’ils soient d’Engong ou d’Okü,- se ressemblent beaucoup ; même vigueur, même désir de prouver leurs puissance, même vision de l’existence, c’est tout à fait compréhensible si l’on sait qu’au début de leur histoire ils n’étaient qu’un seul et même peuple.
La seule chose qui les différencie, et qui cause leur séparation, c’est l’immortalité qui caractérise le peuple d’Engong et dont il ne veut pas révéler le secret au peuple d’Okü.


Photo de masque Africain

Ce que je trouve intéressant dans ces épopées, réside dans le fait qu’elles n’opposent pas un héros mauvais à un héros bon, un peuple méchant à un peuple gentil. Ce n’est pas l’habituel conflit du bien et du mal que nous retrouvons là.
_ La question est donc : que veut nous transmettre le Mvet ???
De quel sujet parle le Mvet ?
De la mort, de la souffrance lancinante d’être un humain mortel, dont l’existence doit finir absolument un jour prochain…
Pour quelle raison le peuple d’Okü souffre t-il autant ?
Il sait que la mort n’est pas irrémédiable, de là le refus de cet état mortel. La souffrance de devoir disparaître est décuplée par la conscience que peut-être, la mort n’est pas obligatoire, il n’est pas nécéssaire de devoir mourir.
La Mort est elle une illusion ?
Sans doute, puisque certains peuples ont inventé le concept d’immortalité…à présent une autre question se pose : sur quelles assises repose ce concept complètement virtuel, absolument irréel selon le bon sens commun ?
Pourtant les spiritualités sont toutes adeptes de ce concept !
Du mythe de la caverne de Platon au dialogue de Krisna et Arjuna dans la Bhagâvad-gitâ, le thème de l’illusion fondamentale dans laquelle vit l’Homme ignorant, inconscient de lui-même et du monde qui l’entoure, est récurrent.


Carte postale ancienne

Comment le Mvet peut-il être aussi vivant et captivant alors que son sujet : la dualité mort-immortalité, est purement abstrait ?
Étudions le conflit sur une autre base, celle de l’être intérieur.
Ce profond et universel conflit dans l’Homme lui-même…
Voyons : dans l’épopée du Mvet, ce sont deux peuples de même origine qui se déchirent, à cause d’une différence d’état et de la souffrance que cette différence inflige.
Est-ce que notre conflit fondamental avec nous-même aurait les mêmes bases ?
Pourquoi l’aspiration à des valeurs complètement abstraites et totalement irréelles comme l’Amour absolu, la Paix universelle, et la Vie immortelle, peuvent-elles exister dans l’être humain… ?


Statuette Africaine en bois

Ces notions ont peut-être une certaine réalité, dans un monde au delà du nôtre, un monde dont le nôtre est issu, est descendu.
Le monde des noumènes, c’est le monde originel créateur de l’essence de toutes les actions, l’origine de toute chose d’où naîtront tous les sentiments, toutes les pensées, l’essence même de la volonté. Et ce monde qui existe dans l’homme est ressenti par celui-ci comme une perte entraînant une souffrance lancinante…
Cette souffrance prend le plus souvent un déguisement, elle est définie comme une aspiration à l’Amour parfait humain, à la reconnaissance de soi-même, à la paix. La souffrance vient quand la vie de tous les jours dans tout ses aspects sociaux, humanitaires, est confrontée aux idéaux, et notre conscience, notre intelligence ne peut accepter ce décalage entre le réel et l’idéal, entre ce qui est et ce qui pourrait, ce qui devrait être…
Les hommes ressentent continuellement ce décalage, ce qui fait que la vie est si souvent ballottée entre ces tendances. Mais c’est également ce qui construit un être humain : sa vie est pleine d’expériences qu’elles soient conflictuelles ou non.Une vie tranquille serait pour beaucoup inintéressante, d’où le plaisir ressenti face à ces épopées hors norme.


Carte postale ancienne

Pourquoi le Mvet est-il aussi présent en nous ?
Les conflits existant entre ces deux peuples, ont t-ils un reflet dans nos sentiments, dans nos perceptions intérieures ?
Deux voix coexistent en nous : l’une d’elle nous pousse à découvrir, à aller au devant des autres et des expériences et l’autre voix nous fait hésiter, nous immobilise dans nos actes. Le désir et la peur, sont deux inséparables et leur dialogue est incessant dans notre vie.
Notre conscience est tendue entre l’acceptation de la réalité physique qui nous entoure et une autre perception qui est tout aussi vivante, mais inacceptable, selon notre logique matérielle. Pourtant ces deux voix - ces deux perceptions existent, sans qu’il faille parler de schizophrénie ; ce dialogue vivant entre l’humain et le surhumain, entre le moi et le sur-moi est la trame du Mvet.
- Le Moi, petit et misérable, retenu de tout côté par ses peurs et ses doutes, sait très bien que des possibilités extraordinaires sont en l’homme ; il sait très bien que sur un plan élevé d’existence, la mort n’existe pas, que tout se renouvelle continuellement.
Cette conscience-moi naturelle se bat pour un autre état d’existence ; cet autre état pourrait être défini comme une vie stable, éternelle, et apaisée : l’immortalité selon le Mvet. Cependant, cette conscience-moi n’est pas capable de se hausser jusqu’à cette dimension, et cela produit en elle une peine profonde, puis un sentiment de révolte car les restrictions posées à la réalisation de ces possibilités sont difficiles à accepter.
- De l’autre coté existe une conscience immortelle sans aucune limite dans ses possibilités, dans ses activités, mais cette conscience est reliée à une conscience-moi, qui la rattache au monde matériel, terrestre. Cette conscience immortelle en arrière plan dans la personnalité humaine, souffre également de ne pouvoir rejoindre le monde originel.


Photo de masque Africain

Ainsi deux consciences cohabitent en l’homme, leurs destins sont liés, mais le conflit est leur mode habituel de communication.
Le moi ne pourra jamais vaincre la conscience latente immortelle, et celui-ci ne pourra jamais s’affranchir du moi purement naturel…
sauf si l’homme commence un chemin d’initiation spirituel.
Cette lutte en l’homme transparaît dans le sens profond du Mvet, c’est celui qui surgit à travers les textes que nous possédons. Les écrits purement spirituels ne sont probablement pas sortis des écoles initiatiques Fang.
Le chemin de conscience décrit et vecu dans une école initiatique, aura pour tâche de faire en sorte que les deux peuples, les deux consciences se placent l’une devant l’autre et fusionnent au service du plan divin.
C’est le chemin de la quête qui commence là…

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